Index des revues

  • Index des revues

La restauration des estampes et des photographies à la bibliothèque nationale

1984

    La restauration des estampes et des photographies à la bibliothèque nationale

    Par Michel VIOLLAND, Chef de l'Atelier de Restauration du Cabinet des Estampes
    La Bibliothèque nationale dispose, outre son atelier central de restauration des livres qui compte une quarantaine d'ouvriers, de plusieurs ateliers de restauration spécialisés pour les Imprimés, les Périodiques, les Manuscrits, les Arts du Spectacles, les Cartes et Plans, etc. Le plus important de ces ateliers spécialisés est celui du Département des Estampes et de la Photographie qui compte treize ouvriers dont 1 chef d'atelier, 1 sous-chef, 8 restaurateurs spécialistes, 2 ouvriers de 1',e catégorie et 1 stagiaire. Chaque ouvrier dispose d'un plan de travail, et a accès à une presse où les documents sont remis à plat après restauration, ou avant d'être montés dans des albums qui servent à la consultation.

    Rôle de l'Atelier de Restauration du Département des Estampes et de la Photographie

    Le rôle de cet atelier est double : restauration des documents pour permettre leur consultation ; encadrement des estampes pour les présenter dans les expositions.

    Mais, il doit servir principalement à la conservation des estampes dont on estime que 20% environ, sur les 15 millions que conserve la Bibliothèque, sont dans un état satisfaisant. La plupart en effet ont été conservées dans des portefeuilles disposés verticalement dans les rayonnages ce qui, au cours des siècles, a occasionné des dommages considérables : les ieuilles se trouvant aujourd'hui pliées et brûlées ou déchirées sur leurs bords. Le Plan de Sauvegarde, grâce auquel des crédits ont été donnés pour dix ans depuis 1980, permet de remettre peu à peu ces estampes dans des boîtes hermétiques et horizontales.

    L'atelier de restauration intervient donc à plusieurs niveaux. Dans le cas le plus simple, il s'agit de gommer le document à sec, et le travail est confié à un magasinier sous la surveillance d'un restaurateur. Si le document est endommagé, il passe entre les mains d'un restaurateur pour être lavé, remis à plat, restauré et éventuellement doublé.

    Enfin, si le document est appelé à être souvent consulté dans la salle de lecture, il est monté dans un album, sur un papier pur chiffon très résistant à la manipulation et au vieillissement. Dans les cas de documents particulièrement précieux, destinés à être conservés à la réserve (c'est le cas d'environ 150 000 oeuvres), il est monté sur un bristol avec un cache. En 1982, plus de 8000 estampes ont été restaurées dont 3000 sont restées en feuilles et 5 000 ont été montées en album.

    Le second rôle de l'Atelier du Département des Estampes et de la Photographie est d'encadrer les pièces pour les expositions, soit à la Bibliothèque nationale soit en vue de prêts à des institutions extérieures. Nos restaurateurs ont donc une double formation de restaurateurs et d'encadreurs. Là encore, le travail peut être plus ou moins délicat selon qu'il s'agit de simples documents mis sous altuglas pour les protéger durant l'exposition ou le voyage, ou de cadres très raffinés pour des expositions de prestige comme celle des « Gravures des Écoles du Nord du XVe siècle », organisée en 1982.

    Mais, avant de décrire les différentes opérations exécutées dans les ateliers du Département des Estampes, il convient d'énumérer rapidement les problèmes actuels de cet atelier.

    Problèmes actuels de l'Atelier de Restauration du Département des Estampes et de la Photographie

    Le premier problème vient de la multiplication des expositions. La Bibliothèque Nationale doit mettre ses collections en valeur, et comme c'est presque là seule collection d'estampes vraiment bien classée en France, il est toujours fait appel à elle pour les expositions aussi bien artistiques que documentaires. Le résultat, c'est que l'atelier a dû exécuter plus de mille encadrements pour des documents prêtés à l'extérieur en 1982, et encadrer tous les documents des vingt-deux expositions organisées la même année par la seule Bibliothèque Nationale.

    Ce travail nécessaire se fait au détriment de la restauration qui est le travail fondamental, mais hélas minoritaire, si l'on considère le temps passé.

