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Nouvelle politique de la lecture et statuts des personnels

1982

    Nouvelle politique de la lecture et statuts des personnels

    Par Henri Comte, Maître assistant à l'université Lyon III Enseignant à l'E.N.S.B.

    LE contexte général dans lequel s'inscrit l'activité des personnels des bibliothèques se modifie rapidement. Si toutes les incidences statutaires de ces transformations ne sont pas encore prévisibles, ne serait-ce que parce qu'elles dépendent de choix et d'arbitrages de nature politique, certaines peuvent néanmoins être d'ores et déjà aperçues et donc discutées.

    Quatre données essentielles paraissent ainsi devoir déboucher sur une transformation, ou à tout le moins sur des aménagements de l'actuel édifice statutaire.

    La première est la croissance des effectifs que postule la nouvelle politique du livre et de la lecture entreprise par l'actuel gouvernement. Cette augmentation des flux d'entrée va entraîner l'adaptation tant des méthodes de recrutement que des filières de formation professionnelle.

    Une seconde donnée réside dans la loi de décentralisation qui va accroître de façon très considérable les pouvoirs des régions, des départements et des communes. La départementalisation quasi acquise des bibliothèques centrales de prêt et la réforme annoncée du statut du personnel communal vont ainsi, de façon quasi inéluctable, retentir sur la situation de l'ensemble des personnels travaillant en bibliothèques centrales de prêt ou bliothèques municipales.

    Une troisième donnée réside dans l'orientation même qui paraît avoir été choisie pour procéder à la réorganisation de la lecture publique. La volonté de rapprocher et de mieux faire coopérer les diverses institutions concourrant à la lecture publique passe en effet par un rapprochement des formations et des situations professionnelles.

    Une quatrième donnée enfin, moins certaine il est vrai car largement liée, à la « demande » de la profession, réside dans la prise en compte, dans les statuts, d'éléments de déontologie professionnelle.

    Afin de bien limiter le propos aux seules questions statutaires, on mettra entre parenthèses le problème, extrêmement complexe et à bien des égards spécifique, de la formation professionnelle. On tiendra donc pour acquis l'actuelle répartition du personnel en trois niveaux : scientifique (conservateurs ou bibliothécaires), technique (bibliothécaire-adjoints ou sous-bibliothécaires), d'exécution (gardiens et magasiniers). On tiendra également pour établi que les filières de formation des personnels se situeront dans une fourchette ayant :

    • pour limite basse le système de formation existant,
    • pour limite haute le nouveau système proposé par le rapport Pingaud, à savoir :
      • < BEPC ou C.E.P. + 2 années de formation pour le personnel d'exécution
      • W Baccalauréat + 2 années de formation pour le personnel technique
      • < Diplôme d'enseignement supérieur + 2 années de formation pour le personnel scientifique.

    Sur ces bases d'analyse on peut regrouper sous trois rubriques principales les problèmes statutaires qu'il parait nécessaire et important d'aborder : l'harmonisation des carrières, la mobilité du personnel, la prise en compte de la dimension déontologique du métier de bibliothécaire.

    I. L'harmonisation des carrières

    On pourrait souhaiter, dans une perspective maximaliste, regrouper tous les personnels dans des statuts communs. Cette voie, compte tenu tant de la situation actuelle des bibliothèques que des orientations envisagées pour leur réorganisation apparaît en réalité irréaliste et même impraticable. Si l'on admet en effet que la politique des bibliothèques sera l'oeuvre commune de l'Etat, des collectivités locales et de certaines personnes privées (associations, comités d'entreprise), il faut bien en déduire que demeurera un personnel d'Etat, un personnel local et un personnel de droit privé. La pluralité d'employeurs, en d'autres termes, ferme la voie à l'unité de statut des personnels.

