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La bibliothèque et la phonothèque d'histoire orale à Columbia University (New York)

1984

    La bibliothèque et la phonothèque d'histoire orale à Columbia University (New York)

    Par Laurent CESARI

    La collection d'histoire orale à Columbia University, fondée en 1948, est la plus ancienne et la plus riche actuellement en activité. Pour rendre compte de la spécificité de cette institution, il faut garder à l'esprit les deux faits suivants: la bibliothèque est d'abord au service de l'université dont elle dépend, en premier lieu de son département d'histoire, et il s'agit d'une université privée.

    L'idée d'une collection d'histoire orale revient à l'historien Allen Nevins. Ancien journaliste, et spécialisé dans l'histoire américaine contemporaine, ce professeur à Columbia, auteur prolifique, avait l'habitude d'utiliser, dans ses recherches personnelles, les interviews concurremment aux archives écrites. Nevins conçut le projet d'une bibliothèque d'histoire orale alors qu'il rédigeait une biographie du magnat du pétrole John D.Rockefeller : une personne, qui avait fourni à l'historien des informations importantes, était morte trois mois après l'interview.

    Le projet prit corps en 1948 : l'historien Frederic Bancroft, ami de Nevins et héritier d'une bonne part des actions de la firme de motoculture International Harvester, ayant légué à Columbia University 1 800 000 dollars pour que la bibliothèque améliore son fonds historique, Nevins obtint que 6000 dollars de ce fonds soient versés en vue de créer un modeste « Projet d'histoire orale». Durant les dix premières années de son existence environ, la collection fut l'oeuvre artisanale de Nevins, qui recueillait les interviews en compagnie de ses étudiants de doctorat. Le budget annuel était estimé à 36000 dollars. Chaque année, la bibliothèque de Columbia fournissait 9 000 dollars, provenant du fonds Bancroft. On trouvait le reste en s'adressant à des fondations privées, en particulier la fondation Carnegie. Et, très rapidement, on se lança dans des campagnes d'interviews à la demande des clients privés, auxquels elles étaient facturées. Au bout de quelques années, il fut décidé que la bibliothèque de Columbia fournirait un tiers du budget, le reste devant être fourni par des sources extérieures.

    La collection devient véritablement utilisable par les chercheurs extérieurs en 1960. Devenue « Bureau de recherche en histoire orale », donc partie intégrante de la bibliothèque universitaire, elle fait l'objet, cette année là, d'un premier catalogue imprimé, largement diffusé. En 1979 est parue la quatrième édition de ce catalogue. En 1961, le Bureau imprime son premier rapport annuel, systématiquement diffusé auprès des bibliothèques de recherche et des membres de l'association des historiens américains. Pour susciter chez les chercheurs le goût de l'histoire orale, le rapport annuel répertorie toutes les publications fondées sur l'usage des collections de Columbia. Depuis 1973, le Bureau tient la liste des bibliothèques ayant commandé son catalogue. Quand un chercheur écrit au Bureau, pour savoir où trouver ce catalogue, on lui indique la bibliothèque la plus proche de son domicile.

    En 1967 est créée, à Columbia, une société nationale d'histoire orale, pour réunir les chercheurs de cette nouvelle discipline. En 1970, le Bureau et le New York Times s'associent pour dix ans, afin d'éditer sur microfilms et microfiches une partie des collections d'interviews. Ainsi, les chercheurs ne devront plus nécessairement se déplacer jusqu'à New York.

    On se préoccupe, enfin, de former des interviewers. Le Bureau lui-même utilise des interviewers à temps partiel, et parfois les services de spécialistes de l'université. Mais on veut populariser la discipline. Aussi, en 1973, le Bureau lance un séminaire d'initiation à l'histoire orale, pour étudiants de maîtrise et de doctorat. Depuis 1975, grâce à une subvention de la fondation Carnegie, ce séminaire se tient chaque printemps. Vingt étudiants sont autorisés à le suivre chaque année, et il s'agit d'un enseignement régulier de l'Ecole de bibliothécaires de Columbia. La majorité des étudiants viennent de l'Ecole de bibliothécaires et du Département d'histoire, mais un bon tiers se déplace spécialement jusqu'à Columbia pour suivre ce séminaire, qui délivre son propre diplôme.

    Enfin, en 1977, le Bureau a publié un manuel à l'usage des bibliothèques désirant se lancer dans l'histoire orale. Il comprend une méthode d'interviews, la liste des interviews (réalisées à Columbia ou ailleurs) disponibles sur microfiches, des exemples d'interviews représentatives, et la liste des publications de l'Association d'histoire orale, fondée en 1967.

