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    Vers une autre conception du fonds local

    Par Germaine Frigot

    L'article qui va suivre rend compte d'une expérience typiquement parisienne. Il n'est pas a priori certain qu'il concerne les bibliothécaires des autres régions. Toutefois, en y regardant de plus près, plusieurs d'entre eux se trouvent probablement, face aux fonds locaux, dans des situations assez proches de celles de leurs collègues parisiens. Ce peut être le cas des responsables de Bibliothèques centrales de prêt, de bibliothécaires de villes nouvelles ou, simplement, de petites villes « sans histoire » pour lesquelles la bibliothèque municipale est classée la plus proche joue un peu le rôle de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris (BHVP).

    Constat de carences

    D'abord une évidence : il n'existe pas (à de rares exeptions près) de fonds local par quartier ou arrondissement dans les Bibliothèques municipales de la Ville de Paris. Une seule grande bibliothèque d'études, la BHVP, a pour vocation de réunir et de conserver la documentation imprimée et photographique qui concerne la capitale. Situé à proximité, le Musée Carnavalet abrite des collections complémentaires : objets, tableaux, gravures ayant trait à l'histoire de Paris. La BHVP s'est beaucoup enrichie naguère de dons, qui lui ont été faits par des bibliothécaires trop zélés pour lesquel la lecture publique égale uniquement livres neufs. Ils ont un peu trop vite jugées encombrantes et obsolètes des monographies datant du siècle dernier dont l'aspect était légèrement poussiéreux et dont la typographie semblait peu attrayante.

    Demande du public

    Ce fut une erreur. Certes excusable - mais néanmoins assez grave car, presque dans le même temps, une demande de la part du public commençait à apparaître et n'allait cesser de s'amplifier. Renvoyer les éventuels lecteurs vers la BHVP devenait de plus en plus difficile car quels étaient les plus gros « demandeurs » en matière d'histoire ou de géographie locale ? Les écoliers. On imagine mal des groupes de pré-adolescents envahissant (avec les meilleures intentions du monde) la belle salle de lecture de l'Hôtel Lamoignon (1) 1 Au sujet des scolaires une remarque s'impose : venir faire des recherches à la bibliothèque de leur quartier ou de leur arrondissement n'est habituellement pas leur première démarche, mais la seconde. Presque toutes les investigations commencent par un très court passage à la Mairie annexe (devenue depuis peu Mairie d'arrondissement) qui pour les mêmes raisons que la bibliothèque - centralisation excessive - se trouve dans une situation identique, c'est-à-dire sans archives particulières.

    Il a donc fallu faire quelque chose pour répondre aux sollicitations de ceux, qui à cette occasion, découvraient la bibliothèque et ce, d'autant plus que les adultes devenaient en plus grand nombre et à leur tour des utilisateurs potentiels. Un véritable phénomène de société a provoqué un intérêt certain pour l'environnement et une envie accrue de partir la recherche de ses origines, de ses racines. Evidemment les adultes sont, en principe, susceptibles de fréquenter la Bibliothèque historique, mais au moins 50 % d'entre eux ne se montrent guère satisfaits de cette suggestions. Le uns se disent trop âgés pour se déplacer loin de leur domicile, d'autres top occupés pour passer des journées entières à une table de lecture, d'autres encore, sans toujours l'avouer, se trouvent effayés par l'abondance de la documentation et le maniement des catalogues sur fiches. Beaucoup désireraient emporter un livre ou se procurer immédiatement la photocopie de quelques articles. Enfin, il existe une catégorie d'usagers qui n'a besoin que d'un renseignement rapide et précis du genre adresse et numéro de téléphone de tel ou tel organisme et qui espère, à juste titre, que la bibliothèque sera en mesure de fournir une réponse.

    Les supports et leur acquisition

    L'absolue nécessité de créer ou de recréer le fonds local s'est donc imposée. Mais comment procéder ? A part le Bulletin municipal officiel (de lecture fort indigeste) et son supplément mensuel (plus agréable, mais succinct) la presse locale parisienne brille surtout par son absence. Les rares tentatives pour en proposer une ont échoué. La place que Le Quotidien de Paris et Le Parisien accordent à la vie et à l'histoire des quartiers se restreint de plus en plus. Par ailleurs, les livres récents sur ces sujets font, eux aussi, cruellement défaut. Face à une pléthore de livres concurrents et répétitifs consacrés au Paris touristique et a ses grands monuments, un seul éditeur, Henri Veyrier, a eu la vélléité de publier de véritables monographies locales. Mais le terme « vélléité » est employé à dessein car, en une dizaine d'années, la collection n'en est encore qu'à son sixième titre. Or ce n'est pas pour se renseigner sur la Tour Eiffel ou l'Arc de Triomphe de l'Etoile que les jeunes de l'Est parisien, par exemple, se précipitent à la bibliothèque voisine de leur domicile. La conséquence qu'il faut savoir en tirer est qu'aucun abonnement à un périodique en cours et aucune commande établie après consultation du CEF n'est capable de combler ce grand vide.