    En revanche l'actuelle disparité des statuts qui régissent la profession pourrait être sensiblement réduite par une politique appropriée d'harmonisation des statuts. Il s'agirait, dans cette perspective, non pas de fusionner les statuts existants mais de rapprocher les règles qu'ils contiennent. La nécessité d'une telle politique est évidente. Elle répond, en premier lieu, à une simple exigence de justice sociale : offrir des carrières égales à des personnels qui, à qualification égale remplissent des fonctions identiques. Elle paraît en outre une condition essentielle pour le succès de la politique tendant à rapprocher et faire coopérer les diverses institutions, tant publiques que privées qui concourrent à la diffusion du livre. C'est d'ailleurs ce que le rapport Pingaud (page 64) n'omet pas de bien préciser lorsqu'il préconise, fort opportunément, une intervention rapide de l'Etat « pour harmoniser (et en l'occurrence réévaluer) les carrières entre tous les personnels».

    Cette harmonisation, concrètement, devrait porter en premier lieu sur la situation de l'ensemble des personnels relevant de toutes les collectivités publiques. Il s'agirait donc, en prenant pour base de référence le statut des personnels d'Etat, d'établir pour les autres personnels : municipaux, départementaux (s'il en est créé) ou hospitaliers des règles identiques en matière de recrutement, carrière et rémunération.

    L'harmonisation devrait aussi logiquement porter, en second lieu, sur la situation des personnels de statut privé des bibliothèques d'associations ou d'entreprises. Le moyen technique d'un certain rapprochement pourrait être l'élaboration de conventions collectives.

    Il est clair que cette entreprise, à vrai dire considérable, suppose que soit réalisée, en amont, l'uniformisation des filières de formation professionnelle. Il ne peut en effet y avoir d'harmonisation des carrières sans égalité de qualification professionnelle.

    II. L'organisation de la mobilité du personnel

    La mobilité du personnel est également une conséquence logique du choix opéré en faveur d'une organisation en réseau des établissements existants ou à créer. Il ne saurait en effet y avoir spécialisation des tâches, coordination des activités et adaptation permanente des moyens aux objectifs poursuivis sans une certaine mobilité du personnel des établissements parties prenantes d'un réseau. Or les possibilités de mobilité, en l'état actuel des statuts, sont très restreintes. Si certains personnels d'Etat (les conservateurs) peuvent exercer leurs fonctions dans certains établissements municipaux (les bibliothèques municipales classées), c'est là l'exception. Exception au demeurant fort limitée puisque n'intéressant ni le personnel technique, ni le personnel d'exécution et, au surplus, ne jouant que de façon unilatérale, dans le seul sens Etat-communes. La nouvelle mobilité qu'appelle la notion de réseau implique, très au-delà, des échanges réciproques et à tous les niveaux. Le mécanisme de ces échanges requiert, à bien des égards, la mise en place de formules neuves et inédites. Celles-ci pourraient s'inspirer soit de la technique du détachement (en version simplifiée) soit de celle de la « mise à disposition » (en version officialisée).

    Réalisable sans trop de difficultés entre établissements relevant de personnes publiques, cette mobilité pourrait-elle être étendue au personnel d'institutions privées ? En l'état actuel des conceptions qui prévalent dans notre pays, où la fonction publique est nettement séparée et autonome par rapport au monde du travail privé, la chose est difficilement pensable. S'il est donc assez logique d'y songer le réalisme commande, peut-être, de ne pas attendre que l'on avance beaucoup dans cette direction. Le rapport Pingaud semble implicitement adopter ce point de vue. S'il préconise « la plus large mobilité» il ne l'envisage en effet que « d'un corps à l'autre », c'est-à-dire, en fait, uniquement au sein de la fonction publique.

    III. La prise en compte de la dimension déontologique du métier de bibliothécaire

    Ce thème est, assurément, délicat à aborder. Prendre en compte, au niveau des statuts du personnel, la dimension déontologique du métier de bibliothécaire suppose en effet, ce qui ne va peut-être pas de soi pour tout le monde, l'admission de deux propositions préalables. La première est de considérer qu'il existe véritablement une déontologie de ce métier, c'est-à-dire un code de morale professionnelle assez bien établi pour pouvoir être formulé et suffisamment reconnu pour être admis comme constituant la règle de conduite de toute la profession. La seconde est de tenir que le respect de ce code présente une importance sociale suffisante pour qu'il soit justifié de lui donner une assise de caractère juridique.

