C'est aujourd'hui une banalité de constater l'importance fondamentale de l'information scientifique et technique. C'en est une autre de signaler la croissance exponentielle du flux documentaire, et de son coût. Mais cette constatation toute théorique prend une dimension bien plus inquiétante lorsqu'il s'agit d'affronter la réalité locale, et, très particulièrement, le cadre universitaire régional.
A ce niveau, nombreuses sont les questions qui vont se poser. Comment faire face à ce flux? Comment assurer, avec des possibilités financières diminuées d'année en année, la couverture documentaire nécessaire au chercheur local ? Pour ce faire, les structures traditionnelles - en particulier les bibliothèques universitaires - ne sont-elles pas périmées en face de méthodes de recherches modifiées, d'habitudes de travail nouvelles, de sources de crédits différentes d'autrefois ?
A Bordeaux, depuis déjà longtemps, le problème se posait avec une particulière acuité dans le domaine scientifique et technique. Comme dans la plupart des universités de province la section scientifique de la Bibliothèque interuniversitaire (ou Bibliothèque universitaire de Sciences) ne jouait plus le rôle d'instrument fondamental de la recherche qui était théoriquement le sien.
Au lieu d'acquérir de plus en plus de matériaux documentaires, pour suivre l'accroissement des publications et le développement des recherches, elle souffrait d'une réduction dramatique de crédits. Par exemple, les sept cent soixante-quinze abonnements de périodiques de 1970 étaient en 1982 ramenés à trois cents à peine.
A cause du poids d'une structure trop hiérarchisée et trop lourde, elle continuait de demander à l'utilisateur de s'adapter à ses règles, faute de pouvoir se modeler sur ses méthodes déconcentrées de travail.
Ce rôle fondamental que n'assurait plus, bien malgré elle, la Bibliothèque universitaire, chacun des utilisateurs s'est mis à l'assurer à sa façon, selon ses besoins, ses crédits et la structure dont il disposait parfois déjà. D'où une « balkanisation » de la documentation, partiellement efficace, mais ne satisfaisant pas la plupart des chercheurs, dont bon nombre continuaient à se tourner vers une Bibliothèque scientifique « centrale », malheureusement impuissante.
Cette situation préoccupait depuis longtemps les responsables de l'Université de Bordeaux 1 (qui rassemble les disciplines scientifiques, le Droit et les Sciences Economiques). Une lettre du Directeur Général des Enseignements Supérieurs du 25 novembre 1982, lettre qui traitait du transfert des charges d'infrastructure des bibliothèques universitaires aux universités qu'elles desservaient, décida de leur intervention.
Cette lettre, en effet, présentait ce transfert comme le début d'une réorganisation générale de la fonction documentaire dans les universités, dont la libération de la Bibliothèque universitaire de toute charge d'« intendance », tant pour les crédits que pour la gestion, était la première - et indispensable - étape.
Dans la foulée, si l'on peut dire, et à l'initiative du vice-président chargé de la partie scientifique de l'Université, un professeur a été alors chargé d'une mission exploratoire.
Une commission est créée à son initiative. Tout à fait informelle, elle essaie de rassembler tous les intéressés au problème, membres du Conseil scientifique, représentants des U.E.R., des laboratoires, des bibliothèques d'institut, et de la Bibliothèque universitaire. Elle « ratisse large », mais au fil des réunions se produit une inévitable et souhaitable décantation. Seuls demeurent les centres documentaires les plus importants de l'Université. L'intérêt de cette procédure a été de rassembler les utilisateurs vraiment concernés, et dont la participation a été volontaire. C'est un aspect qu'il faut souligner, car il indique l'état d'esprit dans lequel tout le travail ultérieur a été mené.
Le premier objectif de la commission a été de faire l'analyse de la situation. Elle a mené une enquête, informelle elle aussi, souvent non quantifiée, mais très instructive sur l'existant non seulement matériel et intellectuel, mais aussi psychologique.
Premier constat : l'accès à la documentation est très décentralisé. La Bibliothèque universitaire de Sciences, souvent appelée bibliothèque centrale, reste traditionnellement le lieu de dépôt de la plus grande masse documentaire, mais celle-ci est vieillie, et peu et mal renouvelée de façon restreinte : peu ou pas de monographies, les thèses, et des périodiques en diminution.
Dans l'Université elle-même, existent de bonnes bibliothèques créées par des centres anciens et efficaces. Elles méritent le nom de bibliothèques, car elles ont une organisation réelle avec des gestionnaires compétents (ouverture et prêt assurés), des collections classées et accessibles, et des possibilités financières non négligeables, d'origine universitaire ou ex-tra-universitaires.
