Index des revues

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    La CFDT et les bibliothèques d'entreprise

    Par Christophe Panis, Secrétaire confédéral chargé du Secteur culturel

    JE remercie les responsables de l'Association des Bibliothécaires Français d'avoir invité la CFDT à participer à leurs travaux. Nous estimons en effet qu'il est très important pour nous de pouvoir prendre la parole devant un public de bibliothécaires. Certains s'interrogent peut-être sur les raisons de cet intérêt. Tout simplement parce que la lecture et la possibilité de lire ont toujours revêtu une grande importance pour le syndicalisme français. Les historiens ont pu relever que, déjà en 1907, 116 Bourses du Travail sur les 136 existantes possédaient une bibliothèque. Par la lecture, en effet, le travailleur peut s'assurer de cette formation qui fait de lui un agent efficace de la libération collective. C'est Pelloutier, fondateur des Bourses de Travail, qui disait : « Le dévouement d'un homme vaut ce que vaut cet homme ; pour se dévouer utilement, il faut donc, au préalable, avoir agi vigoureusement sur soi-même»,

    Il est vrai qu'entre 1900 et 1980, les moyens de formation et d'information ont beaucoup changé. Je ne veux pas entrer ici dans un débat qui mettrait en avant les mérites réciproques de l'information écrite et de l'audio-visuel. Quoiqu'il en soit de la situation actuelle, la lecture est un moyen traditionnel de communiquer, d'informer et de se former. Le syndicalisme en a toujours usé ; il en use encore. Et nous savons tous bien que si l'information prend maintenant d'autres chemins que le livre, celui-ci est toujours l'instrument privilégié de l'appropriation du savoir et donc du pouvoir.

    Si j'éprouve le besoin de réaffirmer devant vous tout le prix que le syndicalisme attache à la lecture, c'est que nous voulons en tirer toutes les conséquences sur le rôle et la fonction des bibliothécaires et des bibliothèques.

    Les bibliothécaires sont des médiateurs culturels

    J'emploie cette expression à dessein, pour bien marquer toute l'importance de la fonction. Tout le monde le sait, la réception d'un message dépend beaucoup de la qualité de l'émetteur, de la disponibilité du récepteur, mais aussi du canal par lequel il va passer, des conditions dans lesquelles il est offert ; le canal entre l'émetteur et le récepteur, c'est vous les bibliothécaires qui, pour une bonne part le tracez et le rendez praticable. Il est vrai que vous n'êtes pas seuls : pour ceux d'entre vous qui travaillez en bibliothèques de Comités d'entreprise, vous assumez votre tâche en collaboration avec les élus des Comités d'entreprise, j'y reviendrai plus loin, mais concrètement, sur le terrain quotidien, c'est bien vous qui êtes chargés de la mise en oeuvre. Or selon ce que vous êtes et ce que vous faites, vous permettez à des citoyens et à des travailleurs d'accéder à la lecture ou bien vous introduisez de nouveaux obstacles. Ceci est vrai tant sur le plan idéologique que sur le plan matériel ou technique.

    Je ne m'étendrai pas sur le plan matériel parce que vous connaissez les techniques mieux que moi. Par contre je voudrais insister un peu sur le plan idéologique. L'expression de médiateur culturel que j'ai employée, définit par elle-même, me semble-t-il, les grands axes de votre intervention. Médiateur : celui par lequel se fait le passage. Vous ne pouvez donc être ni un écran ni un entonnoir, ni même une paire de lunettes. Certes vous avez vos propres convictions politiques, vos propres conceptions de la beauté d'un texte, de l'intérêt de tel ou tel ouvrage. Et je sais bien qu'il n'y a pas de situation ni d'acte neutres. Mais il est tout aussi vrai qu'il n'y a pas de modèle unique ni en politique ni en esthétique et qu'aucun d'entre nous ne peut prétendre imposer le sien à tout le monde.

    Concrètement cela se traduit souvent par des questions du type «comment faire le choix des livres?), « faut-i exercer une censure ? ». On pourrait échanger de nombreux arguments sur ce thème. Je n'en retiendrai qu'un seul : la médiation culturelle perdrait tout sens si elle était à sens unique.

