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Les plans départementaux de développement de la lecture publique

1983

    Les plans départementaux de développement de la lecture publique

    Par Pierre DUVERNOIS

    Les plans départementaux de développement de la lecture publique sont à l'ordre du jour. Suffiront-ils à résoudre tous les problèmes de décentralisation des établissements de lecture publique, notamment des bibliothèques centrales de prêt ? Essayons d'analyser le droit et le vécu.

    Ce que ça signifie au niveau des méthodes

    1 Ce qui se passe

    • 1 ) Dans chaque département une bibliothèque centrale de prêt :
      • * Avec circuits propres et indépendants ;
      • * Desserte en toile d'araignée autour d'un point central ;
      • Services communs en général au chef lieu de département ;
      • Départ des bibliobus tous les matins pour un circuit déterminé à l'avance comprenant de 4 à 8 points de desserte.
    • 2) Dans chaque département des bibliothèques municipales :
      • * Les plus importants, les bibliothèques municipales classées, avec une mission qui dépasse le cadre de la ville ou même du département ;
      • Une bibliothèque municipale dans chaque commune de plus de 10 0 000 habitants. Slogan du Ministère de la Culture qui peut changer les habitudes et comportements des élus locaux et des techniciens du livre pour le bénéfice des utilisateurs ;
      • Des bibliothèques municipales dans des communes de 3 à 5 000 habitants jusqu'à 10 000 ; là où la sensibilisation a pu être importante, où la commune joue un rôle d'appel pour les communes avoisinantes, dans un rayon d'action correspondantsouventau canton.
    • 3) Dans chaque département des bibliothèques spécialisées :
      • Des bibliothèques pour publics spécialisés : au niveau du lieu de travail (bibliothèques de comité d'entreprise), du lieu de séjour : bibliothèques d'hôpitaux, bibliothèques de prisons, bibliothèques saisonnières,...
      • Par catégories de population : bibliothèques d'écoles (CDI, BCD), bibliothèques confessionnelles, bibliothèques de lieux culturels.
    • 4) Eparpillement des moyens techniques :
      • * Des trajets trop longs en bibliobus ;
      • * Un temps trop court passé dans chaque point de desserte ;
      • * Des points de desserte très éloignés de la centrale et/ou à la porte d'une bibliothèque municipale.
    • 5) Eparpillement des moyens financiers :
      • * Saupoudrage sur chaque type de bibliothèque ;
      • * Les bibliothèques demandent à tous les niveaux financiers de par-ticiperà à leur gestion financière (local, communal, cantonal, départemental, régional, national) ;
      • * Financement simple et/ou croisé.

    II Ce qui pourrait se passer

    • 1 ) Rationalisation des moyens financiers :
      • * Rationalisation des efforts de l'Etat et des collectivités territoriales et des organismes publics ou privés bailleurs de fonds.
    • 2) Rationalisation des moyens techniques :
      • * Par mise en commun des bonnes volontés de tous les professionnels de la lecture ;
      • * Par introduction de l'outil informatique qui dans un centre dénommé Services Communs permettra le traitement rationalisé du catalogue et des prêts notamment (avec toutes les précautions d'usage sur la caractère anonyme de l'emprunteur)
      • Une reprise de l'outil informatique de tous les fichiers d'ouvrages disponibles dans le département qui permettra une meilleure connaissance et exploitation du patrimoine écrit et une politique concertée d'achat ;
      • Un développement du prêt d'ouvrages entre établissements.
    • 3) Formation de professionnels :
      • Rôle des services communs chargés de cette formation ;
      • A la base : celle des dépositaires de bibliothèques centrales de prêt, des aides (bénévoles ou indemnisées) dans les plus petites bibliothèques.
      • Recyclage des professionnels des types de bibliothèques mentionnées.
    • 4) Sensibilisation des élus et des usagers :
      • *Explication de la marche des services, du choix des usagers ;
      • * Campagnes de promotion autour du livre : animations, fêtes du livre, expositions.

    Comment se négocie un plan départemental

    1 Les Intervenants

    • 1) Les Ministère de la culture :
      • * Son rôle est primordial en la matière. C'est lui qui mobilise les autres intervenants.
      • Les circulaires : elles sont très récentes. Il a fallu attendre 1983 pour que le Ministère envoie des circulaires aux Commissaires de la République (Région, Département) et aux Conseils Généraux. Notamment une première signée Jack Lang, datée du 25 février 1983 et adressée aux Commissaires de la République Région et Département) et aux DRAC qui indique page 6 : « il vous est demandé dès cette année d'ouvrir avec les Assemblées départementales des discussions sur les problèmes de la lecture publique dans la prespective de l'éblissement d'un plan départemental. Ce plan pourra soit prendre la forme d'une convention spécifique, soit être intégré dans un projet de convention plus globale... un avenant ou une convention qui ne proposerait pas un plan de développement de la lecture ne pourra être conclu en 1983 ».

