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    André Masson, 1900-1986

    Par Maurice Caillet, Inspecteur général honoraire

    La mort le 7 février dernier à Pau où il avait pris sa L retraite, a consterné tous ceux qui admiraient sa verte vieillesse, son inlassable curiosité d'esprit, son ardeur toute juvénile au travail intellectuel.

    Il était issu d'une famille d'ancienne bourgeoisie qui comptait dans ses ascendants, à côté de Jean Racine, un député à la Constituante de 1789, un autre à celle de 1848 et qui s'était fixé au début du XIXesiècle à Rouen où, comme les ancêtres d'André Maurois à Elbeuf, elle avait édifié sa fortune dans la fabrication du drap.

    Né à Paris le 15 mai 1900, André Masson, ayant eu de bonne heure le goût de l'histoire et la passion des livres, entra à l'école des Chartes; il y eut comme condisciple Georges Bataille, Robert Brun, Georges Collon, Henry Joly, Louis-Marie Michon, tous appelés à jouer dans les bibliothèques et le monde des lettres un rôle qui n'est pas près d'être oublié. Archiviste-paléographe en 1922 avec une thèse d'archéologie sur l'église abbatiale Saint-Ouen de Rouen, il entama l'année suivante sa carrière de bibliothécaire en devenant bibliothécaire adjoint à la bibliothèque municipale de Rouen.

    Mais ce passage en terre familiale devait être de courte durée. Le grand voyageur que fut notre chartiste durant toute son existence, ne put résister à l'appel de l'Extrême-Orient. Le voici, en 1926, à Hanoi promu directeur des Archives et des Bibliothèques de l'Indochine, organisant un réseau de bibliothèques, publiant de nombreux travaux sur l'histoire de la colonie, chargé de l'organisation de la section historique de l'Indochine à l'Exposition coloniale de 1931 dans cette fameuse reconstitution du temple d'Angkor qui fut le "clou" incontesté de cette manifestation.

    En 1934, Pol Neveux, alors inspecteur général des bibliothèques, le convainc de revenir en France et le fait nommer bibliothécaire en chef de la bibliothèque municipale de Bordeaux. Dans ce poste, un des premiers de province, il donna rapidement toute sa mesure, en particulier durant les sombres années de la guerre et de l'occupation et ce rôle éminent assumé sans effort le désigna en 1944 pour l'inspection générale. Il devrait exercer ces nouvelles fonctions jusqu'à son départ à la retraite en 1970, participant activement à l'organisation de la Direction des Bibliothèques, assumant pour une large part la reconstitution des bibliothèques sinistrées et la récupération des bibliothèques privées spoliées par l'occupant, se chargeant, en plus d'un certain nombre de départements métropolitains, de tous ceux d'outre-mer et des établissements situés dans les pays francophones d'Afrique engagés dans la voie de l'indépendance.

    Ni ces responsabilités déjà très lourdes, ni la direction de la Maison de l'Indochine à la Cité universitaire de Paris, ne suffisaient à absorber toute son énergie. De 1950 à 1970, il assura aussi, à la demande de Julien Cain, la reprise de la publication du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Enfin, il trouvait encore le temps de se consacrer, dès avant sa mise à la retraite, à l'enseignement de l'histoire des bibliothèques françaises, ainsi qu'à l'étude du décor et du mobilier des anciennes bibliothèques tant françaises qu'étrangères. On lui doit, dans ce domaine jusqu'à lui mal exploré, outre de nombreux articles, deux ouvrages qui font autorité: Le Décor des bibliothèques du Moyen-Age à la Révolution (Genève, 1972) et The Pictorial catalogue-Mural décoration in libraries (Oxford, 1981). Il convient aussi de mentionner à part, dans son abondante bibliographie, l'édition des Oeuvres complètes de Montesquieu (Paris, 1950) et ces précieux petits volumes de la collection Que sais-je ? que sont: Histoire de l'Indochine, L'Allégorie, Les Bibliothèques; de ce dernier ouvrage cinq éditions ont paru de 1961 à 1982, les quatres premières avec Paule Salvan, la dernière avec Denis Pallier.

    Avec Madame Masson, elle aussi vouée aux bibliothèques, à Bordeaux d'abord, puis à la Mazarine, il vint s'installer à Pau dès sa retraite; il ne devait pas tarder à y jouer sa partie dans la vie culturelle, animant les travaux des sociétés savantes, explorant le passé palois, organisant des expositions... C'est à cette existence si bien remplie que la mort vient de mettre brutalement un terme.

    André Masson nous quitte en pleine force, en pleine activité. Il laisse une oeuvre historique solide et neuve; il aura aussi marqué les bibliothèques, dont il fut durant près de cinquante ans le fidèle serviteur, d'une empreinte qui ne s'effacera pas de sitôt. A son intelligence, à sa culture, à son autorité naturelle, à son ouverture au monde, il joignait une solide formation professionnelle et, qualité qui lui fut précieuse quand, inspecteur général il eut à connaître l'ensemble des problèmes de la profession, une aptitude particulière à juger de toutes choses en fonction de cette irremplaçable expérience que procure un métier longuement mûri et pratiqué avec amour.