    En m'entendant valoriser ainsi le rôle des bibliothécaires, certains se demanderont si je ne cherche pas à leur faire porter toute la responsabilité de la politique culturelle d'un établissement ou d'une collectivité. Là aussi les questions sont nombreuses, soit que les élus nationaux ou locaux se déchargent entièrement sur les bibliothécaires de la conduite des affaires, soit au contraire qu'ils dictent aux bibliothécaires leur conduite. Mais alors direz-vous : soit on vous fait porter le chapeau qui n'est pas le nôtre, soit nous sommes muselés et nous perdons toute responsabilité ! Il me semble que la responsabilité des élus et celle des bibliothécaires ne se confondent pas, elles ont chacune leur champ d'application : aux uns la responsabilité de la définition d'une politique culturelle, aux autres la responsabilité de la mise en oeuvre. Et parce que ces champs ne sont pas étrangers l'un à l'autre, mais se projettent l'un sur l'autre, il est important qu'il y ait pour les élus et les bibliothécaires des lieux de rencontre, de débat, de confrontation et d'explication.

    Les bibliothèques des comités d'entreprise

    J'en viens maintenant aux bibliothèques des comités d'entreprise proprement dites qui ont pour la CFDT un rôle particulier et irremplaçable à jouer à côté des bibliothèques publiques.

    On nous dit en effet que le nombre de lecteurs a beaucoup augmenté en France mais aussi qu'il est bien plus faible que dans d'autres pays d'Europe. Les mêmes études nous montrent que ce sont les catégories sociales déjà «cultivées» qui profitent encore de l'élévation du niveau culturel, de la multiplication des équipements. Tout naturellement, les bibliothèques publiques sont d'abord fréquentées, et de plus en plus, par les catégories sociales qui ont déjà des pratiques culturelles.

    Par contre les bibliothèques des comités d'entreprise ont un public spécifique, mieux ciblé, constitué par l'ensemble des travailleurs de cette entreprise ou de ce service. Certes, il ne faut pas se faire d'illusions : ce public potentiel est lui-même diversifié : et le risque existe réellement de retrouver dans les bibliothèques de comités d'entreprise ceux et celles qui fréquentent les bibliothèques publiques ou qui achètent des livres.

    Pour une connaissance plus détaillée du public des bibliothèques d'entreprise, je vous renvoie aux enquêtes réalisées par le groupe des Bibliothèques d'entreprises de votre Association.

    Mais pour notre organisation syndicale, la mission des bibliothèques de comités d'entreprise est claire et précise : il s'agit de faire accéder l'ensemble des travailleurs à la lecture, il s'agit de permettre un rééquilibrage des chances culturelles. Cet objectif ne doit pas être oublié lorsque l'on discute du bien-fondé des bibliothèques de comités d'entreprise, de leur organisation, de leur mode de fonctionnement., de leur approvisionnement, de leurs activités.

    Je ne prétends pas ici pouvoir établir des règles générales qui puissent s'appliquer à toutes les bibliothèques. Car celles-ci doivent tenir compte de la nature de l'entreprise, des conditions de travail, de son organisation. Elles doivent tenir compte de l'existence de telle ou telle catégorie de travailleurs et travailleuses. Non pas parce que certains produits culturels seraient réservés aux uns et interdits aux autres, mais parce que les chemins qui permettent d'y accéder ne sont pas les mêmes pour tous.

    Ces remarques justifient pleinement à mon sens l'existence des différents réseaux de bibliothèques : le public qui relève de la responsabilité de l'Etat ou des collectivités locales, celui qui relève des initiatives privées à travers les associations, celui qui relève de l'initiative des comités d'entreprise et donc des travailleurs et de leurs organisations. Elles justifient des modes de fonctionnement différents. Je n'en citerai que quelques-uns : heures d'ouverture, pour que tout travailleur, quelle que soit sa fonction dans l'entreprise puisse y accéder ; disposition de l'espace, pour que chacun puisse trouver le coin qui lui convient ; place de la bibliothèque dans l'entreprise pour qu'elle ne soit pas marginalisée ; animation pour développer la sociabilité qui paradoxalement prolonge l'acte individuel de lecture ; animation encore pour permettre l'accès des travailleurs à toutes les activités culturelles puisque nous savons que la pratique de la lecture ne se développe réellement que parallèlement aux autres activités culturelles.