    Du coup la Direction du Livre et de la Lecture par ses circulaires du :

    • 16 mars 1983 : « Achat de mobilier destiné aux dépôts et aux bibliothèques municipales de petites communes » adressée aux Commissaires de la République.
    • 31 mars 1983 « Création d'emplois départementaux » adressée aux Présidents des Conseils Généraux.
    • 8 avril 1983 « Plans départementaux de développement de la lecture publique » adressée aux Commissaires de la République (Région et Département) et aux DRAC mettait au clair la décision ministérielle.

    Deux commentaires peuvent être faits :

    • * Certains départements n'ont pas attendu le feu vert ministériel pour élaborer un plan départemental de la lecture. L'initiative est souvent venue d'élus particulièrement motivés dans ce domaine ; quitte à ce qu'ils ne soient pas toujours suivis par leurs pairs (nous y reviendrons).

    De tels plans ont vu le jour dès 1982, voire 1981.

    • La circulaire du 8 avril 1983 qui définit le cadre à l'intérieur duquel doit se situer le plan oscille un peu entre l'état de droit, l'état de fait et le devenir des établissements, notamment des Bibliothèques centrales de Prêt, dans le cadre de la décentralisation. Avec par exemple, une volonté d'actualisation des comités consultatifs qui dans beaucoup de cas ne s'étaient jamais réunis (ou très peu), et dont le formalisme rendait mélancoliques beaucoup de collègues. Il est difficile d'imaginer que les élus participent en masse à ces comités alors que par ailleurs on les sollicite de façon plus dynamique pour élaborer les plans au mieux des intérêts de leurs départements. Cette circulaire a par ailleurs le grand intérêt de mettre noir sur blanc un certain nombre de pratiques professionnelles et administratives et de rappeler dans un même document la volonté du Ministère de doter les départements d'un infrastructure suffisante (informatisation des services, création de bibliothèques municipales dans toutes les villes de plus de 10 000 habitants, prêts de mobilier), et de voir la bibliothèque centrale de prêt jouer le rôle d'animation, coordination, harmonisation entre tous les partenaires du livre et de la lecture. Les plans départementaux doivent être faits impérativement avec le directeur de la bibliothèque centrale de prêt.

    La circulaire enfin mentionne des points de pratique déontologique auxquels la profession est attachée et qui devrontfaire l'objetd'une LOI sur les bibliothèques : gratuité, desserte de tous publics, ouverture des locaux...

    Elle ne donne pas d'indications sur la façon dont les plans doivent être faits, n'encourage pas les Préfets (ni ne les oblige) à créer des groupes d'élaboration représentatifs... Elle affirme l'importance de la bibliothèque centrale de prêt mais ne l'implante pas assez fortement dans ce plan : Services communs, rôle de formation professionnelle, conseil technique aux autres bibliothèques. Enfin on peut observer page 5 que la Direction du Livre souhaite que les conventions soient signées avant l'été 1983 alors que cette circulaire est arrivée fin avril dans les Préfectures.

    • 2) Les Directions Régionales des Affaires Culturelles :
      • Co-destinataires de la circulaire du 8.4.1983, elles sont chargées d'élaborer avec les Départements ces conventions. Dans la réalité, cela ne s'est pas toujours passé ainsi.
      • Elles ne sont pas toujours implantées dans les départements de façon à pouvoir se poser en interlocuteur reconnu. L'initiative a pu venir des élus, avec dans tous les cas connus une demande au Directeur de la bibliothèque centrale de prêt d'élaborer un dossier complet pour les instances départementales (Conseil Général).
      • Depuis la diffusion du premier plan départemental qui aitfait l'objet d'une convention Etat-Département (La Drôme), il semble que les DRAC aient eu pour mission du Ministère de favoriser l'élaboration de tels plans. Depuis les circulaires sus mentionnées, cette mission est officielle mais pas toujours bien remplie.
    • 3) Les Commissaires de la République :
      • Représentants directs du Gouvernement dans le département, les Préfets sont depuis mai 1982, et ce dans le cadre de la décentralisation et de la déconcentration, responsables et tuteurs des Services extérieurs de l'Etat ; notamment des bibliothèques centrales de prêt.
      • A ce titre, ils appliquent la politique gouvernementale. Dans la réalité, le Préfet n'est pas toujours motivé par le domaine culturel. C'est rarement une priorité à ses yeux. Il joue un jeu subtil avec l'Assemblée départementale. Suivant que cette dernière appartient à la majorité ou à l'opposition politique, la coopération se fera ou pas. Certains Directeurs de bibliothèques centrales de prêt se voient même interdire tout contact avec les élus. Indispensable en théorie, le Préfet n'est donc pas toujours l'interlocuteur privilégié. Il arrive aussi qu'il délègue son pouvoir au technicien, le bibliothécaire.
    • 4) Les Assemblées départementales
      • Jusqu'à la parution des circulaires de mars et avril 1983, assez rares étaient les Conseils Généraux qui s'étaient saisis du problème. Empiriques les Conseils Généraux ne voyaient pas la nécessité d'un plan, soit au contraire qu'ils l'ignoraient complètement. La sensibilisation à un tel plan venait dans tel département d'un élu par ailleurs rapporteur de la commission culturelle de l'Assemblée nationale ; dans tel autre, d'une réflexion des professionnels des bibliothèques.
      • Les circulaires de mars et avril 1983 incitent les Assemblées départementales à entamer une réflexion sur la lecture publique : elles assurent la départementalisation des bibliothèques centrales de prêt, subventionnent les créations d'emplois départementaux et engagent financièrement l'Etat pour la signature des conventions.

