Le P. Philippe Labbé, « Jésuite, étoit de Bourges où il naquit au mois de juin 1607. Il sçavoit les Belles Lettres, la Philosophie & la Théologie qu'il enseigna avec réputation. Plusieurs Savans, même des Protestans, parlent de lui avec éloge (...). C'étoit un homme extrêmement laborieux & assez bon critique » (1) . Sa carrière se déroula sous le double signe de l'enseignement - il mourut en 1667 à Paris, au Collège de Cler-mont - et de l'érudition. Il conserva une certaine renommée posthume, puisqu'il est cité dans les grands dictionnaires biographiques, et qu'une des oeuvres dont il fut un des auteurs, Sacrosancta concilia... (2) , fut reprise et amplifiée jusqu'en 1924.
Bien qu'incomplètement rapporté par le Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque Nationale (3) mais tel qu'il nous apparaît au travers de ses colonnes, le travail accompli par le Jésuite a été considérable : études personnelles, collaboration à de grandes collections, éditions de textes ou traductions. Auteur parisien, l'essentiel de son oeuvre est diffusée par une dizaine de libraires de la capitale (dont près de la moitié par les maisons Meturas et Cramoisy qui avaient la préférence de la Société de Jésus), mais aussi à Lyon, Grenoble, Rouen, Bourges, voire La Haye. Après sa mort, Vénitiens, Florentins, Hollandais et Allemands, bien plus tard encore, assurent son renom, et leur succès commercial.
S'il a beaucoup écrit, si bien qu'on lui a attribué des livres de son quasi-contemporain et homonyme le Jésuite Pierre Labbé, au rythme de deux à trois livres par an sur trente ans, il n'a commencé son labeur intellectuel qu'en 1637, à l'issue de ses études et de ses premières années d'enseignement. Et, c'est vraisemblablement cette activité qui lui dicte ce premier travail, une concordance sacrée, sous forme de planches (4) .
Toute sa vie, son métier d'enseignant lui inspire des ouvrages sur la poétique grecque ou autre, sur la géographie ou la généalogie dont l'étude visait autant à éduquer les enfants dans le loyalisme envers la Maison de Bourbon qu'à assurer celle-ci de celui de la Compagnie.
Ses études de prédilection le portent vers l'histoire (environ le deux-tiers de sa production). Une large part de son oeuvre est aussi consacrée aux Belles Lettres (à peu près pour un quart). Quelques titres se rapportent à la Numismatique, tandis que le dixième restant traite de la Théologie, essentiellement apologétique. Il se spécialise dans le combat contre les Jansénistes, allant même jusqu'à « récupérer » Saint Augustin. En bibliographe enfin, il vulgarise le terme « incunable » dans Nova Bibliotheca (Paris, 1653), où ses oeuvres se trouvent en bonne place (5) .
Si avoir un état exact de l'oeuvre de Labbé, même avec l'aide du Répertoire de C. Sommervogel (6) et celle des catalogues de libraires du XVIISme siècle, relève de la gageure, il faut, semble-t-il, incriminer plus les imprimeurs libraires qui négligeaient les règles du dépôt légal et les multiples rappels à l'ordre de remettre « notre Biblitohèque publique deux exemplaires de chacun des textes imprimés, que les manques dûs à des prêts inconsidérés, dont se plaignait Bignon en 1720, mais qui amenèrent le Conseil d'État à décider d'entreprendre probablement le premier inventaire général de la Bibliothèque du Roi (7)
Labbé paraît avoir écrit, d'après Sommervogel, 83 livres. Le catalogue de la BN en décrit 95, non comprises les rééditions, mais en incluant les traductions et autres participations. On est donc bien loin des 20 titres du catalogue de la Bibliothèque du Roi établi d'après les notes du P. Nicolas Clément, publié à partir de 1740 (8) et des 18 consignés dans le catalogue manuscrit préparant l'établissement du catalogue matières, sous le règne de Louis XV (9) .