A côté existent de petites unités documentaires, généralement dispersées dans les U.E.R., selon les centres de recherche et laboratoires. Il s'agit parfois d'une nébuleuse, les U.E.R. de chimie et de physique n'ayant pas un noyau documentaire central. Avec des crédits nettement plus modestes, encore qu'intéressants, ces unités achètent selon les besoins des recherches en cours. Les ouvertures sont incertaines, de même que la gestion. Les utilisateurs s'en déclarent satisfaits, mais paraissent mal connaître les réelles possibilités de la documentation.
Deuxième constat : l'absence de coordination entre tous ces éléments. Il n'existe que peu d'interactions entre elles, et rarement avec la Bibliothèque universitaire des Sciences. La situation est particulièrement frappante à l'intérieur des U.E.R. où cohabitent, sans aucun lien, bibliothèques et petites unités documentaires.
L'impuissance de la Bibliothèque universitaire à jouer son rôle a, par compensation, poussé au développement de ces bibliothèques, souvent de façon intéressante. Et l'existant est loin d'être négligeable, mais le désordre documentaire est total.
L'analyse de la situation faite, la commission s'est alors préoccupée de définir les besoins et le but à atteindre. Des discussions qui ont eu lieu, les besoins du chercheur à Bordeaux se sont concrètement dégagés en cinq points :
Le but à atteindre, qui en résulte directement, est de fournir les moyens d'une documentation scientifique et technique la plus complète possible au niveau régional, à la recherche universitaire, et à la recherche régionale en général. C'est à l'ensemble des chercheurs, et en fait au sein de la commission, qu'il revient de décider les rôles respectifs des bibliothèques existantes pour la satisfaction de ces besoins.
Un autre point a paru vite évident: dans un premier temps, la documentation devait être traitée dans son ensemble, et globalement, mis à part sa localisation. La commission a été parfaitement consciente que c'était là la conception de l'Administration centrale pour laquelle les dépenses documentaires, qu'elles soient effectuées par la Bibliothèque universitaire ou par les organismes de recherche, formaient un tout, et avaient une même origine : l'Etat. Se quereller sur leur répartition n'avait donc que peu de sens, l'important étant que le document soit présent.
La commission s'est attachée ensuite à étudier les suggestions qui pouvaient être faites pour une meilleure organisation de la documentation. Beaucoup de possibilités ont alors été envisagées. La plus extrême a été la suppression pure et simple de la Bibliothèque universitaire des Sciences. Les arguments présentés ne manquaient pas d'intérêt : lourdeur d'un système ancien qui, par moment, donnait l'impression de fonctionner à vide ; personnel à employer de façon plus efficace en décentralisant; structure déconcertant et dissuadant le lecteur ; enfin manque de crédits qui faisait dire à certains que, si l'Université devait entretenir elle-même sa Bibliothèque universitaire, mieux valait à ce moment-là répartir la documentation et les crédits correspondant aux intéressés.
A ceci, des universitaires membres de la commission (et non les professionnels des B.U.) ont opposé la continuité de l'existence de la B.U., organisme statutaire et permanent face à d'autres structures plus éphémères ; l'accès assuré par celleci de façon plus large que tout autre centre grâce à ses importantes heures d'ouverture. Quant aux crédits, le mode de calcul actuel privilégiant le nombre d'étudiants désavantage la B.U., mais le régime mis en place dans la ou les prochaines années sur des bases contractuelles devrait modifier cet état de chose.
Néanmoins, l'hypothèse de cette disparition a eu un grand mérite : elle a fait repartir la discussion de la base, et a obligé à mettre à plat la situation. Des réflexions qui furent alors menées, deux principes de bases ont été retenus :
l'accès décentralisé à la documentation, chaque unité documentaire conservant son individualité et son autonomie financière ; compte-tenu des contraintes spécifiques propres à chacune d'elles.
mais aussi :
la nécessaire coopération de toutes ces unités documentaires existant dans l'Université, B.U., bibliothèques d'Instituts et de Laboratoires, cette coopération se réalisant dans la participation à un service commun de la documentation, chargé d'assurer par une politique élaborée en commun, la couverture documentaire nécessaire à la recherche et ses modes d'exploitation.
