Index des revues

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    Bibliothèques et décentralisation

    A quoi s'attendre ?

    Le Conseil de la Section des Bibliothèques Publiques.

    Les bibliothécaires vont avoir à connaître dans les années prochaines une situation nouvelle due aux effets de la décentralisation : à partir de janvier 1986 pour l'essentiel. A cette date, l'Etat transférera au profit des collectivités territoriales (départements et communes) la plus grande part des moyens humains, matériels et financiers qu'il met en oeuvre dans ce secteur. Cela concernera, à des degrés divers, les 15 000 personnes qui travaillent dans les bibliothèques relevant de l'autorité publique : beaucoup les agents des bibliothèques centrales de prêt (BCP) et municipales (BM), un peu ceux des autres types de bibliothèques (la bibliothèque nationale, les bibliothèques universitaires, la bibliothèque publique d'information...).

    La décision de transférer sous l'autorité du département la quasi-totalité des personnels des B.C.P. a provoqué des inquiétudes réelles chez une grande partie des intéressés ainsi qu'en témoignent une grève et de nombreuses pétitions adressées au Directeur du Livre au cours de 1983. Du côté des bibliothèques municipales, la situation est différente, car l'intégration dans la future Fonction Publique Territoriale comporte des aspects intéressants, malgré des incertitudes sur la gestion et l'accroissement espéré de la mobilité professionnelle.

    Ce qui est sûr, c'est que les 3 corps à statut particulier des bibliothèques de l'Etat (magasiniers, bibliothécaires-adjoints, conservateurs) vont être tronçonnés ou plus exactement amputés, ce qui ne sera pas sans conséquence sur chacune des parties dispersées sous diverses autorités, alors qu'une seule commission nationale gère leur carrière à l'heure actuelle. (1) C'est pourquoi, le transfert de ces personnels ne peut être indifférent à ceux qui resteront gérés par une autorité d'Etat. Le faible poids numérique des agents concernés ne permet pas d'espérer une attention particulière du Ministère de l'Intérieur au sort concret de micro-groupes dont il n'a pas la charge.

    La gestion des agents territoriaux doit être confiée surtout à des Centres régionaux qui organiseront les concours et établiront des listes

    sur lesquelles les maires et les Conseillers généraux effectueront un choix. L'autre grande question que fait surgir la perspective de la Décentralisation est le maintien des moyens, de l'efficacité, voire de l'intégrité des institutions.

    On sait déjà que les départements, ayant reçu la gestion de la BCP, pourront décider de la supprimer ou ce qui revient au même de la priver de crédits.

    Par ailleurs, les postes de niveau A (Directeur, Directeur-adjoint) restant gérés par l'Etat, quel taux d'encadrement en personnel scientifique sera garanti dans les BCP ? L'amère expérience de beaucoup de Bibliothèques municipales classées n'incite pas à l'optimisme ; surtout en période de crise.

    En ce qui concerne les bibliothèques municipales, la disparition en 1986 des subventions spécifiques inquiète beaucoup de bibliothécaires et même d'élus qui savent que l'incitation financière de l'Etat a été un moyen efficace de persuasion pour aller vers l'égalité de tous les Français devant l'accès au service public de bibliothèque et de documentation. L'idée d'un moratoire (maintenir au-delà de 1986 les subventions spécifiques) après avoir été proposée par le Directeur du Livre lui-même se heurte aux intentions niveleuses de l'Intérieur.

    On touche là à un problème de fond sur l'idée qu'on se fait de l'environnement social des bibliothèques. Certains des plus enthousiastes combattants de la lecture publique croient que le plus efficace serait de favoriser la « conscientisation » des élus qui auront à définir et à rechercher eux-mêmes les moyens d'offrir les meilleurs équipements à leurs concitoyens. Cela n'est pas faux, mais néglige les différences de ressources financières entre les collectivités locales. Examinons maintenant le cadre réglementaire tel que certains textes et propos permettent de l'imaginer.

