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Le service des archives du film du centre national de la cinématographie

1982

    Le service des archives du film du centre national de la cinématographie

    Par Monique Lambert

    POSER le principe que le cinéma n'est pas seulement une industrie, mais aussi un art, c'est admettre que le film ne doit plus être considéré comme un simple produit économique fongible, mais bien comme une richesse culturelle.

    Dès lors naît l'obligation de préserver de la perte ou de la destruction les éléments de ce patrimoine nouveau et de les conserver pour les transmettre aux générations futures, à l'instar de ce qui est fait à l'égard des oeuvres des arts traditionnels» (1) .

    La création du Service des Archives du Film du Centre national de la Cinématographie (2) a été décidée en 1969 par André Mal-raux, alors ministre des Affaires culturelles. A partir de cette date des crédits furent prévus pour assurer la construction de locaux destinés à recevoir des films et à les conserver dans des conditions techniques satisfaisantes grâce à l'affectation de moyens financiers relativement importants. En effet, la conservation des films est très onéreuse, il suffit, pour s'en convaincre, de savoir que les normes de conservation préconisées par la fédération Internationale des Archives du Film exigent, pour le noir et blanc, le maintien permanent d'une température de 12° C + 2° et d'une humidité relative de 50 % + 10% ; pour la couleur, une température de l'ordre de - 7° C est recommandée. Encore ne s'agit-il là que d'une conservation inerte des documents en leur état ; la plupart du temps, des travaux complémentaires de restauration sont indispensables, particulièrement pour les films antérieurs à 1953 qui ont pour la plupart été enregistrés sur un support en nitrate de cellulose voué, de par sa nature chimique même, à une autodestruction irréversible, (film « flamme »). Celà signifie des équipements spéciaux, des contrôles permanents, un environnement technique de type presque hospitalier, ainsi qu'un personnel spécialisé formé à ces tâches.

    Dès le 30 octobre 1968, date d'achèvement des premiers locaux,; le service des archives du film a été en mesure de recevoir des films en dépôt libre, de les répertorier, de les vérifier et d'en assurer la conservation dans les conditions optimales. A la fin de l'année 1980, après 12 ans de fonctionnement, le Service a reçu de 832 déposants près de 410 000 bobines de films (dont environ 5( % sur support nitrate), représentant plus de 5Î 000 titres, auxquels s'ajoutent environ 7) 000 bobines de documents d'actualités déposés dans le cadre de conventions particulières (S-N Pathé Cinéma, Gaumont, I.N.A.).

    Ainsi est née peu à peu chez les détenteurs de toutes origines - producteurs, distributeurs, laboreatoires, auteurs, administrations, collectionneurs, amateurs... - l'habitude de déposer au Service des Archives du Film leurs documents filmiques, pour être conservés dans le plus strict respect des droits des ayantsdroit légitimes.

    En outre, le décret n° 77-535 du 23 mai 1977, relatif au dépôt légal des oeuvres audiovisuelles, décret pris en application de la loi du 21 juin 1943 a confirmé la mission du Service. Par protocole d'accord signé avec la Bibliothèque Nationale et l'Institut National de l'Audiovisuel en date du 29 novembre 1977, c'est en effet au Centre National de la Cinématographie (Service des Archives du Film) qu'incombent la conservation et le catalogue des films cinématographiques, autres que ceux dont la première diffusion intervient sur les antennes des sociétés de programme de télévision.

    Installé sur le terrain de l'ancienne batterie militaire de Bois d'Arcy (Yvelines), sur une superficie d'environ 5 hectares, le Service des Archives du Film compte à l'heure actuelle une soixantaine d'agents répartis en plusieurs sections distinctes :

    • * administration-secrétariat-régie :
      • Relations avec les déposants, gestion générale. Planning. Courrier. Comptabilité. Etudes générales. Conservation.
    • * mouvements et stocks:
      • Stockage. Organisation et contrôle des mouvements (réception des arrivages, sorties temporaires, retraits, organisation des mouvements intérieurs).
    • * vérification-montage :
      • Inventaire et examen technique des documents déposés. Rédaction des fiches d'inventaire par bobine. Tous travaux de montage et comparaison d'éléments.
    • * laboratoire:
      • Tous travaux de restauration, réparations, traitement de surface, contretypages, copies.
    • * documentation :
      • Constitution des dossiers de dépôts. Fichiers. Catalogue. Identification. Recherches documentaires et enquêtes. Gestion de la Bibliothèque de travail et des matériels annexes (affiches, photos, manuscrits, scénarios).
    • * maintenance :
      • Sécurité. Entretien technique des installations et équipements. Ateliers mécanique-électricité.
    • * études et recherches techniques :
      • Toutes études et recherches ayant pour objet de mieux définir les conditions d'une conservation à long terme des enregistrements cinématographiques. Etude des matériels spéciaux de restauration.
    • * dépôt légal:
      • En liaison avec la Bibliothèque Nationale, toutes interventions administratives pour l'application du décret du 23 mai 1977.
    • * cinéculture :
      • Gestion et distribution physique des films de la Cinémathèque du Ministère de la Culture et de la Communication.