    Le deuxième problème est celui de la formation des ouvriers. Contrairement à ce qui se passe dans des ateliers étrangers qui n'ont pas les besoins massifs d'entretien des collections, l'atelier est composé d'ouvriers et non de personnel scientifique propre. Les conservateurs du Département des Estampes sont là pour orienter le travail de l'atelier : en ce qui concerne la physique et la chimie, l'atelier est en rapport étroit avec le Centre de Recherches pour la Conservation des Documents Graphiques du C.N.R.S. dirigé par Mme Flieder. Les ouvriers sont donc recrutés avec des diplômes de relieurs, mais leur manque de formation scientifique les empêche d'accéder aux grades supérieurs comme les conservateurs. Nous avons donc besoin d'une formation professionnelle qui permette ces débouchés, et nous essayons de suivre des enseignements universitaires. Dans ce but, depuis un an, le sous-chef d'atelier est intégré à une école récemment créée en France : l'Institut Français de Restauration des uvres d'Art.

    Enfin, les problèmes professionnels viennent de l'évolution des collections elles-mêmes et du travail des conservateurs. Outre le Plan de Sauvegarde et la remise en boîte systématique des documents, évoqués précédemment, le microfilmage également systématique fait en sorte qu'on abandonne de plus en plus le montage en album pour laisser les documents en feuille, ce qui est meilleur pour la conservation, mais à condition que la consultation se fasse sur microfilm. Il y a aussi l'énorme augmentation des collections de photographies anciennes et modernes, pour lesquelles nous n'appliquons pas de procédés spécifiques. C'est-à-dire que nous ne restaurons pas chimiquement les émulsions. Nous nous contentons de restaurer les supports comme pour toute oeuvre sur papier. Mais, l'abondance des collections photographiques et aussi la fragilité bien plus grande des photographies par rapport aux estampes modifie beaucoup le type de travail des restaurateurs.

    Les méthodes utilisées pour la restauration des estampes

    Le double rôle de l'atelier et les problèmes auxquels il a à faire face étant définis, il convient maintenant de décrire les opérations habituelles de restauration des estampes ainsi que les méthodes quotidiennement suivies (fig. 1 et 2) :

    1) Nettoyage et dépoussiérage

    Avec de la gomme en poudre, ou si les poussières sont très anciennes, passage humide à la tylose (Méthyl de cellulose). Décollage humide et à sec.

    2) Vérification du Ph du papier

    En principe, en dehors des affiches et des illustrations du XIXe siècle, les gravures dont le papier est de meilleure qualité gardent un Ph correct soit environ 6,5 à 6,8. Mais, pour les affiches et illustrations, il faut désacidifier en les plongeant dans un bain de Borax à 1% (Tetraborate de Sodium). Le traitement ne paraît pas encore convaincant, pour diverses raisons. Malgré tout, une affiche de Ph 4,2 après un passage de Borax au verso à 3%, soit au pinceau, soit en pulvérisation, voit son Ph revenir de 8 à 8,5 donnant donc une bonne réserve alcaline.

    3) Blanchiment et fixatif

    La Bibliothèque nationale et toutes les bibliothèques en France font le blanchiment à l'hypochlorite de sodium à faible dose et neutralisé à l'hyposulfite de sodium, suivi d'un long rinçage en eau courante. Certains documents doivent être fixés avant lavage.

    4) Lavage des gravures couleurs

    Malgré tous les moyens de fixatif (nylon soluble, acétate), c'est encore le nettoyage en surface qui est la meilleure solution. Celui-ci se pratique sur un grillage de nylon, ou sur un buvard, ou encore sur une table aspirante, qui ne laisse aucune trace et ne garde pas les sels de sodium, qui passent à travers les fibres du papier.

    5) Doublage des documents

    Le doublage traditionnel des gravures anciennes est toujours fait avec du papier Japon.

    Mais pour les gravures en double ou en triple exemplaire, conservées dans des boîtes, il y a 2 solutions : soit un papier « Bolloré (utilisé pour fabriquer les sachets à thé), qui est très solide. Soit à chaud sur une machine « Reliant thermocollante, avec un produit de renforcement, le « CEREX » (polyamide 100%) de différents grammages ou toile, avec colle polyamide « BIFIX". Réversibilité au Méthanol.