Les remarques et suggestions de la commission ont été présentées au Conseil scientifique de l'Université au mois de mai 1983. Elles ont amené celui-ci à créer, dans sa séance du 3 mai, de façon officielle, le Service de Documentation Scientifique et Technique préconisé par la commission selon la structure suivante :
Le Service réunit la B.U. de Sciences et, dans un premier temps, dix centres associés possédant des bibliothèques organisées, les plus importantes de l'Université, qui acceptent de concourir à ce service.
Un conseil formé des directeurs de ces organismes ou de leurs représentants a pour tâche d'assurer une coordination harmonieuse entre les différentes composantes. Il doit en particulier orienter la politique d'abonnement et a à connaître des règles de fonctionnement de chacun des centres afin de s'assurer qu'elles sont compatibles avec un service d'intérêt général.
Le premier travail de ce conseil a été de définir les rôles et les missions des membres du service, et de répartir entre eux les différents niveaux de documentation.
La Bibliothèque universitaire a vu son rôle clairement établi : Centre commun pluridisciplinaire scientifique, à ce titre, elle a pour vocation privilégiée
Elle doit aussi, en tant que centre commun du Service, assurer le cas échéant la conservation des collections des centres associés, sur accords particuliers avec ceux-ci.
Les bibliothèques des centres associés pour leur part
Un court règlement intérieur au Service a précisé les modalités pratiques de fonctionnement.
Après la réalisation de cette première étape, il fallait étudier les mesures à prendre pour constituer (ou reconstituer) un potentiel documentaire de valeur, conforme aux besoins de l'Université de Bordeaux I, et pour l'utiliser avec les moyens techniques les plus efficaces pour sa mise en valeur et son exploitation.
Le conseil du Service a mis alors à l'étude une série d'actions, en les classant par ordre d'urgence, de façon à établir un projet à court, moyen et long terme.
Le court terme a paru évident. C'était un inventaire et une planification de l'existant, en ce qui concernait les périodiques, outils essentiels du travail des chercheurs scientifiques.
Un inventaire de tous les périodiques reçus dans les divers centres du S.D.S.T. a été établi, non par la B.U. elle-même, comme cela avait été souvent le cas précédemment, et dans des conditions difficiles, mais par des groupes de travail constitués par disciplines qui menèrent une enquête complète.
On a pu ainsi isoler :
Ceci permit des constatations intéressantes, par exemple l'existence de recouvrements non négligeables entre membres du S.D.S.T. On constata aussi que certaines disciplines étaient sur le plan local plus favorisées à la B.U. que d'autres. On remarqua de très bonnes couvertures documentaires, et de grandes lacunes, en particulier dans le domaine imparti à la B.U. Sciences : dans les revues générales scientifiques et les outils bibliographiques.
Un début de planification des périodiques a été en conséquence mis en oeuvre. Des supressions d'abonnements soit par la B.U., soit par les centres ont suivi la constatation de doubles emplois. Il y a eu également une meilleure répartition des titres suivant le principe retenu : revues fondamentales à la B.U., spécialisées dans les centres. Une exception a été cependant faite pour certains périodiques généraux, déposés dans 2 centres éloignés, mais utilisateurs essentiels de ces revues payées sur crédits B.U.
Un début de remise à niveau a enfin été amorcé par l'attribution de crédits sur l'enveloppe recherche par le Conseil Scientifique. Ceci a permis d'acquérir une vingtaine de nouveaux titres de périodiques réclamés par les centres comme indispensables à la B.U., et de maintenir le fonds existant déjà.
Enfin, toujours à court terme, un support technique efficace a été mis en chantier. Avec l'aide du service informatique de l'Université, une liste informatisée des abonnements de tout l'ensemble du Service a été mise en mémoire. Se voulant avant tout outil de gestion, elle comporte évidemment un titre générique et si possible un état de collection, mais aussi une classification par grands thèmes, le lieu de dépôt, le fournisseur et le prix payé. Complétée et mise à jour par la B.U., qui en assure la maintenance, elle permettra pour la réalisation des prochains abonnements une planification plus fine et plus rapide.
Dans le même esprit, a été conclu pour 1984 un marché pour la fourniture de périodiques, incluant la Bibliothèque universitaire et trois centres associés.
Le bilan du court terme a été fait au terme d'un an de fonctionnement. On peut le considérer comme positif. Une politique documentaire a été élaborée, des fonctions documentaires (conservation, accès) réparties. Une planification partielle des abonnements a été réalisée, et un outil informatique en voie de création. Il reste certes des zones d'ombre, des incommodités d'accès au document, mais qui devraient être réglées sans trop de difficultés.
Il faut maintenant continuer l'effort de réorganisation en passant aux projets élaborés pour le moyen terme.
