Index des revues

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    Travaux personnels et recherche des bibliothécaires

    Par Jean-Claude GARRETA, Conservateur en chef de la Bibliothèque de l'Arsenal, Président de l'Association des bibliothécaires français
    Par Gilbert NIGAY, Conservateur en chef de la Bibliothèque Interuniversitaire de Grenoble, Président de la Société des écrivains dauphinois.

    La profession de bibliothécaire a toujours été l'occasion de travaux de l'esprit : publications érudites et savantes, essais ou oeuvres littéraires. Avant que la profession ne s'affirmât vraiment comme un métier mettant en application des techniques spécifiques, elle était le prétexte à assurer la « matérielle d'écrivains ou de spécialistes dans des domaines tels l'histoire, l'archéologie, les beaux arts... De cette conception restée valable en gros jusqu'au début de ce siècle, avec quelques résurgences plus tardives, évoquons quelques noms : Charles Nodier, Sully Prudhomme, José-Maria de Hérédia, Pierre Benoît. Mais, plus la profession s'organisait et devenait prenante, demandant non seulement une présence mais un engagement total, il nous faut heureusement remarquer que les travaux - désormais devenus personnels, puisqu'effectués en dehors du temps dû à l'Administration- n'ont pas été taris et que les bibliothécaires ont vraiment vocation à publier, selon les goûts, les affinités et la personnalité de chacun.

    Les quelques remarques qui constituent ce bref article ne sont qu'un aperçu de ce que peuvent être travaux personnels et recherche dans notre profession et, sans prétendre refaire un quelconque Télémaque appliqué aux bibliothèques, elles se voudraient conseils amicaux et aimables invites à de jeunes collègues, puisque de telles activités trouvent leur justification dans l'intérêt général, mais aussi dans la propre satisfaction de leurs auteurs.

    Il est bien certain que, pour les enseignants du Supérieur, la recherche et donc les publications font partie intégrante du travail et des obligations. Ce qui fut longtemps une loi non écrite est maintenant, et le sera sans doute de plus en plus, inscrit dans les textes réglementaires. Paradoxalement, en ce qui concerne les bibliothèques, il n'existait aucune obligation de ce genre dans les missions du personnel scientifique, telles qu'elles sont définies dans son statut. Tout au plus le décret du 23 décembre 1970 mentionnait-il parmi les missions des bibliothèques universitaires- et non pas des personnels, remarquons-le - la recherche et l'enseignement bibliographique et documentaire. Et, il a fallu attendre l'année 1983 pour qu'une circulaire du Directeur de la DBMIST sur les horaires envisage la possibilité de tels travaux bibliothéconomiques et d'intérêt général. Enfin, la loi sur l'enseignement supérieur, en son article 60, assimile le personnel scientifique des bibliothèques aux enseignants - chercheurs sur le plan administratif, mais surtout (les personnels des bibliothèques) «participent à la mission d'animation scientifique et de diffusion des connaissances », ce qui est un progrès malgré l'absence du mot recherche. Fort heureusement, il n'est nul besoin d'insister pour se rendre compte qu'avec ou sans texte officiel les bibliothécaires ont travaillé et continuent de le faire en sus de leur « devoir d'état », leur fonction propre, sans trop regarder le nombre d'heures qu'ils consacrent à l'un ou l'autre aspect qui parfois sont bien imbriqués.

    Qu'il soit permis à deux professionnels déjà anciens de remarquer que l'estime portée par les universitaires aux bibliothécaires (elle est assez générale, même s'il y a de temps en temps des malentendus...) ne va pas tellement aux travaux propres des bibliothèques : catalogues bien faits, acquisitions judicieuses, diffusion efficace de l'information, etc. Ces tâches leur paraissent apparentées à de l'intendance, et aller de soi. Relevons aussi que bien souvent les usagers des bibliothèques ne cherchent guère à connaître le système d'une classification ou à s'initier aux recherches bibliographiques, domaines qu'ils concèdent sans difficulté aux professionnels des bibliothèques. Il y a là un travers français, souvent constaté, qui nuit en définitive à la bonne utilisation des bibliothèques et à la diffusion convenable de l'information, malgré les efforts faits en ce sens surtout dans les dernières années. Par contre, universitaires et chercheurs apprécient hautement les travaux faits dans leurs domaines propres et les publications dans les organes où eux-mêmes écrivent. Cette remarque se confirme vraiment concrètement, nous l'avons constaté, lors des Congrès Nationaux des Sociétés Savantes dans les rapports qui se nouent entre les participants, parmi lesquels les bibliothécaires sont très minoritaires. Cet aspect, même s'il peut receler quelque part de vanité mais non de vaine gloriole, ne saurait donc être négligé quand nous engageons nos jeunes collègues à publier.

    Un vaste champ s'offre à eux. Ces travaux, ces publications, nous voudrions les exposer et les caractériser par leur nature, la catégorie en quelque sorte formelle dans laquelle ils s'insèrent plus que sur leur fond. Tout d'abord, à l'évidence, les travaux bibliothéconomiques s'imposent : catalogues imprimés et surtout collectifs, inventaires de collections et de fonds particuliers, thesauri divers, catalogues d'expositions, cours professionnels..., dont nous avons déjà remarqué qu'ils s'insèrent dans les activités précises des bibliothécaires, et que la démarcation avec le temps supplémentaire qui peut leur être consacré n'est pas facile à faire. Il s'agit là souvent de tâches accomplies dans de grandes bibliothèques, en particulier à la Bibliothèque Nationale. Il arrive qu'elles soient désignées du nom de leur auteur ou maître d'oeuvre (le « Raux »,...) bien qu'il s'agisse généralement d'entreprises communes et de travaux partagés.