    Pour les affiches, doublage sur papier neutre et toile de lin, avec de la colle de pâte (fécule de pomme de terre, maïs, etc...).

    6) Restauration de la gravure

    Il existe à la Bibliothèque nationale une machine pour boucher les trous (comme à la Bibliothèque Lénine). Son emploi n'apparaît pas nécessaire pour l'estampe, où les trous sont plus rares et jamais « en série comme dans les pages des livres et qui, d'autre part, est souvent en couleurs ou teintée. Cette machine est surtout utilisée dans l'atelier de restauration central où elle s'avère rentable à cause du nombre de feuillets à traiter.

    Il existe plusieurs méthodes pour restaurer les lacunes :

    • A. Le pointillé : le long de la partie déchirée en gardant des fibres.
    • B. Le stylo « Rotring », petite tige d'acier avec réservoir d'eau, qui en grattant le long de la partie déchirée fait un tracé profond en déposant de l'eau. Il suffit ensuite de tirer pour que la partie à conserver et à remonter se détache en conservant des fibres.
    • C. Au scalpel : en repérant sur un papier calque la partie à restaurer, couper le morceau de remplacement à moitié de son épaisseur et tirer, ce qui permet également de conserver des fibres.

    Les trois méthodes sont bonnes. Naturellement, il faut faire une recherche de papier le plus approchant de la gravure. Pour les papiers vergés, reprendre des papiers anciens avec vergeures et pontuseaux le plus approchants possible.

    7) Montage des documents dans des reliures mobiles

    Sur Velin d'Arche (pur chiffon) Ph neutre fabriqué spécialement pour la Bibliothèque nationale.

    Les gravures sont montées dans différents formats.

    Pour les pièces plus importantes, un cache du même papier est prévu afin d'éviter le frottement, et protège aussi de la manipulation, soit par consultation, soit par exposition. Aprèî avoir été centrée sur la feuille de papier, la gravure est fixée en l'encollant tout autour sur quelques millimètres et non aux coins ou avec une charnière, afin d'éviter qu'elle ne se replie dans le volume ; c'est aussi une protection contre le vol.

    Des cadres standard existent afin de ne pas recouper les feuilles de montage pour chaque encadrement.

    Pour les pièces précieuses, elles sont montées sur papier Velin d'Arche dans un bristol, toujours à Ph neutre avec ouverture biseautée, le tout dans des boîtes.

    8) Encapsulage

    C'est une nouvelle méthode qui permet une présentation et un mode de transport plus léger et beaucoup plus rapide que les cadres souvent trop lourds, et que ne demandent pas toujours les musées, mais qui est obligatoire pour le prêt des documents de la Bibliothèque nationale.

    Cette méthode est très utilisée aux U.S.A. avec un polyester «Mylar»; en France, c'est un film de polyester «Terphane", possédant les mêmes propriétés, qui est utilisé. L'encapsulage ainsi obtenu peut protéger efficacement contre les manipulations mais, malgré une bonne conservation (par méthode de vieillissement artificiel), il n'a pas encore été retenu à la Bibliothèque nationale pour une conservation définitive. Il sert donc actuellement uniquement pour les expositions. Et encore, la méthode de l'encapsulage n'est-elle valable que pour les expositions ne durant que quelques mois, principalement pour les affiches et les très grandes cartes ou plans géographiques. Son aspect brillant constitue un inconvénient réel.

    En revanche, l'encapsulage constitue l'enveloppe idéale pour le maniement des documents, leur déplacement, leur transport, leur transfert d'un service à un autre de la Bibliothèque nationale, leur consultation au Service de Vente de l'établissement, etc...

    Avec le temps (30 à 50 ans environ), tous les spécialistes en polyester s'accordent pour penser que ce film se détruit par fissuration, après cristallisation des molécules, cet inconvénient étant valable pour tous les films de polyester. En outre, plus l'humidité relative est élevée, plus. le polyester se détériore.