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Les livres en yiddish à la bibliothèque nationale

1985

    Les livres en yiddish à la bibliothèque nationale

    Par Yitzhok Niborski

    Les ouvrages en langue yiddish entrés à la Bibliothèque nationale sont reçus et traités par le Service hébraïque, dépendant du Département des entrées. Cela implique la continuité du critère suivi depuis de très nombreuses années, qui veut que tous les ouvrages en caractères hébraïques soient classés ensemble. C'est ainsi que dans le fonds hébraïque ont été conservés des manuscrits et des imprimés dans les différentes judéo-langues : le Judéo-espagnol et sa variante le Ladino (calque de l'hébreu biblique), le Judéo-arabe et notamment ce qu'on appelait dans le temps le Judéo-allemand, c'est-à-dire le Yiddish.

    En ce qui concerne cette dernière langue, l'ancien fonds (jusqu'à 1960) contient environ 500 volumes, qui constituent le noyau, modeste et important à la fois, des collections qui se sont développées pendant le dernier quart de siècle. On y trouve, par exemple, une version très ancienne du Pentateuque et des Cinq Rouleaux (Augsburg 1544) et un certain nombre d'ouvrages très intéressants des xvme et xixesiècles, ainsi que de nombreuses oeuvres éditées en Europe orientale pendant la première moitié de ce siècle et transformées prématurément en raretés par les destructions de la seconde guerre mondiale. Comme l'ensemble des ouvrages de l'ancien fonds, ces livres sont maintenant en cours de recensement.

    A partir du début des années 50, parallèlement au développement de l'ensemble du Service hébraïque, le travail sur les ouvrages en Yiddish connaît un grand essor, dû surtout au dévouement de celui qui en fut pendant de longues années le principal animateur: le Dr Noé Gruss. Cet excellent connaisseur, récemment disparu, des littératures hébraïque et yiddish, passionné de bibliographie et lexicographie, a contribué à enrichir le patrimoine yiddish de la Bibliothèque nationale non seulement par ses recommandations en matière d'acquisitions, mais aussi parce que les rapports personnels qu'il entretenait avec des particuliers dans les milieux intellectuels yiddishophones et avec des institutions étrangères, ont permis l'obtention d'importants dons et la mise en place d'échanges très fructueux.

    Dans le même sens s'inscrit l'action de Jean Baumgarten, qui fut le responsable direct des livres en yiddish pendant sept années, jusqu'à la fin 1984. Quelques chiffres donneront une idée de ce développement.

    Aux 500 volumes réunis jusqu'à 1960, se sont ajoutés pendant la décennie 1960-1969 encore 850 ouvrages; de 1970 à 1979, les livres entrés ont été 3200, et près de 1 500 pendant les cinq premières années de la décennie en cours. On peut donc estimer le fonds yiddish, toutes époques confondues, riche d'environ 6 000 volumes.

    Ce chiffre encore modeste - il faudrait le multiplier par trois ou par quatre pour parvenir à quelque chose de quantitativement important - masque la réalité d'une qualité fort respectable. En effet, le critère de sélection pour établir les listes de commandes et desiderata vise en premier lieu les ouvrages susceptibles d'attirer l'intérêt de l'étudiant et du chercheur dans le domaine yiddish. Ainsi, pour ce qui est des belles-lettres, des efforts particuliers ont été déployés dans le but de se procurer les premières éditions des oeuvres classiques (pour cette langue, cela veut dire de la période 1860-1920), les seules utiles pour d'éventuels travaux de critique de textes. Du côté des études historiques, sociologiques et ethnographiques, la Bibliothèque nationale peut se flatter de posséder la collection la plus complète en France de Livres du Souvenir (Yizkor-Biher). Ce sont des volumes édités depuis 1945 par des associations juives de nombreux pays, consacrés au souvenir d'une ou plusieurs des communautés juives d'Europe orientale anéanties pendant le Génocide. Très appréciés comme source pour la recherche, leur nombre total atteint à ce jour un peu plus de 400. Leurs tirages limités et la distribution par l'intermédiaire des associations d'originaires de chaque endroit, complètement en marge du marché, font de beaucoup d'eux de véritables pièces de bibliophile. Pourtant, notre service a réussi à en rassembler environ 300. Enfin, on compte un nombre important d'opuscules édités par des mouvements politiques juifs il y a soixante-dix à quatre-vingt-dix ans très appréciés par les historiens, et on met à la disposition des lecteurs, toutes les publications en yiddish des centres mondiaux de recherche dans ce domaine, notamment de l'université de Jérusalem et du YIVO Institute of Jewis Research de New York.

    Les nouveaux livres arrivent donc par trois voies :

    • 1) Acquisitions : les principaux fournisseurs se trouvent en Israël et aux Etats-Unis, mais le dépouillement dans le Service de catalogues d'éditeurs et antiquaires permet souvent de découvrir des livres d'intérêt en Allemagne, Royaume-Uni, Argentine, etc.
    • 2) Dons : un certain nombre d'écrivains et autres intellectuels de langue yiddish en France cèdent régulièrement à la Bibliothèque nationale des livres et des périodiques ; plusieurs collections et bibliothèques particulières ont été données par disposition testamentaire.
    • 3) Echanges : les principaux partenaires dans ce domaine sont : la bibliothèque du YIVO Institute, New York, et la Bibliothèque Medem, à Paris.

    Quelques mots sur les perspectives pour l'avenir. L'intérêt pour la recherche linguistique, littéraire, ethnologique, historique, etc., dans le domaine yiddish s'est notablement accru depuis dix ans dans presque tout le monde. Aux centres universitaires qui s'en occupaient traditionnellement, chacun dans son optique à lui: Columbia (New York), Jérusalem, Marbourg (Atlas de la langue allemande), etc., s'en ajoutent maintenant plusieurs autres, dans différents points des Etats-Unis, àOxford, Bar-llan (Tel-Aviv), etc. En France et en Belgique, cet intérêt connaît un essor tout à fait comparable parmi les étudiants et dans le milieu intellectuel, mais son reflet sur le plan strictement académique est pour le moment restreint : un seul doctorat sur un sujet de littérature yiddish, trois ou quatre DEA en cours, un ou deux chercheurs au CNRS. Les progrès sur ce plan et l'accroissement des collections yiddish de la Bibliothèque nationale devraient avoir un effet de stimulation réciproque. D'où la conclusion : faire connaître ce que la Bibliothèque nationale accomplit dans le domaine yiddish, c'est, à terme, se donner des raisons d'en faire encore davantage.