    Il convient toutefois de corriger légèrement ce qui vient d'être dit sur l'absence de presse locale. Celle-ci existe sous une apparence partiale et partielle, type bulletins paroissiaux (ou chrétiens d'arrondissement), organes de partis politiques (particulièrement florissants en période de campagne électorale), publications « underground (à l'existence éphémère), etc. La matière en est souvent assez pauvre, mais leur conservation ne s'en impose pas moins ; la confrontation des points de vue, parfois radicalement opposés, s'avère, en fin de compte, enrichissante. An ne pas négliger non plus, la facilité avec laquelle la bibliothèque en obtient des spécimens gratuits ainsi que d'éventuels réassortiments. Pour en finir avec la presse, les périodiques nationaux ne sont pas totalement inutiles dans le domaine local : événements, faits divers, rappels historiques s'y trouvent de temps à autre, au gré des circonstances. Le découpage des articles de périodiques non conservés, la photocopie de certains passages dans les autres seront nécessaires.

    Dans le même ordre d'idée, les tracts, dépliants, fascicules et affiches de groupements, associations, théâtres... constituent une réserve précieuse utilisable de deux manières. Propres à l'information lorsqu'ils sont d'actualité, ils faciliteront plus tard la recherche documentaire.

    Le livre ancien ou « semi » ancien devrait, pour le sujetqui nous préoccupe, retrouver sa place en Lecture publique ? La fin du XIXesiècle, voire le début du XXe, abondait en écrits locaux, peut être parce que les voyages étaient alors plus rares. Les bouquinistes, brocanteurs, libraires spécialisés possèdent encore ces publications. La quête en est parfois longue, mais nullement désagréable. Que le volume se trouve en plus ou moins bon état est relativement secondaire ; fraîchement relié ou - ce qui est de toute manière préférable - mis en réserve, il ne risque pas d'offusquer la vue.

    Le livre moderne, malgré la carence déjà soulignée, procure, de temps en temps d'heureuses surprises. Evidemment, l'ouvrage consacré au secteur qui concerne la bibliothèque sera détecté rapidement et acquis en exemplaires multiples.

    Outre les monographies particulières, de livres plus généraux, destinés au fonds encyclopédique, viendront parfois enrichir la documentation locale. Des romans, entre autres ceux qui appartiennent au genre « policier », peuvent être situés dans un quartier déterminé ; leur apport descriptif et sociologique est indéniable. D'autres livres sont à utiliser partiellement sous forme d'extraits photocopiés : biographies de personnages célèbres, romans ne faisant que de brèves allusions à un lieu déterminé et aussi ces innombrables guides pratiques mentionnant les hôtels, restaurants, magasins...

    Divers supports complémentaires, souvent exclus de la bibliothèque lorsqu'il s'agit des autres domaines, s'ajouteront à cette base universelle que constitue livres et périodiques.

    a) Les cartes postales anciennes et modernes. Il serait dommage d'exclure ces dernières, très courantes et peu onéreuses, qui permettent d'emblée une comparaison entre l'aspect passé et l'aspect actuel d'un même lieu et dont la valeur esthétique est quelquefois très grande, oeuvres de photographes renommés ou reproductions de tableaux.

    Pour les anciennes, la vogue de la cartographie constitue à la fois une aide et un entrave. Aide, car jamais les occasions de se procurer des cartes postales n'ont été aussi nombreuses ; entrave, car la loi de l'offre et de la demande fait monter les prix dans des proportions considérables. Toutefois, les objectifs des collectionneurs particuliers et ceux des bibliothécaires ne sont pas tout à fait les mêmes ; si les premiers préfèrent les cartes « animées », avec des personnages en actions (les plus chères) les seconds trouveront de l'intérêt même à un coin de rue désert, surtout si des transformations importantes sont intervenues entre 1900-1910 - grande époque de la carte postale ancienne - et nos jours. Ainsi un fonds conséquent peut déjà se créer avec les laissées pour compte des collectionneurs. Autre remarque, il vaut mieux éviter d'acheter ses cartes près du lieu concerné ; plus on s'éloigne moins les amateurs sont nombreux, ce qui fait automatiquement baisser les prix. Bien sûr, il faudra en arriver un jour aux acquisitions de cartes postales plus rares et plus onéreuses mais pas avant de disposer déjà d'une large collection ; la fréquence des achats tendra alors à se restreindre mais les dépenses globales ne varieront guère.

