Index des revues

  • Index des revues

    Bibliothèques publiques

    La question du moratoire

    Par LOUIS YVERT
    NOTA. Cette question devait primitivement être traitée lors des journées d'études des 5 et 6 mars 1984 par Mme Jacqueline GASCUEL, Conservateur en Chef de la B.C. P. des Yvelines, empêchée au dernier moment de se rendre à Nevers. A sa place, M. Louis YVERT, Inspecteur général des Bibliothèques, chargé par M. Jean GATTE-GNO, Directeur du Livre et de la Lecture, de présider un groupe de travail sur la décentralisation et les bibliothèques publiques, a exposé comment cette question serait, selon lui, abordée par le groupe. Depuis lors, ce dernier a remis son rapport à M. GATTE-GNO. Le problème y est traité, pour l'essentiel, dans le chapitre Il intitulé « les étapes de la mise à niveau ». Certains chiffres énoncés à NEVERS ont été modifiés pour tenir compte des travaux du groupe.

    1) Définitions

    Loi-cadre. C'est une « loi qui se borne à poser des principes généraux et laisse au gouvernement le soin de les développer en utilisant son pouvoir réglementaire » (Lexique de termes juridiques, 5eéd., Dalloz, 1981).

    Loi-programme. C'est un « regroupement en la forme législative de prévisions d'ouverture, par des lois de finances ultérieures, des autorisations de programme nécessaires pour assurer le financement d'un ensemble cohérent de réalisations projetées » (id.). Une telle loi est donc purement financière et ne concerne en outre que des crédits d'équipement, mais il faut souligner l'expression « ensemble cohérent » et la parenté des lois-programmes avec les processus de planification.

    Bibliothèques publiques. On réserve généralement cette dénomination aux bibiothèques :

    • desservant tous les publics sans distinction d'âge ni de catégorie socio-professionnelle ;
    • financées par l'impôt (national ou local) et, pour l'essentiel, gratuites.

    Cette définition recouvre actuellement en France les bibliothèques municipales, les bibliothèques centrales de prêt, et la Bibliothèque Publique d'Information.

    2) Le projet de loi sur les bibliothèques publiques de 1979 et la demande de moratoire.

    Il est généralement admis, à l'échelon international, que les bibliothèques publiques doivent être de la compétence des collectivités territoriales (en France : communes, départements et régions), mais que deux conditions sont nécessaires pour que le système soit efficace.

    1) une bonne organisation territoriale

    • compétences et ressources des collectivités renforcées ;
    • nombre des communes diminué ;
    • fonction publique territoriale équivalente à celle de l'Etat.

    2) une loi sur les bibliothèques publiques, précisant

    • les missions des bibliothèques ;
    • les devoirs et obligations des collectivités territoriales ;
    • le rôle de l'Etat ;
    • les financements ;
    • les structures et organismes d'évaluation, de contrôle, de coopération et d'échange, etc.

    On peut constater que sous la 4eRépublique et au début de la 5e, la France -..en l'absence de réelle politique de décentralisation visant à remplir la première condition - ne s'est pas attachée à remplir la seconde. Les principales mesures ont été les suivantes :

    • en 1945, pour la desserte des petites communes, des services d'Etat - et non départementaux - ont été créés (BCP) et, pour les communes plus importantes, toute liberté leur a été laissée d'avoir ou non une bibliothèque, sans aide financière de l'Etat ;
    • en 1968, une politique de subventions aux communes tant en fonctionnement qu'en équipement a été mise en place, considérablement développée en 1982.

    La nécessité du projet de loi élaboré en 1979 est apparue comme urgente dès la formulation des projets de développement des responsabilités locales, qui prévoyaient notamment le transfert des BCP aux départements et la suppression des subventions spécifiques pour l'équipement et le fonctionnement des BM, remplacées par des dotations globales de l'Etat en équipement et en fonctionnement. Mais cette nécessité découlait aussi de l'insuffisance de la politique de subvention - malgré les progrès considérables du début des années 1970 - dû au désengagement financier de l'Etat.

    Le projet de loi comportait deux volets :

    A. DES DISPOSITIONS D'ORDRE GÉNÉRAL (du type loi-cadre) précisant les responsabilités respectives de l'Etat et des collectivités territoriales. Ce volet seul a fait l'objet d'une fuite et a été largement diffusé.