    A leur arrivée, les films font l'objet d'un contrôle global portant sur le nombre de boîtes, les titres, la désignation des éléments. Les bobines sont aussitôt soumises à un tri permettant de séparer les documents « nitrate » des films de sécurité, et de les stocker dans des bâtiments séparés.

    A ce stade, certains éléments de travail (chutes, doubles, éléments de prémélange et de trucage) peuvent éventuellement être refusés. Les boîtes d'origine sont automatiquement remplacées par des boîtes en polyéthylène.

    Un bulletin d'entrée est adressé au déposant.

    Les bobines passent ensuite à la section « vérification », qui en assure l'examen détaillé (état chimique et physique, retrait, cotation du support) en conformité avec la norme AFNOR NF S 20-004 (« détériorations subies par les films »). Cette section procède aux tests d'état chimique, pour les films nitrate, de manière à juger de l'état de décomposition plus ou moins avancé des supports et à préciser l'urgence des contretypages éventuels.

    Il est rédigé une fiche d'inventaire par lot d'éléments de même nature (négatif, copie, etc.). Ces fiches sont ensuite assemblées en dossiers de dépôt et transmises au déposant.

    La section « laboratoire effectue, pour les documents les plus atteints, les travaux de transfert sur support de sécurité, après avis de la commission des archives du film.

    Les travaux de développement, effectués jusqu'à présent en liaison avec les laboratoires cinématographiques professionnels, vont prochainement être réalisés sur place dans un bâtiment en cours de construction. Les travaux de réparation, de lavages, et les principaux traitements de surface, sont d'ores et déjà effectués exclusivement par le service.

    La section d'archivage et de documentation assure la liaison administrative avec les déposants. Elle gère l'ensemble des fichiers du service (fiches « entrées », fiches synoptiques, fiches enquêtes, fiches déposants). Elle effectue en outre des recherches filmographiques nécessaires pour compléter les renseignements devant figurer sur les fiches signalétiques, en vue de la préparation des catalogues, ainsi que les identifications de documents anciens - souvent déposés sans générique ni information d'inventaire. Elle peut également entreprendre des recherches documentaires sur profil, pour le c ompte de professionnels ou spécialistes.

    Cette section reçoit en outre tous les matériels se rapportant à l'histoire du cinéma : photographies, affiches, matériels publicitaires, scénarios et découpages, maquettes, dont elle assure l'enregistrement, le dépouillement et la conservation en vue de leur communication éventuelle aux chercheurs spécialisés. Elle assure également l'organisation de la consultation, pour les documents dont la situation juridique et l'état permettent d'envisager la présentation aux chercheurs habilités, exclusivement dans les locaux du service.

    Une bibliothèque de travail reçoit également tous les ouvrages et les revues se rapportant au cinéma, à son histoire et à ses techniques.

    Enfin le Service a commencé d'entreprei Jre un catalogue scientifique et systématique de la production cinématographique française, des origines à nos jours ; ce catalogue sera publié sous la forme de fascicules par années et couvrira en principe, non seulement la production dite « commerciale » de longs métrages, mais aussi les actualités et toute la production spécialisée (films scientifiques, techniques, films divers à diffusion restreinte).

    Toutes les informations essentielles ainsi recensées par la section documentation permettraient à court terme la création d'une banque de données gérées par ordinateur (logiciel MISTRAL), qui s'enrichira au fil des années.

    Enfin, le service rassemble, notamment par voie de donations, des matériels anciens, vieux appareils de prise de vues, de projection, de laboratoire, qui constituent autant de témoignages de l'évolution d'un art et d'une technique au service de la communication (plus de 800 appareils recensés à ce jour et progressivement restaurés et identifiés). L'ensemble des documents et matériels muséologiques ainsi rassemblés permet au service d'apporter, chaque année, son concours à l'organisation d'expositions, rétrospectives, et manifestations culturelles tendant à mieux faire connaître le cinéma sous toutes ses formes. « Cinéculture » comporte à son catalogue 270 titres de films, en 16 mm (pour l'essentiel des films d'art, ou sur l'art), dont les droits de diffusion non commerciale ont été acquis pour la France. Ces films, prêtés aux services et associations relevant du Ministère de la Culture, atteignent chaque année plus de 120 000 spectateurs.

    La commission des archives du film, constituée par décision du Directeur Général du C.N.C., est appelée à donner son avis sur toutes les questions intéressant la mission et le fonctionnement du service, et notamment sur ses programmes de recherches et de travaux de contretypage. Elle est composée de représentants des différentes branches de la profession et d'experts.

    Depuis 1974, le Service des archives du film est membre-observateur de la Fédération internationale des archives du film.

    Dans la mesure où le permet le programme de travaux approuvé par la Commission des archives du film et propre au service - transfert progressif des anciens films en « nitrate » sur supports de sécurité - celui-ci peut également accepter d'effectuer, pour des tiers, certains travaux spéciaux de tirage, à titre onéreux. Il s'agit en particulier d'établissement de marrons ou contretypes, à partir d'originaux « nitrate » ou de films en formats spéciaux (28 mm, 17,5 mm, 9,5 mm). La possibilité d'exécution de ces travaux est principalement réservée aux déposants du matériel original.