    b) Les photographies et les reproductions photographiques de documents anciens possèdent les mêmes caractéristiques de complémentarité que les cartes postales anciennes et modernes. Selon les moyens que possède la bibliothèque, le responsable s'adressera à des agences photographiques, commandera des travaux à un professionnel, utilisera les services d'un photographe attaché à une collectivité donnée, prendra contact avec des clubs de photo... Il serait, par ailleurs, souhaitable que la bibliothèque possédât elle-même un appareil photographie toujours prêt à fonctionner afin d'être en mesure de conserver la trace d'un évènementqui peut se produire inopinémentaux alentours ainsi que celle de ses propres manifestations qui font partie du patrimoine local au même titre que celles qui se produisent à l'extérieur.

    c) Les estampes se procurent de la même manière que les livres épuisés et en suivant le même type de progression que pour les cartes postales ; c'est-à-dire en commençant par les plus courantes (gros tirages) pour aboutir, lorsque l'opportunité s'en présente, à des documents d'une valeur plus importante. Cependant, des volumes illustrés hors d'usage peuvent aussi être découpés et prendre place parmi les estampes.

    d) Les cartes et plans figurent certainement dans toutes les bibliothèques mais pense-t-on toujours que bien des éditions successives sont nécessaires ainsi que des cartes géologiques fréquemment réclamées par les écoliers et lycéens ? Tous les supports énumérés prennent place dans les bibliothèques les plus traditionnelles. Celles qui possèdent un équipement multimédias y ajouteront, naturellement, documents sonores, montages diapos, vidéo, etc.

    Présentation et communication

    Jusqu'ici, il n'a été question que de la collecte des documents. Il convient maintenant de dire quelques mots au sujet de leur présentation et de leur communication. Il va de soi que tout dépend du support.

    Les livres, les périodiques entièrement locaux, les plans, les éventuels audiovisuels demeureront dans les état premier ; ils seront enregistrés, catalogués, communiqués séprarément au fur et à mesure des demandes. En revanche, plusieurs autres supports peuvent être regroupés en dossiers thématiques : cartes postales, photos, gravures, coupures de presse, extrait de livres. Compte-tenu du public utilisateur, on a pu remarquer que des textes sans illustrations, des cartes postales sans notices explicatives le rebutent rapidement et qu'il n'en retire pas tout le profit souhaitable. Il n'a pas toujours non plus la patience de consulter à la file différents cartons, boîtes, albums pour en effectuer seul la synthèse. Des dossiers composés autour de sujets précis répondront pleinement à son attente. Ces sujets se déterminent en fonction des ressources et des caractéristiques présentées par le territoire ; également en fonction du nombre de documents que la bibliothèque possède sur tel ou tel thème. Toutefois, comme le fonds de départ est appelé à s accroître indéfiniment, l'utilisation de classeurs à feuillets mobile semble s'imposer. Eux seuls permettent de classer immédiatement, à la place qu'elle doit occuper, toute nouvelle acquisition. Face à cet avantage, le système possède un grave inconvénient, celui de faciliter les possibilités de vols. Pour les limiter, plusieurs précautions sont à prendre : éviter le libre accès, prévoir une numérotation (même provisoire) des documents, feuilleter le classeur en présence de l'emprunteur dès restitution et, surtout, conserver en lieu sûr le maximum de documents originaux, des doubles étant réservés à la communication (cette restriction ne vaut pas pour les photos dont le bibliothécaire possède ou sait comment retrouver le négatif). Une distinction très nette sera aussi établie entre ce qui peut être prêté à domicile et ce qui doit obligatoirement demeurer sur place. L'usager disposera d'un catalogue détaillé du fonds local qui lui permettra de demander ce qu'il ne trouvera pas en libre accès. N'est-ce pas alors transformer la Bibliothèque publique en Bibliothèque d'études, objectera-t-on ? Non, car la partie très protégée est relativement faible, les originaux demeurent à proximité de la salle en libre accès et peuvent faire l'objet d'une reproduction immédiate, le passage par le catalogue surfiches, suivi d'un bulletin écrit pour obtenir un dossier, nullement obligatoire ; le personnel de surveillance dans la salle répond sans peine à toute demande verbale.