Mais, ces chiffres ne semblent pas refléter ce que possédait réellement la Bibliothèque du Roi au moment du grand inventaire ordonné en 1720. Aussi, en l'absence des registres du dépôt légal, dont s'est déjà étonné R. Estivais (10) , faut-il appréhender autrement les collections royales, et se rapporter au travail de MM. Brunot et Josserand (11) sur les estampilles du département des Livres imprimés depuis le XVIIème siècle. Ainsi, si l'on en croit ces marques de propriété, 34 exemplaires, y compris les rééditions, ont été estampillés avant 1724, 29 entre 1724 et les saisies révolutionnaires, 79 après ces opérations dont 2 sous la Troisième République. 2 exemplaires ne portaient pas de marque au moment de cette recherche.
On peut penser que les exemplaires estampillés avant 1724 sont entrés à la Bibliothèque par le jeu du dépôt légal, sauf pour 2 d'entre eux venus à la mort d'un de ses gardes, Pierre du Puy. (12) Les bibliothécaires successifs ont essayé et réussi à compléter le fonds. La générosité des donateurs puis l'apport révolutionnaire ont fait le reste et pour ainsi dire l'essentiel.
Entre 1724 et la Révolution, diverses sources sont venues alimenter la Bibliothèque du Roi : en 1740, les livres de la succession de Pierre de Clairembault, à ses armes (13) en 1742, la donation de quelque 11 072 volumes par Falconnet (14) , parmi lesquels bien sûr des oeuvres de notre jésuite. Lorsque la maison des jésuites fut dispersée en 1763, les héritiers de Pierre-Daniel Huet, ancien évêque d'Avranches et qui s'y était retiré jusqu'à sa mort, Louis XV régnant, vendirent au Roi ses livres, parmi lesquels ceux du P. Labbé (15) . A cette même occasion, une vente aux enchères dispersa les volumes de cette institution (16) . Les gardes de la Bibliothèque y participèrent. Cependant, il semble que, sauf deux ou trois titres, considérés comme doubles, les livres provenant de la Maison des jésuites, et conservés actuellement à Paris, aient une autre origine : vraisemblablement achetés par une autre institution religieuse ou un amateur, ils sont arrivés à la BN par le biais des saisies révolutionnaires. Avant la révolution, encore, et venant de l'abbaye de St Germain des Prés, les collections s'enrichirent des livres manuscrits de l'évêque Pierre de Coislin et, cas rarissime, d'un imprimé aux armes du duc de Coislin, l'évêque de Metz, conservé à la Réserve du département des Livres imprimés (17) .
En 1789, inaugurant les apports décidés par la Constituante, la collection d'Hozier (18) , dont trop de livres ont été considérés comme doubles, vient enrichir la toute nouvelle Bibliothèque nationale. Puis, les grands couvents de Paris, à la suite de ces nouvelles mesures, apportèrent leur lot des ouvrages de leur frère en religion : Capucins et Dominicains de la rue St Jacques ou St Honoré, Feuillants, Récollets, Bernardins, Oratoriens, Augustins (19) . D'autres grandes institutions viennent agrandir à leur tour les collections nationales, telle la Bibliothèque de la Sorbonne, pour laquelle Ameilhon en 1795 signale l'urgence de l'expédier dans ce grand dépôt littéraire, sous peine de ne plus pouvoir la conserver intacte (20) . Apparemment, les bibliothèques d'émigrés n'ont pas servi à compléter la collection Labbé, soit que ses livres aient été ventilés ailleurs, soit que, comme il semble, les bibliothèques des particuliers contiennent moins aisément des ouvrages anciens que celles des institutions.
Revêtus pour quelques uns d'entre eux des célèbres maroquins du roi, habillés pour la plupart de veau ou de parchemin, laissés brochés pour les plus heureux qui n'ont pas été recouverts de ces horribles cartonnages lllèmo République, les livres du P. Philippe Labbé ont rejoint les magasins de la Bibliothèque nationale, obéissant aux directives de la lointaine mais présente ordonnance de François 1er, qui permettra, il faut le souhaiter, aux chercheurs qui nous succéderont de les étudier dans leur substance.