    Etant donné la nature très spéciale des opérations de restauration des films anciens, celles-ci sont effectuées après établissement d'un devis préalable, approuvé par le demandeur, et versement d'un acompte provisionnel.

    Dans les mêmes conditions, le service peut assurer l'expertise de copies ou de négatifs destinés à des travaux de laboratoire.

    Le service des archives du film peut également effectuer un certain nombre de recherches ou d'enquêtes, notamment dans le cas où celles-ci ont pour objet de mieux faire connaître certains aspects de l'histoire du cinéma, ou de contribuer à la conservation du patrimoine cinématographique (localisation de documents filmiques, analyses de contenu, recherches documentaires diverses). Ces recherches, si elles sont importantes, peuvent faire l'objet d'une facturation.

    La consultation de certains documents est possible, dans les conditions suivantes :

    • le servive dispose d'une autorisation de consultation de la part du déposant ;
    • la consultation a pour objet une recherche précise, présentée par une personne habilitée (professionnel, chercheur, universitaire) justifiant de ses titres ;
    • la nature et l'état physique et chimique du matériel en permettent l'examen, sans préjudice pour sa bonne conservation ;
    • le consultant doit acquitter les frais de présentation.

    Quelques chiffres (3) permettent d'apprécier l'activité du service et les résultats acquis depuis sa création (états arrêtés au 30 avril 1980) :

    Nombre totale de boîtes en dépôt régulier (à ces dépôts, s'ajoutent des documents déposés dans le cadre de conventions particulières - notamment des « journaux d'actualités »,- dont le total s'élève à environ 70 000 boîtes 408344

    Nombre total de titres correspondants à ces dépôts ...................... 53566 Nombre de déposants 832

    Nombre de bobines de films vérifiées avec fiches établies 92960 Nombre de dossiers de dépôts constitués 16999

    Nombre de testes chimiques effectués sur les films à support nitrate ....... environ 205000

    Pourcentage estimatif des films muets déposés (antérieurs à 1929) ...... environ 25%

    Proportion des films trouvés en état de décomposition plus ou moins avancée environ 15%

    Nombre total de titres de films pour lesquels une matrice d'archive a été établie, après restauration ............. 795 Nombre total de fiches « Enquêtes » ouvertes ... 6 507 Nombre total d'affiches de films enregistrées .... 6685

    Nombre total de photos de films enregistrées (dépouillement en cours pour environ 100000 autres clichés) ............. 29627 Nombre total de scénarios enregistrés ........ 23410 Appareils anciens environ 800

    Il convient de noter qu'un effort particulier a été engagé au plan de la réalisation d'équipements techniques appropriés, de nature à permettre l'éxécution des travaux de transfert des vieux films sur les supports actuels, plus fiables. Cette action a pu être entreprise notamment grâce au concours apporté par les crédits « recherche » du Ministère de la Culture qui a permis la mise au point d'un programme continu de recherches techniques, dans un domaine où des équipements souvent très spéciaux doivent être créés.

    Dans le cadre du Plan, il est envisagé de poursuivre le programme nécessaire, non seulement des constructions prévues par le projet initial, mais encore de doter le service de compléments d'équipements et de matériel répondant à ses besoins. Dans le même temps, l'étude des conditions optimales de conservation et des procédés techniques de traitement est poursuivie, en liaison avec les principaux organismes internationaux similaires.

    D'autre part, une action importante a été engagée au niveau du catalogue systématique de la production française, des origines à nos jours, pour lequel un plan d'organisation a été établi. (Catalogue de la production 1974 sous presse en 1980, catalogue des années 1975 à 1978 en cours de réalisation).

    De même, le recensement, la collecte et l'inventaire méthodique des matériels et documents qui constituent l'environnement du film, et témoignent du développement du cinéma et de ses techniques (appareils, affiches, photographies, manuscrits, maquettes...) doivent être poursuivis.

    Cette entreprise, qui se développe au gré des crédit mis à sa disposition, devrait permettre de rassembler graduellement le patrimoine cinématographique et de le répertorier méthodiquement pour en permettre la communication, avec l'autorisation des ayants-droit, à tous ceux qui, en nombre grandissant, font appel au film comme moyen de connaissance et d'information.

    En accomplissant ces diverses missions, le Service des archives du film du Centre national de la cinématographie est appelé à devenir l'un des plus importants centres mondiaux d'archivage du patrimoine audiovisuel.

    1. Frantz Schmitt : « Le Service des Archives du Film du Centre national de la cinématographie » in la Gazette des archives, 4ème trimestre 1980, n.s., N0111 (p. 315). retour au texte

    2. Service des Archives du film, 78390 Bois d'Arcy - T. (16)-(3)-460.28.79 et 460.20.50. retour au texte

    3. Extrait de la brochure sur « Le Service des Archives du Film », publiée par le Centre national de la cinématographie, 1980 (p. 13-14). retour au texte