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La base de données du département des estampes et de la photographie

1986

    La base de données du département des estampes et de la photographie

    Par Laure BEAUMONT-MAILLET
    Par D. BRUCKMANN

    Lorsque le Département des Estampes et de la Photographie a commencé à songer à la constitution d'une base de données, vers le virage des années 1980, il a tout de suite constaté un vide normatif incroyable en matière de catalogage d'images. Alors qu'un très grand effort de normalisation, national et international, avait été entrepris une trentaine d'années plus tôt pour les livres et les périodiques aboutissant à des résultats concrets, l'image fixe ne connaissait, pour son signalement bibliographique comme pour l'appréhension de son contenu, aucun traitement concerté. Il a donc entrepris d'élaborer le système le plus adéquat à ses besoins, considérant la nature de ses fonds, son public et la mission que celui-ci attend de lui.

    1) Le contexte :

    Le Département des Estampes est le plus riche dépôt iconographique du monde, et aussi le plus ancien. On fait, traditionnellement, remonter à 1667 sa date de naissance. Cette année là, Colbert acheta pour la Bibliothèque du Roi la collection tout à fait exceptionnelle de l'abbé Michel de Marolles, qui avait réuni la gravure sous l'angle de l'oeuvre d'artiste comme sous celui de la source documentaire, il avait rassemblé des fonds dans lesquels tout le futur "Cabinet des Estampes" était en germe.

    La collection de l'abbé de Marolles vint ainsi s'ajouter aux pièces, qui dès 1632, étaient entrées dans les collections royales au titre du dépôt légal. Celui-ci instauré en 1547 pour les ouvrages, avait fini par frapper l'image moins d'un siècle après, par le biais, pense-t-on, de l'illustration du livre. Primitivement, le livre, en effet, était illustré de gravures sur bois, tirées sur la même presse que le texte typographié et donc par le même artisan. Avec l'apparition de la gravure en taille-douce, le garde de la Bibliothèque royale commence à voir affluer des ouvrages dépourvus de leurs planches. Il obtint donc un édit rendant obligatoire le dépôt des gravures d'illustration parues depuis dix ans. Procédant par assimilation, il finit par obtenir le dépôt de toutes les images en feuilles, destinées ou non au livre. Depuis donc le XVIIe siècle, les fonds du Département des Estampes s'enrichissent régulièrement par dons, acquisitions, et essentiellement par le dépôt légal qui frappe pratiquement tous les documents reproduits en nombre : gravures, affiches, cartes postales, jeux ayant le papier pour support, imagerie de piété et de circonstance, etc. et aussi la photographie que la loi ne prend en compte qu'à partir de 1925, mais qui, heureusement, a fait de la part de ses auteurs l'objet d'un dépôt spontané dès le milieu du XIXe siècle.

    Parmi les innombrables collections réunies par des initiatives privées et venues accroître les fonds royaux, puis nationaux, citons outre la collection de Marolles déjà mentionnée, la collection de portraits de Nicolas Clément, la collection de dessins de tombeaux, de vitraux, monuments divers et pièces topographiques de Roger de Gaignières, la riche collection du fermier général Lallemant de Betz, la collection d'histoire de Fevret de Fontette, les estampes de Pierre-Jean Mariette, les échantillons d'étoffes du Maréchal de Richelieu, les papiers de l'architecte Robert de Cotte, les collections de Michel Hennin et celle du Baron de Vinck de Deux-Orp, essentielles pour l'histoire, etc.

    Aujourd'hui le Département des Estampes et de la Photographie est riche de quinze millions de documents iconographiques, allant du plus précieux au plus banal, de l'estampe rarissime voire unique à la carte postale ou au bon point, à l'image de communion ou au menu, bref au document de valeur à peu près nulle au moment où il entre dans nos fonds mais qui en acquiert du fait qu'il y est conservé en nombre. Tous ces documents ont été amassés au cours des âges sans jamais faire l'objet d'un catalogage systématique. Si l'on excepte les inventaires imprimés dont certains fonds ont fait l'objet d'un catalogue systématique. nin ou Destailleur, ou comme l'Inventaire du fonds français recensant toutes les oeuvres d'artistes français par siècle, entrepris depuis 1930, et toujours en chantier (la moitié du chemin environ a été parcourue) les documents entrés dans le Département n'ont jamais été catalogués systématiquement. C'est le plan de classement qui a toujours pallié l'absence d'instruments de travail.

    L'oeuvre des artistes a toujours tenu une place prépondérante. Lors-qu'une pièce entre dans nos collections, elle va de préférence à l'oeuvre de son graveur. Elle ne reçoit une autre destination que si elle y figure déjà, et si elle ne constitue pas un état différent. Parallèlement à ces séries "auteurs" ont été constituées (en principe uniquement avec des doubles ou des triples exemplaires, ou des pièces anonymes) des séries documentaires telles la série N (portraits) la série 0 (costumes), la série Q (histoire), la série V (topographie) etc. Grâce à cette répartition, le personnel du Département pouvait répondre à la majeure partie des questions posées par les usagers : Quelles sont les gravures de Pierre Brébiette conservées dans le Département ? Avez-vous des gravures représentant la ville de Bar-le-Duc (ou le sacre de Louis XV, etc.) ?