    En effet, conformément à la revendication ancienne de l'A.B.F., la section des Bibliothèques publiques a traité lors de ses journées d'études de 1984 du thème suivant : « Une nouvelle définition du service public de bibliothèques, dans le cadre de la décentralisation, est-elle possible, sans une loi sur les bibliothèques ? ».

    M. Claude JOLLY, Chef du bureau des bibliothèques publiques a apporté aux participants quelques éléments de réponse utilement complétés par les propos de M. Georges CLOAREC, Chef du bureau des services administratifs et culturels à la Direction des Collectivités locales du Ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation ; M. Louis YVERT, Inspecteur général des bibliothèques et ancien chef du bureau des bibliothèques publiques a brossé un rappel historique des projets de lois sur les bibliothèques élaborés par le Ministère de la Culture. Ils sont tombés d'accord pour dire que la décentralisation sera neutre du point de vue juridique dans la perspective d'une loi sur les bibliothèques. Celle-ci restera ni plus ni moins envisageable qu'avant. Il s'agit donc avant tout d'une affaire qui relève de la volonté du législateur.

    En d'autres termes, la décision d'en établir une serait d'ordre purement politique.

    C'est évidemment le rôle de l'A.B.F. d'oeuvrer à l'émergence d'un environnement favorable à ce type de décision.

    Le groupe de travail mis en place par la Direction du Livre souhaite, en tout cas, que le Parlement se saisisse des propositions qui seront faites, mais ne semble pas croire à un changement imminent dans les priorités du gouvernement.

    La Direction du Livre souhaite aussi que les codes de prescriptions techniques qui seront imposées aux communes comprennent des clauses concernant les bibliothèques. Cela semble d'ailleurs devoir rester d'une portée limitée.

    Par ailleurs, le Ministère de la Culture a institué un Comité National pour le Développement de la Lecture où les bibliothécaires sont représentés avec les libraires et les éditeurs. Cela est un lieu utile de confrontation d'idées à l'échelle nationale.

    Nous rappelons que l'A.B.F. souhaite la création d'un Conseil National des Bibliothèques, c'est-à-dire un lieu où s'élaboreraient des propositions claires et motivées pour améliorer et renforcer l'ensemble des bibliothèques de France, quelles que soient leur tutelle et leur mission (lecture publique, étude, documentation, patrimoine, etc...).

    Tout effort législatif et réglementaire devrait aussi comporter une réforme profonde de la formation des bibliothécaires et des agents des bibliothèques à statut public et privé.

    Ce qui pose inévitablement le problème des statuts des personnels et de leur harmonisation.

    A cet égard la question cruciale est de savoir si les corps spécifiques des bibliothèques territoriales seront inscrits dans la liste des corps comparables qui sera publiée au début de 1985. Ce classement conditionne en effet l'existence de passerelles entre les deux fonctions publiques. De plus le législateur a prévu de republier les statuts particuliers soit en l'état, soit avec modifications.

    Il y aura donc d'autres textes importants sur les bibliothèques et nous jugeons indispensable que l'A.B.F. soit consultée au moment de leur élaboration, en particulier sur les futurs décrets d'application. Le processus de décentralisation mettra en jeu des mécanismes complexes ; des équilibres fragiles seront remis en cause ; des potentialités nouvelles se révéleront aussi. C'est pourquoi les bibliothécaires doivent être vigilants et promouvoir dans un esprit d'ouverture la réalisation d'un réseau cohérent et diversifié de bibliothèques auxquelles seraient accordés les moyens adaptés à un enjeu qui concerne tous les habitants du pays.

    1. Quelques chiffres : il y a 4 000 bibliothécaires-adjoints, 1 300 conservateurs et seulement 140 magasiniers de service de bibliobus dont l'ambivalence du statut fait craindre qu'ils soient confinés à un seul établissement faute d'accueil possible ailleurs. retour au texte