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    Les bibliothèques d'entreprises

    Une pièce du réseau importante et mal connue

    Par Christian ROGEL

    Le nombre exact des bibliothèques d'entreprises en France est fort mal connu. Plus de 800 ont été répertoriées par la sous-section spécialisée de l'A.B.F., laquelle demande au Ministère de la Culture de l'aider à mener à bien une enquête nationale exhaustive.

    Bien sûr, comme partout, des inégalités très grandes existent entre ce qu'on dénomme bibliothèques dans les entreprises : cela peut être un bureau exigu géré par des bénévoles ou bien une institution disposant de centaines de mètres carrés et gérée par une équipe de professionnels qualifiés.

    La plupart de ces lieux de diffusion qui pratiquent principalement le prêt à domicile offrent des collections composées essentiellement de livres, mais les établissements les plus importants se sont ouverts aux disques et aux cassettes audio et vidéo.

    Par l'entremise des bibliothèques d'entreprises, il s'effectue donc des centaines de milliers de prêts qui n'apparaissent pas dans les statistiques nationales établies par le Ministère de la Culture.

    M. GATTÉGNO, Directeur du Livre et de la Lecture, s'est justement déclaré favorable à leur collecte et à leur officialisation sous réserve qu'elles puissent faire l'objet de vérifications, comme il en est pour les autres bibliothèques.

    Il est, en effet, significatif et important que le Directeur du Livre ait pris la parole à la journée d'études organisée le 8 février dernier par la sous-section Bibliothèques de C.E. Par sa voix, le Ministère de la Culture a reconnu solennellement l'existence et l'importance de ce « grand élément du réseau de la lecture publique que constituent les bibliothèques de comités d'établissements ».

    Sans faire abstraction de données politiques et syndicales, l'émergence de cette pièce du réseau est, en effet, partie prenante du mouvement de lent renforcement de toute la lecture publique qui s'opère en France depuis une quinzaine d'années et qui s'est accéléré depuis 1981.

    Le terrain de cette émergence est, par nature, social : la lecture reste encore, malgré certaines alarmes, le loisir préféré de la moitié des Français, d'autant que l'on oublie souvent de mentionner qu'après le plaisir, d'autres motivations peuvent s'ajouter, comme celles de la formation culturelle et de la formation technique ou professionnelle accomplies sur un mode personnel.

    Or, les travailleurs manuels, auxquels sont destinées de nombreuses bibliothèques d'entreprises, ont souvent une relation ambivalente à la lecture, selon qu'ils la ressentent comme un domaine qui leur est inaccessible, par suite des inégalités sociales, ou qu'ils y voient pour eux-mêmes ou pour leurs enfants un moyen d'éducation pouvant leur permettre d'améliorer leur situation sociale.

    N'est-il pas révélateur que dans une enquête rapide effectuée par la sous-section sur 34 Bibliothèques d'entreprises, 26 aient un fonds de livres pour enfants, tant est grand le souci de certains parents d'offrir à leurs enfants des éléments de culture, dont eux-mêmes ont été souvent privés ? La même constatation peut être faite dans les bibliobus des B.C.P. desservant des entreprises.

    Il est très important de souligner la structure particulière du point de vue juridique, des bibliothèques d'entreprises.

    Du fait de la législation du Travail, elles sont le plus souvent gérées par un Comité d'Etablissement où dominent les représentants élus par le personnel de l'entreprise sur la base de listes syndicales. Le Comité d'établissement désigne en son sein une commission chargée de la gestion de la bibliothèque.

    L'impact de l'institution dans l'entreprise dépend grandement de deux éléments : l'attitude de la Direction qui peut faciliter ou non l'accès des salariés à la bibliothèque selon les plages horaires qu'elle autorise et la politique culturelle des responsables (en général syndicaux) qui peuvent en faire une part plus ou moins importante de leur action, ne serait-ce que par l'attribution d'un budget convenable. Cependant le niveau de qualification des agents chargés de la gestion de la bibliothèque n'est pas moins décisif.

    Le bénévolat remplit là un rôle souvent irremplaçable et les responsables syndicaux l'assument souvent volontairement comme une position politique. Pourtant au-delà d'une certaine importance du service, la professionnalisation s'impose, encore que le bénévolat puisse parfois conserver une place de choix dans l'animation autour de la bibliothèque.

    Cette professionnalisation est une cause d'évolution parfois délicate du point de vue des relations entre élus syndicaux et salariés du Comité d'établissement, mais le mouvement d'amélioration qualitative qui marque la lecture publique trouve aussi sa résonnance à l'intérieur des entreprises.

    Un certain nombre de Comités d'Etablissements ont recruté et recrutent sur la base du Certificat d'Aptitude aux Fonctions de Bibliothécaire (C.A.F.B.) qui prouve ainsi sa valeur comme formation initiale ouvrant l'accès à l'ensemble du réseau de la lecture publique dans toute sa diversité.

    Cette place dans le réseau de la lecture publique les bibliothécaires de C.E. la revendiquent dans une affirmation teintée d'interrogation, voire d'inquiétude : « les bibliothèques de CE. doivent avoir toute leur place -dans le réseau de la Lecture publique ».

    Ici le réseau est plutôt défini comme à venir et non pas un lieu d'accueil dont elles auraient été écartées.

    C'est pourquoi, les positions des grandes centrales syndicales aident à comprendre qu'il ne s'agit pas d'ajouter un nouveau rouage, mais de s'intégrer à une dynamique du développement des lieux de lecture.

    Ainsi, Marius BERTHOU, responsable national de l'action culturelle de la C.G.T., lors de la réunion du 8 février déclarait que « la bibliothèque de CE. doit conserver son identité sociale, garder son autonomie par rapport à la cité »

    Autonomie ne signifiant pas ghetto. Il faut envisager une nouvelle collaboration avec les Bibliothèques municipales et les Bibliothèques centrales de prêt sur un projet culturel commun.

    Le représentant de la CFDT a aussi insisté sur la collaboration nécessaire entre les bibliothèques « pour peser sur les institutions » (entreprises et collectivités locales). Il a mis l'accent sur le travail inter-C.E. et avec les institutions culturelles.

    Malgré ces perspectives d'avancée dans la coopération entre bibliothèques, les syndicats comme les bibliothécaires ne peuvent cacher les inquiétudes que leur inspire la conjoncture économique actuelle, car à toute fermeture d'entreprise moyenne ou grande correspond la suppression d'une bibliothèque.

    Il reste que le secteur de bibliothèques de C.E. bouge beaucoup en ce moment, ses responsables et ses nouveaux agents qualifiés font avancer la réflexion sur l'originalité de leurs pratiques tout en souhaitant une conception globale de l'action des bibliothèques qu'on appelle publiques, non pas en raison de leurs caractères externes, mais de leur aptitude à aller au devant du public, où qu'il soit.