Pour être efficace, le Service devrait s'agrandir par l'entrée d'autres centres documentaires. Leurs représentants seront invités à s'associer aux travaux du Service. On recherchera la raison des non-participations, par exemple :
L'amélioration de l'existant se poursuit. La planification documentaire est d'ores et déjà continuée et affinée. Une deuxième attribution de crédits de recherche par le Conseil scientifique (égale à la moitié des crédits de la Bibliothèque universitaire des Sciences) a permis de supporter la montée du dollar, et de mieux identifier les titres importants.
Des sondages sur l'intérêt et l'utilisation des documents sont prévus en cours d'année. Ils permettront une meilleure utilisation des crédits.
Un potentiel documentaire régional doit être constitué, de façon à éviter au chercheur un recours constant à des ressources extra-locales ; pour des raisons de commodité, et également financières (coût du prêt interbibliothèques, par exemple).
Une politique d'acquisitions correspondant aux pôles d'intérêt régionaux (agro-alimentaire, matériaux composites, etc.) va être entreprise. Le Service de Documentation Scientifique et Technique est présent dans le contrat Université-Région actuellement en cours d'élaboration. Les arguments présentés à la Région sont :
Le deuxième volet sera l'exploitation matérielle des ressources des participants au Service.
La salle de recherche de la Bibliothèque universitaire de Sciences va être entièrement restructurée ; dès que des moyens le permettront, selon les désirs des chercheurs, avec un maximum de libre accès, l'installation de nouveaux rayonnages, et d'un système de détection des « emprunts sauvages de documents.
La Bibliothèque universitaire a déjà rédigé un petit Guide du Service. Il va être repris et perfectionné. De même, elle va assurer la réalisation d'un Répertoire des abonnements sur papier, à partir des données entrées en machine précédemment.
Un inventaire des moyens de recherche documentaire informatisée du Service est également prévu, l'examen des périodiques cités pouvant être extrêmement instructif pour la politique documentaire locale.
Des actions de formation doivent être réalisées, formation de l'utilisateur d'abord, auquel il faut faire comprendre ce qu'est une utilisation rationnelle de la documentation, par exemple :
La formation des gestionnaires des unités documentaires sur le plan technique sera prise en charge dans une optique large, la bibliothèque universitaire pouvant dans un plus long terme envisager d'assumer certains services (gestion des abonnements, par exemple).
Enfin, la partie du projet envisagée pour le long terme devient maintenant beaucoup plus immédiate.
Il a été prévu une répartition des moyens documentaires et des crédits afférents entre les divers centres pour couvrir un champ documentaire large et équilibré avec transparence des crédits. La réorganisation du régime financier des Universités et l'application du Plan comptable par fonction vont très vite favoriser cette transparence et permettre de travailler à cette répartition.
La Bibliothèque universitaire devait accentuer son rôle de pôle de diffusion, le caractère de dépôt de documents allant de pair avec celui de fournisseur de service. Une mise à jour constante sur l'évolution des techniques de la documentation (microformes, vidéodisque, etc.) lui a a par ailleurs été demandée. Le décret en voie de parution sur l'organisation de la documentation dans les universités va permettre une évolution plus rapide en ce sens.
Enfin, l'informatisation du Service était considérée comme urgente, et des études étaient à mener le plus tôt possible. Depuis la fin de 1984, l'implantation d'un système de gestion informatisé (SIBIL) a débuté à la Bibliothèque interuniversitaire de Bordeaux, et l'implantation en est prévue à la Bibliothèque universitaire de Sciences pour octobre 1985. D'ores et déjà, plusieurs centres participant au Service sont intéressés par cette implantation, et une étude est menée au niveau national pour déterminer les conditions d'entrée de ces organismes dans le système.
Il nous a semblé intéressant d'exposer assez en détail tout ce qui a entouré la constitution et les débuts du Service Commun de Documentation Scientifique et Technique de l'Université de Bordeaux 1. Un exposé de ce genre gomme inévitablement les difficultés rencontrées au fil des jours ; mais elles existent et, sans trop d'illusions, on se doit de les rappeler. Pourtant malgré les hésitations, les reculs, les critiques, voire les agressivités, un fait demeure : il s'est trouvé dans l'Université comme chez les professionnels, une volonté commune, non seulement d'arrêter une situation catastrophique, mais aussi d'aller de l'avant pour ne pas manquer les grands changements de l'information scientifique et technique. C'est un point positif et réconfortant, et il convenait en terminant de le souligner particulièrement.