    A la fois musée de la gravure et centre de documentation par l'image, le Département des Estampes a en effet un public très varié : 70% de documentalistes iconographes, 20% d'étudiants et de chercheurs (dont moins de 10% en histoire de l'art), 10% de "grand public". A aucun moment, il n'a été envisagé de sacrifier telle ou telle catégorie d'usagers. Il est vrai cependant que nous souhaitions étendre notre dittusion vers le secteur documentaire (presse, télévision, édition), et le grand public. Pour deux raisons : la Bibliothèque nationale entend mettre le plus largement possible à la disposition de la collectivité le patrimoine que celle-ci lui a confié ; d'autre part, la création d'une banque d'images nécessite un investissement colossal qui ne peut se justifier que par une très large consultation.

    Enfin faut-il le rappeler, le Département des Estampes n'est pas un organisme autonome. Il fait partie intégrante de la Bibliothèque nationale. Il nous fallait donc bien évidemment ne pas perdre de vue, dès le départ, que notre système devait être compatible avec celui de l'ensemble de la maison. Il faut préciser ici que la tradition bibliographique et catalographique des bibliothèques convient particulièrement bien au type de documents que nous conservons, des images dites "multipliables" c'est-à-dire produites en nombre à l'aide d'éléments d'impression (cuivre, bois, etc.) ou de négatifs, dont le traitement, à maints égards (édition, réédition, variante d'un exemplaire à l'autre...) s'apparente à celui du livre.

    2) Elaboration du système descriptif :

    De toutes ces considérations, il découlait que notre système devait :

    • a) Permettre un traitement très souple des collections, qui selon leur volume ou leur intérêt, devaient pouvoir faire l'objet soit d'un traitement pièce par pièce, soit d'un traitement par lots.
    • b) Pouvoir être utilisé "à la carte" c'est-à-dire donner soit un simple signalement (pour le "grand public") soit toutes les précisions requises pour la recherche la plus poussée.
    • c) Prendre en compte le caractère multiple des documents, c'est-à-dire traiter clairement le problème des doubles, des variantes, des états. Enfin et cela n'est pas négligeable, il lui fallait présenter aussi des garanties d'adaptabilité pour le cas où une normalisation internationale viendrait à s'instaurer.

    ETABLISSEMENT DU BORDEREAU DESCRIPTIF

    Le département a tout d'abord mis en chantier l'élaboration d'un système descriptif, c'est-à-dire d'une grille d'analyse comportant l'ensemble des éléments qu'il convient de retenir à propos d'un document (auteur, éditeur, technique, format...) assorti de lexiques spécialisés tels que copies d'artistes, d'éditeurs, d'imprimeurs, définition précise des termes techniques, qu'est-ce qu'une manière noire, une gravure en vernis mou, etc. ?

    Ce système a tout d'abord été élaboré pour l'estampe, en faisant appel à un groupe de travail rassemblant des spécialistes du Musée national des Arts et Traditions populaires, de l'Inventaire général, du Centre de Calcul du Ministère de la Culture et de notre Département. Le Département a ensuite étendu ce système à l'ensemble de l'image fixe, notamment à la photographie. Ce système élargi est issu de l'I.S.B.D. (N.B.M.) recommandé par l'I.F.L.A. et adapté au format Intermarc. Dans notre esprit, le traitement des documents que nous conservons doit s'inscrire impérativement dans une perspective de mise en commun des données, par le biais d'un instrument, le catalogue collectif. Qui trouverait raisonnable que les mêmes estampes ou les mêmes photographies, souvent tirées en plusieurs dizaines d'exemplaires (voire plusieurs milliers dans le cas d'affiches...) fassent l'objet d'un traitement disparate dans chaque établissement qui les possède ?

    CHOIX D'UN SYSTEME D'INDEXATION

    L'accès par sujet est particulièrement délicat dans le domaine iconographique. Les langages existants en matière de description de contenu de l'image ont fait l'objet d'études minutieuses et aussi de tests. Ont ainsi été étudiés ICONCLASS, mis au point par l'Université de Leyde, les thésaurus de l'INA, du Victoria & Albert Museum à Londres, de la Georges Eastman House à Roches-ter, et surtout le thésaurus élaboré par l'abbé François Garnier, à la demande de l'Inventaire général, utilisé par les bases dessin, peinture et objets mobiliers du Ministère de la Culture.