    Il s'inspirait en grande partie de la législation étrangère (étudiée dans l'important livre de Frank GARDNER publié par l'UNESCO en 1972 et résumé dans le rapport VANDEVOORDE), tout en tenant compte de la réalité française, notamment le considérable émiettement communal et l'importance des fonds anciens appartenant à l'Etat et conservés (mal) dans les bibliothèques municipales.

    Les dispositions les plus importantes étaient les suivantes :

    a) Dispositions générales.

    • accès à tous, pour leur formation, leur information et leur culture ;
    • gratuité (de la communication, la gratuité du prêt à domicile n'étant pas spécifiée) ;
    • pluralisme ;
    • catégories de documents fèn particulier audiovisuels).

    b) bibliothèques municipales.

    • définition du service (local, personnel, budget de fonctionnement, accès du public) ;
    • règles relatives à la consultation sur place et au prêt à domicile ;
    • obligation d'une BM pour toutes les communes de plus de 10 000 habitants dans un délai de 5 ans ;
    • programmes d'équipement (bibliothèque centrale et bibliothèques de quartier) soumis pour avis au Ministère ;
    • subventions de l'Etat pour les équipements prévus en conformité avec des normes nationales ;
    • B.M. classées : tout le personnel de catégorie A est d'Etat (reprise de la loi de 1931 sur les catégories de BM, dans l'interprétation restrictive imposée par le Ministère de l'intérieur) ;
    • aide financière de l'Etat au fonctionnement, liée au respect des normes nationales.

    c) bibliothèques centrales de prêt.

    • transférées aux départements avec statut d'établissement public départemental ;
    • service limité aux communes de moins de 10 000 hab. (actuellement 20 000) ;
    • dispositions transitoires (5 ans) pour la desserte des communes de 10 à 20 000 habitants moyennant contribution aux charges de la BCP;
    • tous les départements sont pourvus en 5 ans ;
    • les ressources de la BCP proviennent de l'Etat, de l'EPR, du département et des communes desservies ;
    • tout le personnel reste d'Etat (mis à disposition) ;
    • les annexes de la BCP peuvent jouer le rôle de bibliothèque intercommunale (convention avec les communes bénéficiaires) ;
    • les dépôts sont communaux (responsabilité des maires), d'autres dépôts sont possibles (écoles, entreprises, etc.) ;
    • le prêt direct peut être assuré, en accord avec les maires ;
    • la BCP a un rôle de conseil auprès des communes.

    d) Patrimoine.

    • inaliénabilité des fonds sauf exceptions fixées par arrêté ministériel ;
    • collections d'Etat sous la responsabilité des villes ;
    • préemption par l'Etat et dation en paiement pour des documents confiés aux villes ;
    • échanges entre bibliothèques autorisés par le Ministre ;
    • les règles concernant la préservation et la mise en valeur des collections sont fixées par arrêté ministériel.

    e) Dispositions communes.

    • création auprès du Ministre d'une commission nationale des bibliothèques publiques ;
    • chaque bibliothèque fournit un rapport annuel au Ministre ;
    • les bibliothèques sont contrôlées par l'Inspection générale des bibliothèques ;
    • des conventions entre l'Etat et certaines villes (bibliothèques municipales conventionnées à vocation régionale) donnent à ces bibliothèques une mission régionale de conservation du patrimoine.

    B. DES DISPOSITIONS FINANCIÈRES (du type loi-programme) portant sur un plan quinquennal d'équipement qui prévoyait la construction des surfaces suivantes :

    BM (Paris exclu) 300 000 m2

    BCP 90 000 m2

    soit environ un milliard de francs courants sur les budgets de l'Etat de 1980 à 1984. C'est ce volet du projet de loi (naturellement essentiel) qui n'a pas été divulgué à l'époque, mais qui a été actualisé en 1981 et publié dans le rapport VANDEVOORDE pour la période 1982-1986.

    L'ensemble du projet de 1979 était donc articulé sur le fait qu'à une obligation faite aux collectivités territoriales de faire fonctionner une bibliothèque devait correspondre un engagement financier important de l'Etat. C'est ce qu'on a appelé la mise à niveau avant décentralisation ou le plan de rattrapage ou encore le moratoire de cinq ans, dont la demande a été formulée en 1979 par la Direction du Livre et soutenue pratiquement sans réserve par les organisations syndicales et professionnelles, les partis politiques, la Commission PINGAUD-BARREAU et l'Association des maires de France (Congrès de 1982).