    Toutes ces activités qui constituent la tâche des bibliothécaires des comités d'entreprise les rapprochent étonnamment de la situation des militants syndicaux. Il est tout à fait normal que, conformément à leur choix personnel, les bibliothécaires participent aux activités de la section syndicale ; de même il n'y a rien d'aberrant dans le fait que des syndicalistes choisissent l'un d'entre eux pour assurer les fonctions de bibliothécaire, ou estiment devoir exprimer leurs exigences pour la formation de celui ou de celle qui assume cette tâche dans l'entreprise.

    Une politique d'ouverture

    Je vous ai parlé de la spécificité des bibliothèques de comités d'entreprise. Je veux pour terminer, évoquer la complémentarité des deux réseaux. La question est parfois posée : faut-il ouvrir une bibliothèque d'entreprise quand il existe déjà une bibliothèque publique ? Poser la question de cette manière suppose qu'on mette les deux types de bibliothèque en concurrence. Ce qui est une mauvaise manière de poser le problème. Car en fait la spécificité appelle la complémentarité. Il est bien évident qu'une même institution ne peut pas tout faire, couvrir tout le champ des lectures possibles, surtout lorsqu'elle est investie d'une mission spécifique. Mon propos ne cherche pas à limiter a priori le champ de lecture d'une bibliothèque d'entreprise, mais simplement reconnaît que son objectif n'est pas d'offrir toute la documentation possible sur un sujet donné.

    Pour la CFDT, affirmer la complémentarité des réseaux de bibliothèques n'est pas seulement un moyen de pallier le manque de moyens. Cela va beaucoup plus loin. Cette affirmation est une conséquence de la politique d'ouverture des comités d'entreprise que mène la CFDT.

    L'existence des comités d'entreprise est le résultat de luttes menées par les travailleurs. Mais ils ne doivent ni devenir le privilège de certaines catégories ni s'enliser dans une politique d'assistance qui renforcerait la dépendance des travailleurs à l'entreprise et au modèle capitaliste. Nous le savons bien, tous les comités d'entreprise n'ont pas les mêmes moyens, et surtout de nombreux travailleurs, ceux qui travaillent dans les petites et moyennes entreprises, ne peuvent bénéficier des activités d'un comité d'entreprise, parce que dans leur boîte ça n'existe pas ou est réduit à la part congrue. C'est pour lutter contre ces ségrégations entre les catégories de travailleurs que la CFDT demande aux élus de pratiquer une politique d'ouverture. Mais comprenons-nous bien : pratiquer l'ouverture ce n'est pas fermer la boutique, ni diluer ses responsabilités dans un vaste conglomérat informe. La CFDT entend bien assumer les siennes jusqu'au bout et poursuivre sa tâche d'émancipation des travailleurs à travers les activités culturelles des comités d'entreprise.

    Mener une politique d'ouverture, qu'est-ce que cela veut dire au niveau des bibliothèques ?

    Ce peut être tout simplement un accord entre une bibliothèque d'entreprise et une bibliothèque municipale qui permet aux abonnés de la première d'emprunter des livres à la seconde. Ce peut être encore l'organisation commune de certaines animations, celle-ci ne se faisant pas d'ailleurs uniquement entre bibliothèques mais aussi avec d'autres lieux d'activités culturelles, comme les musées par exemple.

    Mais l'ambition de la CFDT ne se limite pas à l'organisation commune et épisodique de quelques activités. Il nous paraît important que la politique d'ouverture se concrétise dans un plan culturel, défini en commun tant localement que régionalement. Bien entendu la réalisation d'un objectif suppose que chacun soit reconnu par l'autre comme partenaire à part entière, dans le respect des droits et des charges découlant de sa mission spécifique.

    Voilà, brièvement exposés, quelques aspects principaux de la politique de la CFDT en matière de lecture et lecture publique. Un rassemblement comme le vôtre a l'immense avantage de regrouper des bibliothécaires provenant d'horizons différents : bibliothèques publiques, bibliothèques associatives, bibliothèques de comités d'entreprise. Il me semble que cela peut favoriser la connaissance mutuelle et la compréhension réciproque qui sont nécessaires si nous voulons mettre en oeuvre des pratiques culturelles insérées dans un plan et des objectifs définis en commun.