    Dans le cas de diverses professions, y compris au sein de la fonction publique, une telle démarche a débouché sur des solutions intégrant effectivement déontologie et statut juridique professionnel. Cette situation se rencontre, au fond, chaque fois que l'exercice d'une activité professionnelle coïncide avec la détention d'un certain magistère (ou pouvoir) social, que ce dernier soit de caractère pédagogique (enseignants), juridique (magistrats, avocats) médical (médecins) ou informationnel (journalistes). L'opportunité d'une semblable reconnaissance, dans le cas des bibliothécaires, pourrait ainsi se justifier compte tenu du rôle, à la fois d'information, d'éducation et de promotion culturelle joué par l'institution dont ils ont la charge.

    Si donc ce pas était franchi, et peut-être l'option de décentralisation qui va rapprocher pouvoirs locaux et bibliothèques co.nstitue-t-elle un argument assez fort pour qu'il le soit, sa traduction juridique au niveau des statuts pourrait être envisagée de plusieurs manières.

    Une option minimum consisterait à insérer dans les statuts une disposition établissant et précisant les domaines dans lesquels l'action des bibliothécaires ne relève que de règles déontologiques (et non de directives hiérarchiques de l'autorité dont dépend son établissement).

    On peut, en première analyse, y inclure trois aspects de leur rôle. Le premier est de garantir le pluralisme quant à la composition des fonds de la bibliothèque. Si celle-ci constitue bien un service public, elle doit offrir à toute la population des oeuvres exprimant toutes les sensibilités et toutes les opinions. Manquer à cette exigence serait la faire dévier, avec tous les risques que cela comporte, vers une fonction dévaluée de gardienne du conformisme ou, pis encore, de propagandiste de l'idéologie du pouvoir. La crédibilité d'un médium d'information, l'exemple de la radio-télévision l'a suffisamment démontré, est inversement proportionnelle à sa dépendance du pouvoir. Qui, mieux que les professionnels des bibliothèques, peut garantir ce pluralisme et donc cette crédibilité ?

    Le second est de garantir un bon niveau de qualité des fonds de la bibliothèque. Si celle-ci ne doit pas s'interdire de proposer des lectures faciles et distractives, il serait assurément regrettable qu'elle s'en tienne à cela. En cette matière encore le bibliothécaire, comme spécialiste et professionnel du livre et des médias, peut être considéré comme le meilleur gérant possible de cette qualité.

    Le troisième enfin est de garantir la confiance des lecteurs. Savoir ce que lit une personne c'est accéder à un puissant moyen d'investigation de sa personnalité intime. Il convient donc que soit absolument garanti l'anonymat des lectures effectuées par les usagers de la bibliothèque d'autant que l'informatisation des fichiers offre des possibilités redoutables en cette matière. Les bibliothécaires, ici encore, peuvent se voir investis de responsabilités personnelles et particulières.

    Les statuts, dans la perspective qui vient d'être esquissée, pourraient être ainsi enrichis d'une disposition instituant les bibliothécaires « garants de la confiance des lecteurs ainsi que du pluralisme et de la qualité des fonds». Cette reconnaissance officielle leur permettrait, préventivement, de se trouver en meilleure situation pour résister aux pressions qui viendraient à s'exercer sur eux en ces matières. Elle pourrait également jouer un rôle, à posteriori, dans la solution de conflits qui viendraient à naître.

    L'option maximum consisterait, au-delà de cette reconnaissance officielle de certaines règles déontologiques, à mettre en place un dispositif particulier tendant à assurer leur strict respect. Ce dispositif pourrait consister dans un aménagement de la procédure disciplinaire pour tous les conflits mettant en cause les règles déontologiques. On pourrait poser, par exemple, qu'il y aurait alors lieu à un jugement effectué exclusivement par des pairs. Il pourrait également consister dans la création d'une instance d'arbitrage nationale ou locale, qui interviendrait, avant ou en dehors de toute action disciplinaire pour arbitrer les différents nés sur le terrain de la déontologie professionnelle.

    Les réflexions qui précèdent, on a pu le constater, présentent à l'occasion un caractère assez personnel. Elles se veulent surtout introduction à un débat. La poursuite de ce débat est de la responsabilité des parties prenantes responsables et intéressées : associations professionnelles, syndicats, pouvoirs publics. A elles d'apprécier si et comment il convient de la poursuivre et, éventuellement, d'en tirer des conclusions pratiques.