    3) Les nouvelles données

    D'une part, les mesures de décentralisation auront les conséquences suivantes sur les bibliothèques publiques, à partir de 1986 :

    • transfert des BCP aux départements (bâtiments, mobilier, collections, personnel sauf catégorie A) ;
    • suppression des subventions spécifiques de l'Etat (équipement et fonctionnement) pour les BCP comme pour les B.M. ;
    • rémunération du personnel d'Etat des BM classées et des BCP à 100 % par l'Etat (150 bibliothèques) ;
    • maintien du contrôle technique de l'Etat.

    D'autre part, les conditions de développement seront facilitées par :

    • une plus grande capacité financière des collectivités territoriales (dotations globales et réforme de la fiscalité) ;
    • des fonctions publiques d'Etat et territoriale équivalentes ;
    • une extension importante des bibliothèques au cours des 4 années 1982-1985 ;
    • la mise en place (actuellement projetée) de structures de coopération aux niveaux national et régional.

    4) La question de la loi et du moratoire, en 1984

    Pour ce qui est d'un projet de loi, le Ministère de la Culture exclut désormais qu'un tel projet puisse reprendre deux des dispositions prévues en 1979, à savoir l'obligation faite aux collectivités territoriales d'une certaine importance d'avoir une bibliothèque (ce qui serait politiquement en contradiction avec la loi de décentralisation du 2 mars 1982) et une loi-programme (compte-tenu des importants crédits d'équipement inscrits au budget de l'Etat depuis 1982). Une loicadre resterait cependant utile : c'est l'opinion du groupe de travail sur la décentralisation et les bibliothèques publiques, qui développera ce point de vue dans son rapport.

    En ce qui concerne un moratoire, c'est-à-dire un délai d'application des mesures déjà décidées en 1982 et 1983, la question se pose de façon différente selon les domaines :

    a) Le transfert des BCP. Prévu pour janvier 1986, le bruit a un moment couru qu'il serait reporté. Ceci supposerait une modification de la loi du 7 janvier 1983 sur les compétences, qui semble totalement exclue.

    b) Le changement de statut du personnel des BCP. Le droit d'option entre statut territorial et statut d'Etat devrait intervenir dans les 5 années suivant le 1 er janvier 1984. Compte tenu de ce que les statuts particuliers des personnels territoriaux des bibliothèques ne sont pas encore arrêtés, ce délai devrait normalement être augmenté.

    c) L'équipement. Pour les BM, les subventions spécifiques du Ministère de la Culture ne seront allouées que jusqu'en 1985 inclus. Pour les BCP, le financement à 100 % par le Ministère sera prolongé jusqu'à 1986 inclus. Compte tenu des budgets 1982-1984 et des prévisions que l'on peut faire pour 1985 et 86, le programme de 1979 sera réalisé :

    • à 65 % pour les B.M. (194 000 sur 300 000 m2)
    • à 46 % pour les B.C.P. (41 000 sur 90 000 m2) Il convient en outre d'observer que le programme élaboré pour les BCP ne concernait que 40 annexes, en plus des centrales dans leur totalité.

    Le groupe de travail préconisera l'instauration de subventions à 50 % pour la construction des BCP, jusqu'à la mise à niveau nécessaire.

    d) Le fonctionnement et le personnel. Des subventions incitatives pour les BM et les BCP devraient être allouées de façon permanente ou, à défaut, pendant quelques années.

    En résumé, les lois de décentralisation et une loi sur les bibliothèques publiques ne sont pas contradictoires mais complémentaires et la suppression des subventions spécifiques et le transfert des BCP ne devraient pas intervenir sans qu'au préalable :

    • les droits des usagers et les devoirs des collectivités territoriales et de l'Etat aient été définis par la loi ;
    • l'évaluation des coûts de fonctionnement ait été clairement faite, non pas en fonction des réalités actuelles, mais des besoins du public, qu'il est normativement possible d'établir ;
    • une mise à niveau minimum ait été assurée par l'Etat ou avec son concours, dans le cadre des procédures de planification régionale et de la politique contractuelle mise en oeuvre depus 1982 entre les collectivités territoriales et le Ministères de la culture.