    Bien entendu, la constitution et l'accroissement d'un fonds composé d'éléments diversifiés, le classement, le catalogue exigent la présence d'un responsable de haut niveau, pourvu d'une culture générale étendue, d'une bonne connaissance du secteur sur lequel à travailler, capable de se constituer un fichier des sources d'acquisitions et, enfin, rompu aux techniques documentaires. L'idéal serait que le responsable occupât sa fonction à plein-temps. Faute de mieux- car le manque de personnel est un mal chronique - une personne particulièrement active pourra consacrer à cette tâche une dizaine d'heures par semaine.

    Financement

    Quelques probèmes de coût ont déjà été évoqués au passage. Ceux-ci sont d'ailleurs éminemment variables. Le principal obstacle est que le paiement sur mémoire administratif ne se pratique pas avec tous les fournisseurs. Quelques uns, cependant, l'admettent s'ils estiment que le montant des acquisitions en vaut la peine. De toute manière, les bibliothécaires auront intérêt à essayer de se procurer quelques liquidités, au moyen d'une association d'Amis de la bibliothèque, par exemple. Par ailleurs, bien des sources pour se procurer des documents gratuits (ou presque) sont exploitables : les legs, les dons, les échanges, le recours aux fonds des archives, musées et autres bibliothèques qui peuvent également céder un ouvrage possédé en exemplaires multiples, procéder à un échange ou fournir une reproduction.

    Utilisations multiples

    La documentation locale ne sert pas (ce qui serait déjà suffisant) qu'à contenter les lecteurs. Elle s'avère des plus utiles à la publicité, aux relations publiques et à l'animation. Un tract, un dépliant détaillé sur cet unique aspect de la bibliothèque, envoyé systématiquement aux enseignants de l'arrondissemnt, aura sans doute plus d'impact qu'une publicité générale. Il en ira de même avec certaines associations avec lesquelles ces contacts fructueux seront établis.

    Des éléments du fonds pourront être prêtés à des collectivités pour des présentations à l'extérieur de la bibliothèque qui touchera alors un nouveau public. Une bonne partie des personnes intéressées par la vie et l'histoire de leurs quartiers sont des passionnés du sujet qui possèdent leur propre collection ; si quelques une d'entre elles sont jalouses de leurs trésors, d'autres ne demanderont pas mieux que de es mettre, d'une manière ou d'une autre, à la disposition de la bibliothèque. Les fournisseurs sont également des personnages qu'il est souhaitable de rencontrer, qu'il s'agisse de photographes ou de marchands de « vieux papiers », car c'est avec leurs concours que des expositions, sur les sujets les plus divers, seront susceptibles d'être organisées. Naturellement, le fonds local lui-même est un bon prétexte à animation. Autour d'une exposition dont la matière première esttoute donnée, le sujet parfaitement connu, montages audiovisuels, films, conférences rencontreront sans nul doute un francs succès. La présentation du fonds en dossiers thématiques constitue une sorte de pré-synthèse. Elle fournit donc à certains lecteurs l'occasion idéale de l'utiliser à des fins de publication, d'écrire l'ouvrage qui n'existe pas encore. Des universitaires à la recherche d'un sujet de thèse ou de mémoire, des retraités désireux de meubler leurs loisirs s'empareront volontiers d'un domaine pour lequel une documentation importante se trouve déjà rassemblée. Le fruit de leurs travaux est donc appelé, à son tour, à enrichir l'ensemble, voire à faciliter encore les investigations des autres utilisateurs. Enfin, même si le cas est peu fréquent, rien n'empêche le bibliothécaire (sous couvert d'une Association loi de 1901) de se mettre en rapport avec un petit éditeur ou un imprimeur pour faire éditer reproductions de cartes postales anciennes, plaquettes, albums. Le produit des ventes servirait tout naturellement à l'accroissement de la collection.

    Réminiscence de Perrette et de son pot au lait ? Soit ! Mais même si la documentation locale ne demeure qu'une occasion de dépenses (et de travail) « supplémentaires », elle n'en reste pas moins un bon investissement, indispensable à l'image de marque de la bibliothèque. Il vaut mieux renoncer à l'achat de quelques titres dont la vogue sera passée lorsqu'ils prendront place en rayons au profitd'un fonds durable dont le succès ne se démentira jamais. Le lecteur sait bien que toute bibliothèque publique présente des lacunes. En revanche, il attend d'un établissement qui se doit d'être ancré dans son environnement qu'il lui fournisse tous les renseignements qui concernent cet environnement. Il ne faut pas le décevoir.

    1. - La Bibliothèque historique de la Ville de Paris est logée en l'Hôtel Lamoignon, 24 rue Pavée, Paris 4e. retour au texte