    On se trouve donc face à une action d'envergure visant à populariser une nouvelle discipline, l'histoire orale. Ce fut d'abord l'oeuvre de Nevins puis, à partir de 1956, du directeur du Bureau, Louis M.Starr, flanqué d'un Comité consultatif comprenant, outre le président de Columbia, des professeurs d'histoire, de droit, de sciences politiques et de journalisme.

    Chaque année, la collection s'enrichit de 15000 à 25000 pages d'interviews dactylographiées. Fin 1979, elle comptait 473000 pages d'interviews et 3 638 personnes avaient été interrogées entre 1948 et 1978. Les interviewés fixent eux-mêmes les modalités de communication de leur texte. Les interviews peuvent être d'accès libre, d'accès soumis à une autorisation préalable (en particulier pour la reproduction des citations), ou d'accès fermé jusqu'à une date fixée par l'interviewé. Dans une interview, certaines pages peuvent être ouvertes aux chercheurs et d'autres fermées.

    Le catalogue indique les modalités d'accès à chaque interview. Depuis 1979, ce catalogue est classé alphabétiquement. Au nom de chaque personne interrogée : une courte biographie et un résumé de l'interview. Au nom de chaque « projet » (série d'interviews consacrées à un sujet donné) : les noms des personnes interrogées. Chaque rubrique est suivie d'une liste de renvois à d'autres interviews. On note enfin une ébauche de catalogue-matières, en appendice.

    Pour savoir si les interviews de Columbia fournissent des renseignements sur un sujet donné, il faut consulter le fichier exhaustif du Bureau, sur fiches bristol, ou écrire pour obtenir ce renseignement gratuit. Ce fichier est établi à partir de l'index nominum fourni à la suite de chaque interview. En 1979 a été établi un index à entrées multiples pour « Micro 1 », les 55000 premières pages d'interviews microfilmées. Cet index est consultable à Columbia. L'indexation des autres tranches microfilmées, de « Micro 2 » à Micro 4 ", est en cours. Lorsque ces indexs seront achevés, ils seront publiés en livre. En 1979, 800 interviews avaient déjà été mircofilmées.

    Concernant les interviews non-microfilmées, les chercheurs peuvent préparer leur voyage à Columbia en écrivant au service des recherches du Bureau. Ils indiquent l'objet de leur recherche, et le Bureau se charge de retrouver les références adéquates dans la collection d'interviews. Un rapport est ensuite fourni au client, qui décide alors s'il ira ou non à Columbia. Ce service est payant, et facturé en heures de travail. On conseille aux utilisateurs de fixer eux-mêmes la somme qu'ils sont prêts à dépenser pour une recherche.

    A moins d'avoir été microfilmées, les transcriptions des interviews sont consultables dans la salle des manuscrits de la bibliothèque universitaire, .ouverte toute l'année aux heures habituelles. Ces transcriptions, dactylographiées et non imprimées, ne circulent pas hors de la bibliothèque, mais peuvent être photocopiées. On peut aussi auditionner les bandes des interviews effectuées après 1964. La copie de ces bandes nécessite une autorisation préalable.

    Pour qui désire utiliser des interviews dans une publication, les citations de moins de 500 mots sont dispensées du versement de droits d'auteur. Tout utilisateur est prié de fournir au Bureau un exemplaire de son ouvrage publié.

    Les collections portent sur des sujets très divers. A partir de 1960, le Bureau, tenant à s'intégrer à la communauté universitaire, demanda aux professeurs de proposer des sujets de campagnes. Les collections reflètent donc, en partie, les intérêts des professeurs de Columbia. Cependant, concernant l'histoire de l'art, le Bureau a voulu éviter de faire double emploi avec les interviews d'artistes menées par les « Archives of American Art ».

    En 1978, Columbia a lancé son plus vaste projet. Il s'agit d'obtenir des interviews qui serviront de sources aux prochaines éditions des deux dictionnaires américains de biographies : Dictionary of American Biography et Notable American Women. Les notices de ces dictionnaires comprennent une liste des sources, et les interviews de Columbia seront mentionnées parmi celles-ci. L'intérêt de l'entreprise réside en ce qu'un nombre croissant d'individus, susceptibles de faire l'objet d'une notice dans les dictionnaires biographiques, disparaissent sans laisser d'archives écrites.

    Le Bureau de recherche en histoire orale poursuit donc, à toujours plus grande échelle, sa mission inchangée : la création d'archives.

    Références :

    Columbia University. Oral History Research Office: Annual report (Depuis 1961).

    Elisabeth B. Mason et Louis M.Starr: The oral history collection of Columbia University. New York, Oral History Research Office, 1979.

    The reminiscences of Allan Nevins, tome 2 (1960); dans la collection d'histoire orale de Columbia University.