Chaque délégué avait préparé un papier sur les problèmes rencontrés dans son propre pays au moment de la mise en place du système de bibliothèques publiques en milieu rural, et si la lecture orchestrée et minutée par le chairman, était parfois un peu lassante dans la forme, le contenu en était toujours intéressant et reflétait les situations diverses du développement de la lecture publique en zones rurales et marginales dans les différents pays représentés. Certains collègues avaient apporté des diapositives et des films qui, tout en faisant diversion, nous faisaient toucher du doigt, d'une façon vivante et concrète, les réalités des divers pays - exemple de Santa Catalina au Brésil, et du Pérou (bibliothécaires aux pieds nus dans les Andes et les campagnes).
Les copies des montages ont d'ailleurs été demandées à ces 2 collègues (achetées par l'Association U Libru Corsu), et pourront servir pour la promotion des dépositaires de nos propres B. C. P., et avec leur permission reproduites, pour les collègues demandeurs.
La semaine de travail a été coupée le mercredi par une journée de visite à des bibliothèques rurales, lecture publique à Seneca et Peru, où à côté des bibliothèques publiques proprement dites, nous visitons le centre de documentation d'un collège agricole, gros CD/ ouvert à tous les agriculteurs et fermiers du coin, en même temps qu'aux enseignants et élèves. C'est un véritable service technique de mise à jour perpétuelle en matière de documentation agricole (outillage, élevage, engrais, procédés de culture), spécialisée, à la disposition de toute la population qui tire ses revenus de la production du mais et du soja en grande majorité. C'est à la définition même des Américains, une bibliothèque rurale, comme d'ailleurs la bibliothèque publique de Seneca. Dans ces bibliothèques publiques la part du bénévolat est énorme, qui confère à l'accueil une note particulière: petits rideaux fleuris aux fenêtres de la bibliothèque, pots de fleurs, une certaine façon de mettre lo ménagère ou l'enfant "à l'aise", de façon à ce qu'il se sente chez lui dans sa bibliothèque.
Après cette journée 'aux champs", qui nous a permis d'apercevoir outre les terres à maïs et soja, les petites villes composées de maisons en bois peintes en blanc, rose pâle ou bleu pastel, les "vertes collines" sillonnées d'eaux vives et couvertes de forêts familières à la jeunesse d'Hemingway, les deux derniers jours vont se terminer en discussion. Toutes les discussions vont tourner autour des concepts de bibliothèques rurales et de bibliothèques pour "marginaux" des grandes villes, autre aspect crucial de la société sud-américaine à l'urbanisme démesuré et anarchique entraînant une concentration de population aussi défavorisée que la population rurale. D'où l'idée d'une bibliothèque dite "populaire" qui reprendrait en compte tous les besoins de ces publics, qui malgré leur implantation géographique différente, présentent bien des similitudes dans leurs attentes, leurs réactions et leurs besoins. Pour rendre plus explicite cette conception de bibliothèque populaire, j'ai traduit le papier d'Alvaro Agudo Guevara qui nous a paru exposer clairement la situation et proposer des solutions adaptées aux réalités sud-américaines. Pour moi européenne d'un pays relativement riche, le contact de mes collègues et leur expérience m'amènera à formuler quelques réflexions que je vous livre.
A la réflexion de ces communications variées, et en particulier à la lecture des notes d'Alvaro Agudo Guevara, on ne peut que s'interroger et se demander pourquoi donc 20 % des Français ne lisent jamais de livre... Aurions-nous une conception trop élitiste de la lecture publique et ne prendrions-nous pas assez en compte les "différences" de la société française (immigrés, handicapés, analphabètes). Une chose frappait, commune à tous les pays sud-américains, c'est le parallélisme entre campagne d'alphabétisation et mise en place d'un réseau de bibliothèques même toutes petites en même temps, grâce à l'apostolat parfois des campe-sinos aux pieds nus, balladant sur leur dos {a 'hotte à livres", qui sera déposée dans une minuscule maison de pisé, pour être ainsi à la portée de chaque paysan de ces villages andins... Sans en venir là, et l'analphabétisme s'il est à rapprocher de l'illétrisme, ne peut lui être assimilé, nous pouvons peutêtre nous demander comment nous mettre à la portée de ce public qui ne franchit jamais la porte d'une bibliothèque, ne monte jamais dans un bibliobus, ne prend jamais en main un livre ? Sans doute avonsnous développé, surtout depuis 1982, un réseau de bibliothèques publiques, mais à écouter mes collègues sud-américains et à réfléchir, oserais-je dire qu'elles sont populaires... Nous commençons depuis quelques années à penser en termes de bibliothèques "animés", et non plus réservoirs inertes de savoir et connaissances, et il apparait encore plus clairement, au vu de l'expérience sud-américaine, que le livre n'est qu'un support, pas forcément privilégiable face à un auditoire démuni-, l'accès à la connaissance passe peut-être par l'emploi de médias plus directement accessibles: bandes enregistrées, cassettes (nous n'avons pas le problème des campagnes non électrifiées de nos collègues), reportages audiovisuels, mettant la connaissance à la portée d'un public qui, de toute façon, a priori, ne touchera pas au livre, tabou, réputé difficile... Il y a peutêtre toute une approche et une sensibilisation à la nature, dans les zones rurales ou marginales (n'avons-nous pas aussi nos Min-guettes, bidonvilles - et oui - et outres refuges d'un quart monde ignoré la plupart du temps) à mener et qui n'en est encore qu'au démarrage, aux actions ponctuelles laissées à l'initiative de biblio thécaires débrouillards et assez armés pour tenter de les entreprendre. Peut-être a-t-on un peu oublié que le bibliothécaire se situe parmi les "travailleurs sociaux", auxquels il s'apparente: et on peut là regretter que la formation de bibliothécaire ne comprenne pas un volet animation, ou que le DEFA d'animateur n'ait pas une partie ' 'lecture publique", tout comme il y a un CAFB musique, jeunesse ou lecture publique ? En effet, jusqu'à présent, ni les B.C.P. ni souvent les B.M. ne recrutaient d'animateur qualifié, et leur effectif trop restreint de bibliothécaires-adjoints ne leur permettait pas d'entreprendre ce genre d'opération de sensibilisation; seules les B.C.P. au personnel nombreux et motivé (Ardèche), ou pourvu d'un animateur DEFA (Haute Corse), pouvaient s'essayer à ce défrichage.