    Il Les négociations

    De façon normale, tous les intervenants cités ont un rôle à jouer. La réalité est complexe, selon les motivations des acteurs. Il est rare d'observer les Préfets prendre l'initiative de proposer un tel plan au Département. Certains ont transmis au Département les circulaires ministérielles. D'autres les ont bloquées. Comme on l'a vu, certains Directeurs de bibliothèques centrales de prêt ne peuvent entretenir de relations avec les élus. On assiste, en général, à un renforcement de leur pouvoir sur l'établissement. Ce qui correspond bien à la loi mais qui ne se traduit pas toujours de façon positive. Les élus (Conseillers Généraux) semblent plus motivés. Mais avec une certaine tendance à ramener les problèmes et projets à leur cantons.

    Le pouvoir de décision départemental qu'ils possèdent pleinement depuis mai 1982 se traduit par une gestion pleinement assumée des décisions et des finances départementales.

    On observe que les discussions relèvent parfois plus du partage (politique) du gâteau (départemental) où la culture (et la lecture) représente de toute façon une infime part, que d'un choix pleinement raisonné.

    Le DRAC peut jouer un rôle important de pondération et d'infléchissement des décisions. Il a l'inconvénient d'être un personnage un peu abstrait qui vient de la « Capitale régionale.

    Il ne connait pas toujours bien le terrain ni les enjeux réels.

    La lecture n'est pas toujours parmi les domaines prioritaires qu'il veut faire « passer » auprès des élus (Cf. l'absence de la lecture dans certaines conventions culturelles régionales à l'élaboration desquelles il a participé).

    Son rôle de pondération et de transmission de la politique ministérielle semble important.

    Rôle du Directeur de la Bibliothèque centrale de prêt

    Il a été volontairement séparé car il est très important. Lui seul a une connaissance technique du terrain :

    • * En amont le personnel « tournant » de la bibliothèque centrale de prêt, à savoir les sous-bibliothécaires et les chauffeurs, lui fournit des renseignements sur la façon dont fonctionne les dépôts, le prêt dépose des ouvrages. Ces renseignements recoupent sa propre connaissance du terrain lors de tournées qu'il effectue seul pour inciter les dépôts ou les bibliothèques municipales à se développer, ou en bus quand il assure des tournées.
    • * Les dépositaires et les utilisateurs des services du bibliobus le renseignent également sur la marche des établissements diffusant le livre et la lecture.
    • * Les statistiques fournies permettent aussi de se faire une idée de l'activié.
    • En aval II est à même d'avoir une vision prospective de son service : demandes d'extension quantitative ou qualitative, demandes de diversification : cassettes, audiovisuel...

    Compte-tenu de l'infrastructure culturelle du Département, de ses moyens financieres, de la configuration socio-géographique du Département, de la place que tient la bibliothèque centrale de prêt, des infléchissements donnés par le Ministère de la Culture en matière de livre et de lecture, le plan à l'élaboration duquel il doit participer sera différent.

    Un Département rural n'aura pas du tout les mêmes besoins qu'un Département très urbanisé où les infrastructures culturelles seront nombreuses et attirantes.

    • * Dans les discusions avec les élus et les pouvoirs publics, le Directeur de la bibliothèque centrale de prêt aura sans doute la meilleure connaissance du terrain et de la volonté ministérielle qui est la même pour les 94 bibliothèques centrales de prêt.