    Il nous est apparu qu'aucun de ces langages, si performants soient-ils, ne pouvait convenir à un fonds encyclopédique et multimédia qui rassemble des artistes aussi divers que Dürer et Picasso, Daumier et Atget, et des documents aussi disparates que gravure ou photographie de presse, imagerie religieuse et carte à jouer. D'autre part le volume de nos collections nous interdisait d'appliquer à chacune de ces oeuvres que nous conservons le traitement qu'un musée peut réserver à la peinture, aux vases grecs, aux oeuvres d'art uniques. La solution résidait dans un système d'esprit généraliste, simple et rapide, qui soit davantage un système de tri qu'une méthode de description. L'évolution de la technologie nous encourageait dans cette voie : autant il est nécessaire d'indexer finement une image si on doit consulter son original, pour des considérations liées à la commodité de la communication et aux impératifs de conservation, autant cela devient superflu si le vidéodisque, ou même le simple microfilm, permettent d'en visionner des milliers rapidement et sans danger.

    Il fallait d'autre part exclure l'organisation en thésaurus, afin que l'ajout d'un terme - ce qui est chose fréquente - ne soit pas une opération complexe. Aussi le Département, qui ne souhaitait pas engendrer un instrument supplémentaire, a-t-il préféré utiliser un système déjà bien connu dans les bibliothèques, le système Laval dénommé L.A.M.E.C.H. (Liste d'autorités matières encyclopédique, collective et hiérarchisée) depuis qu'il est devenu le système national. Cet instrument présente certes des contraintes et s'affirme avant tout comme un lexique destiné à traiter l'information textuelle. Mais quelques adaptations, des créations (qui obéissent toujours à l'esprit du système et respectent sa syntaxe) permettent peu à peu de l'utiliser pour l'image de façon satisfaisante.

    Ainsi donc le système du Département emprunte-il largement à la tradition des bibliothèques : description signalétique appuyée sur l'ISBD (NBM), élaboré dans un des formats MARC qui en permettront l'échange, vocabulaire d'indexation en vedettesmatière qui devrait permettre l'interrogation multi-média et la mise en commun des ressources. Dans le même temps, le système est assez novateur dans notre pays et dans cette tradition même : traitements divers selon le volume des documents, application pour la première fois des vedettes-matière à l'indexation, image par image, de certains fonds.

    3) Descriptions du système

    Dans son dessein d'ensemble, l'informatisation du Département des Estampes devrait engendrer un système complet d'information iconographique plutôt qu'une base d'images. Au centre de cet ensemble, les notices d'images : description bibliographique et indexation. Interfacés à cette base, des vidéodisques ou selon les développements technologiques, des disques numériques. Autour de ce noyau central, des fichiers d'autorités qui constituent la première mouture de véritables dictionnaires : ils seront élaborés pour les auteurs, les éditeurs, les imprimeurs, les diffuseurs, les collectionneurs. Enfin, un répertoire fournira certaines listes de noms propres ou de titres par exemple, les fontaines de Paris construites au 18ème siècle, ou les noms des avocats du 19ème siècle, ou le titre de westerns américains tournés entre 1950 et 1960. Ce répertoire représente une aide considérable à l'utilisateur parce qu'il lui évite de fait la consultation de répertoires spécialisés ou l'établissement préalable de listes.

    A ce jour est réalisée l'implantation informatique de la base d'images et l'interfaçage du vidéodisque. Le répertoire qu'on peut dire culturel s'élabore au fil de la saisie. En 1987 seront élaborés les programmes nécessaires à la saisie et à l'interrogation des fichiers d'autorités.

    L'interactivité (c'est-à-dire le dialogue utilisateur/terminal sans intermédiaire, du type de celui qu'on connaît sur un minitel) cache mal trop souvent des signalements approximatifs et des accès assez pauvres. En revanche, la richesse d'information des banques de données se paie trop souvent par une interrogation complexe qui nécessite formation au logiciel et à la structure des fichiers. Le système du Département des Estampes se situe dans une position intermédiaire : l'interactivité qui est réelle (il existe une interrogation assistée qui ne nécessite aucune formation ni information préalables sur le système) n'empêche pas de poser des questions très précises qui cumulent autant de critères souhaités. Peut-être sera-t-on quelque peu déçu à la lecture de cet article qui présente un système qui reste somme toute 'assez traditionnel et qui devrait paraître familier à beaucoup de bibliothécaires.

    N'avoir engendré aucune révolution ou aucun instrument nouveau en matière de catalogage ou d'indexation, utiliser des instruments déjà bien connus comme le vidéodisque qui n'est sans doute pas l'extrême pointe de la technologie, est pourtant notre principal mérite, et qui répond à notre souhait ; celui de montrer que tout ce qui fut fait ici est possible dans d'autres établissements, sous réserve de quelques moyens. Cette modestie trouvera sa récompense si quelque jour parvient à se fonder dans notre pays un véritable catalogue collectif d'images fixes, qui trouvera, n'en doutons pas, un pendant au niveau international.