    Toujours sous cet aspect bibliothéconomique ou touchant aux différentes activités des bibliothèques, nous trouvons maintenant des travaux où le coefficient personnel est beaucoup plus important : la recherche bibliothéconomique proprement dite, les études et réflexions sur les classifications, l'automatisation, la recherche documentaire et tout particulièrement l'histoire du livre qui fait appel, au premier chef, aux documents propres des bibliothèques, et constitue une science auxiliaire de l'histoire. N'oublions pas non plus l'histoire des bibliothèques ou une discipline particulièrement nouvelle, la bibliologie. Toutes ces questions, tous ces problèmes soulevés, ces vues prospectives constituent la matière des revues professionnelles ou de publications faites par les bibliothèques ou des organismes qui leur sont propres (les Presses de l'ENSB ou les publications de l'Université du Maine, par exemple). On sait que ces travaux sont loin d'avoir l'étendue de la production des pays anglo-saxons ou germaniques mais, ces dernières-années, des efforts méritoires ont été faits, et il est maintenant loin le temps - quinze ou vingt ans - où le Bulletin des Bibliothèques de France sollicitait à nouveau tout auteur d'article. Tels quels, ils contribuent à faire avancer la profession, et par-là même à assurer l'efficacité des services rendus aux usagers, même si ceux-ci n'en ont pas toujours pleine conscience.

    Nous en venons maintenant aux travaux non spécifiques et d'intérêt général qui s'apparentent à ceux des universitaires et des chercheurs de tout ordre, et laissent toute latitude à l'initiative et aux affinités personnelles. Nous avons dit que c'est par eux que les professionnels de la documentation que nous sommes peuvent vraiment s'intégrer dans la communauté universitaire. S'il y a manque d'intérêt et méconnaissance pour nos travaux purement professionnels, ceux qui sont réalisés dans cet autre cadre, en paraissant dans des revues savantes, spécialisées ou émanant des Universités et centres de recherche, sont mieux connus et appréciés comme venant de pairs. Un article paru dans la Revue historique, l'Information littéraire ou la Revue d'histoire de la médecine attirera l'attention et l'intérêt. Insistons aussi sur les comptes rendus pour lesquels l'esprit d'analyse et de précision, qui nous est reconnu, peut s'exprimer.

    Mais, est un domaine où la participation des bibliothécaires est particulièrement appréciée : celui des Sociétés Savantes. Celles-ci, surtout en province, sont bien vivantes malgré les difficultés financières qui pèsent sur leurs publications. Couvrant par excellence les domaines de l'histoire et de l'archéologie (leurs domaines de prédilection), de la littérature régionale et, dans le domaine scientifique, celui des sciences naturelles, ces sociétés ont vu dans les dernières décennies un changement dans leur public. Leurs membres traditionnels, érudits locaux, autodidactes, amateurs éclairés, représentants des professions libérales et - osons le dire - « bourgeois et notables en tous genres, ont tendance à se réduire devant l'entrée en masse des universitaires, autrefois relativement peu nombreux, et souvent même de ceux des jeunes générations. Les assistants, surtout dans le domaine des sciences humaines, doivent publier pour faire connaître leurs travaux... et se faire connaître : devant les difficultés de l'édition, les organes des sociétés savantes constituent un recours qui est de plus en plus fréquemment utilisé. Les bibliothécaires ont toujours été bien accueillis dans ces sociétés, et leurs compétences peuvent heureusement y être mises à contribution. Ils peuvent mieux faire connaître les fonds de leurs établissements, considérés comme matériaux de recherche - et ils le sont de plus en plus auprès des universitaires. Dans le cadre des travaux de ces sociétés, portant le plus souvent sur des questions régionales, la connaissance qu'ils ont de leurs fonds apportera d'utiles contributions. Sur le plan technique, ils pourront donner conseils et orientations de recherche.

    Techniquement, ils sont à même d'orienter les jeunes chercheurs en quête d'un sujet et surtout d'aider les historiens amateurs à utiliser des bibliographies et les instruments de travail permettant de réaliser un travail solide. Ils ne doivent pas non plus dédaigner de collaborer à Chercheurs et curieux, le célèbre « Intermédiaire", donnant par leurs réponses aux questions posées des modèles de démarches à suivre pour résoudre des problèmes d'identification, de localisation : c'est l'ensemble des lecteurs de cette revue qui tire ainsi profit d'une démonstration de savoir-faire érudit. Leur participation régulière aux travaux de ces sociétés savantes doit même encourager nos collègues à y accepter des fonctions actives, le secrétariat ou la présidence de ces compagnies où leur compétence reconnue par tous leur confère une autorité qui ne peut que réhausser l'image du bibliothécaire dans la cité. Cette forme d'animation du patrimoine au service du grand public n'est nullement indigne d'un bibliothécaire soucieux de mettre ses talents au service de la collectivitié humaine.

    Telles sont les quelques réflexions que nous soumettons à nos jeunes collègues. Nous leur souhaitons de réaliser sous leur nom ces travaux dont la liste, au bout d'une carrière bien occupée, est souvent impressionnante par le nombre et la qualité : ils sont à l'honneur de notre profession.