    Comment se fabrique un plan

    Il n'y a pas de recette comme nous l'avons montré. Le Directeur de la Bibliothèque centrale de prêt doit sans doute être la cheville ouvrière d'un tel plan tout en sachant s'effacer pour laisser la parole aux élus ; puis revenir à la charge pour maintenir les notions professionnelles, techniques ou éthiques auxquelles les professionnels des bibliothèques sont fermement attachés. (1) Il a la connaissance du terrain qui lui permet de dialoguer avec les élus. Le bon cas de figure est peut-être qu'un élu soit particulièrement motivé pour défendre un tel plan. Mais s'il n'a pas de lien structurel avec la bibliothèque centrale de prêt, il risque d'avoir ses propres schémas.

    La concertation risque de ne pas être suffisante, les autres élus déléguant leur pouvoir, le technicien risquant de se voir confiné dans le rôle d'exécutant. Si l'élu est par ailleurs membre de l'Association des Amis de la Bibliothèque Centrale de Prêt, cet organisme peut servir de structure de concertation déléguée par l'Assemblée départementale pour définir les besoins des parties prenantes à ce plan. Cela suppose que la dite Association soit représentative des forces vives du département, que l'administration et les utilisateurs y soient bien représentés, et que l'élu soit conscient des buts et des contraintes du service public.

    Il est bien rare que l'Administration (Préfecture) prenne localement l'initiative de la concertation. A défaut d'élément moteur, on a même vu un plan de développement se faire sans que le Directeur de la bibliothèque centrale de prêt y soit associé !

    Les enjeux au niveau national

    La circulaire 83-84 du Ministère de la Culture du 8 avril 1983 insiste dans sa conclusion sur une nécessité : « l'élaboration des plans départementaux ne doit pas être en contradiction avec la nécessité de réduire les inégalités qui existent actuellement dans le développement des différentes bibliothèques centrales de prêt. Je souhaite en conséquence que dans chacune de vos régions, priorité soit donnée aux départements les moins bien dotés ». Malheureusement la circulaire ne se donne pas les moyens, ne donne pas les recettes pour pallier à une telle disparité. On sait déjà que certains départements ont engagé jusqu'à 6 personnes (ou même plus) au titre de la lecture publique ; d'autres pauvres ou moins motivés n'ont pas ou n'envisagent pas d'embauché à court ou moyen terme. Cet exemple pris parmi d'autres montre bien a quel point une loi sur les bibliothèques et la lecture publique est indispensable « qui définisse clairement les obligations communes qu'ont l'Etat et les collectivités locales et territoriales de créer et faire fonctionner un réseau cohérent de bibliothèques qui garantisse à chacun des hommes et des femmes de notre pays l'accès libre et gratuit à l'ensemble de l'information ». (2) Une note de la Direction du Livre et la Lecture (DLL5) datée d'avril 1983 et intitulée : « Projet de loi sur les bibliothèques publiques » mentionne page 1 les conditions nécessaires pour que le transfert de compétence de Erar aux collectivités territoriales soit efficace : « une bonne organisation territoriale » et « une loi sur les bibliothèques publiques ».

    Si, comme nous l'avons vu, tous les professionnels sont impatients que cette loi voie le jour (et veulent être associés à sa préparation), l'organisation territoriale (avec sa dotation globale d'équipement et sa dotation globale de fonctionnement) implique peut-être plus dans le domaine des bibliothèques que les plans départementaux de la lecture publique, si précieux soient-ils une fois qu'ils ont fait l'objet d'une convention entre l'Etat et le Département. Qui veillera à l'application de ces conventions, au respect de leur engagement financier ? Quels seront les moyens de rappler à l'ordre les partenaires ?

    Les professionnels sur le terrain auront un rôle stimulant à jouer avec une mission de CONSEIL aux petites bibliothèques municipales, aux autres types de bibliothèques ; mission d'incitation, de coordination des efforts, des actions et des moyens. Mais cela ne suffit pas. Le Ministère de la Culture, les associations professionnelles, les syndicats auront un rôle très important à jouer de coopération au niveau national et régional ; singulièrement dans le domaine de la FORMATION PROFESSIONNELLE, des services communes, de la réflexion sur l'extension du Service rendu par les bibliothèques à l'ère de la télématique.

    Alors, un Conseil National des bibliothèques ? (3)

    1. Nous rappelons que l'ABF en son congrès annuel de Saint-Brieuc les 7, 8, 9 mai 1983 a voté à L'UNANIMITE une motion réaffirmant sa détermination de voir le pays enfin doté d'un loi sur Is bibliothèques et la lecture publique. retour au texte

    2. Ce sont les termes propres de la motion votée à Saint-Brieuc par l'ABF. retour au texte

    3. Ministère de 16-Culture. Pour une politique nouvelle du Livre et de la Lecture (B. Pin-gaud, J.-C. Barreau). Dallos, 1982. Page 79 Pierre VANDEVOORDE. - Ministère de la Culture, 198 Sixième partie. Propositions des Associations professionnelles ; Association des bibliothécaires fronçais, page 406, 407. retour au texte