A est difficile lorsqu'on évoque la figure d'un collègue à qui vous liaient des années d'amitié et de travail en commun, d'exprimer avec des mots justes l'émotion dont vous a frappé sa disparition brutale. Ceux qui ont connu Maurice Piquard n'ont pas, bien sûr, oublié son sourire, sa courtoisie, et aussi le sens qu'il manifestait, en toute occasion, de la valeur et de la dignité de notre profession. Aux autres, il n'est peut-être pas inutile de rappeler le rôle qu'il joua dans le monde des bibliothèques, tant sur le plan international que sur le plan national, et, en ce qui concerne l'A.B.F., plus spécialement entre 1955 et 1962.
Il était né en 1906, à Roche-lez-Beaupré, dans cette Franche-Comté où il est venu mourir, province restée jusqu'au bout très proche de son coeur. On ne s'étonne donc pas qu'après des études au lycée de Besançon puis à l'Ecole des Chartes et un premier poste exercé pendant trois ans à la Bibliothèque de Troyes, il se retrouve à Besançon dès 1937. La Bibliothèque municipale, riche d'un fonds prestigieux, et la Bibliothèque universitaire étaient alors confiées à un seul responsable. Maurice Piquard resta seize ans dans ce double poste et, connaissant ses goûts et ses attaches locales, on imagine facilement qu'il aurait pu y accomplir toute sa carrière.
Mais Julien Cain avait jugé la personnalité de l'homme et la valeur du bibliothécaire. C'est pourquoi il le nomma en 1950 administrateur de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, puis songea à nouveau à lui quand fut créé en 1953 le poste de « conservateur en chef chargé de l'administration des bibliothèques de l'Université de Paris".
Deux ans plus tard, ce furent cette fois ses collègues qui l'appelèrent pour succéder à Pierre Josserand à la présidence de l'A.B.F. Dès son élection il prit à coeur d'assurer une participation française honorable au Congrès qu'avaient organisé en commun la F.I.A.B. et la F.I.D. et qui rassemble à Bruxelles en septembre 1955 plus de 1 200 congressistes. Désormais lui-même devait collaborer activement aux travaux internationaux. En 1957, il eut le plaisir d'accueillir à Paris la session annuelle de la F.I.A.B., réunie pour la première fois en France depuis la guerre. Au même moment, le Président de la Fédération, le Suisse Pierre Bourgeois, lui demandait de faire revivre la Commission de la formation professionnelle: il en anima les travaux jusqu'en 1967, après avoir en particulier rassemblé, en 1965 à la Sorbonne, les principaux responsables de cette formation dans les pays européens. Aussi lorsque en 1964 Julien Cain abandonna, en même temps que ses autres fonctions, celle qu'il occupait au Bureau de la F.I.A.B./ 1-.F.L.A., lui succéda-t-il comme vice-président: il siégea au Bureau exécutif jusqu'en 1969.
Ses responsabilités internationales ne l'avaient pas détourné pour autant des tâches qu'il devait asumer en France. Pour ce qui concerne l'A.B.F., il avait organisé en 1956, et en leur accordant la solennité que méritait une telle circonstance, les manifestations du Cinquantenaire de notre Association (1) . Sous sa présidence, des contacts plus étroits furent établis avec les collègues de province et diverses initiatives permirent d'élargir une action jugée souvent, et à juste titre alors, trop concentrée sur la capitale. C'est donc un bilan vraiment efficace qu'il put présenter lorsqu'il transmit en mars 1958 la présidence à Louis-Marie Michon.
A cette date personne n'aurait pu penser que le nouveau président exercerait si brièvement ses fonctions et qu'il ne serait plus en vie le 28 décembre de la même année. Dans cette situation dramatique, Mlle Myriem Foncin accepta de reprendre la charge qu'elle avait déjà exercée à la tête de l'A.B.F., mais à la condition d'être sérieusement épaulée. Maurice Piquard ne recula pas devant une vice-présidence nécessairement laborieuse et qui ne s'acheva qu'en 1962.
Bien entendu ces diverses activités au service de la collectivité ne l'avaient pas empêché d'être aussi présent qu'il était nécessaire dans ses fonctions à l'Université de Paris. Fonctions nouvelles dont il lui fallut définir l'étendue et les limites, non sans tiraillements parfois avec les chefs de tel ou tel établissement. Fonctions d'autant plus lourdes qu'à la même époque se préparait puis éclatait la crise d'où allaient sortir les « événements » de 1968. Maurice Piquard dut et sut faire face à de multiples difficultés et à l'élargissement de son rôle par la création de nouvelles bibliothèques. Toutefois, après seize années passées dans son bureau de la rue Cujas à des tâches purement administratives, on comprend qu'il ait souhaité satisfaire à nouveau ses goûts d'historien et de bibliophile (2) . Ses voeux furent comblés lorsqu'il obtint en 1969 la direction de la Bibliothèque Mazarine, qu'il assuma jusqu'à son départ à la retraite en octobre 1977. Moins agitées que les précédentes, ces huit dernières années d'activité professionnelle n'en furent pas moins fécondes. Dans le cadre admirable du quai Conti, il se consacra en effet à la remise en état de cette bibliothèque créée selon les volontés du Cardinal Mazarin. La restauration qui fut entreprise sous sa direction, devait à la fois lui rendre en grande partie son aspect originel et plus accessibles certaines des richesses qu'elle possède. En inaugurant les locaux ainsi rénovés, le Président Giscard d'Es-taing apporta un témoignage officiel à la réussite de cette restauration.
Arrivé à l'heure de la retraite, Maurice Piquard partagea d'abord son temps entre Paris et la maison familiale de Saint-Vit où Mme Piquard et lui-même retrouvaient enfants et petits-enfants. C'est dans cette même maison qu'à l'automne 1982, il avait décidé de s'installer de façon permanente : de ce dernier espoir il devait bien peu jouir, puisqu'il succomba à un mal inexorable le 7 février 1983.