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    La bibliothèque Forney

    Par Anne-Claude LELIEUR, Conservateur Bibliothèque Forney

    UN PEU D'HISTOIRE :

    Au cours de l'année qui vient de s'écouler, la bibliothèque Forney a fêté son centenaire. C'est en effet le 28 février 1886 qu'elle a été inaugurée en grande pompe par Eugène Poubelle, alors Préfet de la Seine. Elle reçut le nom de Forney, celui de l'homme à qui elle devait son existence et le sous-titre de "Bibliothèque professionnelle d'art et d'industrie". Samuel-Aimé Forney, un architecte de formation qui s'était enrichi en important en France des bois de Suède et de Norvège, avait légué à la Ville de Paris une somme de deux cent mille francs or pour "la fondation d'écoles laïques du soir pour les adultes des deux sexes, de bibliothèques populaires ou pour aider à la formation d'écoles professionnelles" (termes du testament). Après avoir réfléchi plusieurs années - Monsieur Forney était mort en 1879 - le Conseil de Paris avait décidé la création d'une bibliothèque où les artisans pourraient venir se documenter, dessiner ou emprunter des livres ou des modèles.

    C'était l'époque où, pour favoriser l'éducation populaire, la municipalité parisienne s'efforçait de créer dans chaque arrondissement des bibliothèques de prêt gratuites et ouvertes à tous. En trente ans, entre 1865 et 1895, quatre-vingt-douze bibliothèques, la plupart situées dans des mairies ou des écoles, ont ainsi été inaugurées, qui ont constitué un premier et solide réseau de lecture publique. La nouvelle bibliothèque était également logée dans une école à titre provisoire, (un provisoire qui allait durer soixante-quinze ans) au douze de la rue Titon dans le onzième arrondissement, en plein coeur du faubourg-Saint-Antoine, quartier des artisans du meuble.

    La bibliothèque Forney, grâce à des bibliothécaires compétents comme Julien Sée, Henri Clouzot et Gabriel Henriot eut rapidement une grande renommée et ses collections de livres, de périodiques, d'affiches, d'estampes devinrent de plus en plus riches et intéressantes. Les locaux se révélèrent vite insuffisants et en 1929 le transfert dans l'ancien hôtel des Archevêques de Sens, propriété de la Ville depuis presque vingt ans, fut décidé par le Conseil de Paris. Le premier déménagement d'une partie des collections dans ce magnifique monument d'architecture civile médiévale intervint en 1961, soit trente-deux ans plus tard ! Les travaux d'aménagement étaient alors à peine commencés, et pour leur accomplissement, les collections et les salles de lecture changèrent plusieurs fois de place à l'intérieur de l'Hôtel, sans que la bibliothèque eût jamais fermé un seul jour au public. Les périodiques ne quittèrent la rue Titon qu'en 1971, et les travaux ne furent achevés qu'en 1973.

    LES COLLECTIONS ET LE PUBLIC :

    Pendant longtemps la bibliothèque qui devint dans les années vingt "Bibliothèque d'art et d'industrie de la ville de Paris" eut des collections très étendues qui comprenaient à la fois l'histoire de l'art (architecture, sculpture, peinture), l'art décoratif et les métiers d'art, l'art graphique, la photographie, le tourisme, les jeux et aussi les techniques du bâtiment, l'informatique, la chimie et les mathématiques. Il y a cinq ans environ, comme les crédits ne permettaient plus de poursuivre dans tous ces domaines, le fonds a été redéfini, les sciences pures ont été éliminées au profit des techniques artisanales, de l'art et de l'art décoratif.

    Les collections s'élèvent actuellement à cent cinquante mille volumes environ: soixante-dix-sept-mille livres, dont seize mille en accès libre, quarante-cinq mille catalogues, vingt-deux mille volumes de périodiques, cinq mille livrets de diapositives et recueils d'estampes. Le fonds iconographique compte également treize mille affiches cataloguées dont huit mille sont entoilées et reproduites en diapositives, un million de cartes postales classées, deux mille papiers peints anciens, des dessins originaux de meubles, de tissus et plusieurs centaines de toiles imprimées anciennes. La bibliothèque compte six mille lecteurs actifs (quatre-vingt-dix mille entrées par an), étudiants en histoire de l'art ou en architecture pour près de la moitié, mais aussi artisans qui viennent chercher le plan d'un four de potier ou des techniques anciennes de fabrication de papier à la cuve, ou encore antiquaires, journalistes, dessinateurs, stylistes... Alors que des statistiques parues récemment ont révélé que 59 % des lecteurs de la Bibliothèque publique d'information sont de sexe masculin, 62 % des usagers de Forney sont des femmes.

    Pendant dix ans Forney a hébergé un service de prêt de livres aux artisans de province : le Biblio-Service Métiers d'art, qui dépend du Ministère de la Culture. Depuis 1985, faute de place, ce service a déménagé au Musée des Arts décoratifs, à regret car les deux organismes étaient complémentaires et se rendaient mutuellement beaucoup de services. Mais Forney continue à pratiquer le prêt inter-bibliothèques (420 livres prêtés en 86) et à répondre aux demandes de renseignements les plus diverses, bibliographies sur un sujet ou recherches plus précises (283 lettres en 1985, de la France entière et aussi de l'étranger).

    LES EXPOSITIONS

    Peu après son installation à l'Hôtel de Sens, la bibliothèque qui dispose d'une surface d'exposition de quatre cents mètres carrés, a développé une politique d'expositions dans le double but de promouvoir ses collections et de se faire mieux connaître du public. Les manifestations, au rythme de quatre par an, sont organisées tantôt par la bibliothèque elle-même (art graphique, art du livre, différents fonds précieux), tantôt par des associations (artisanat, tapisserie, reliure, art du verre).

    Par ailleurs, les musées de la France entière et même les bibliothèques ont très souvent recours au fonds d'affiches ou d'estampes pour leurs expositions, Forney a ainsi prêté plus de trois cents documents à trente-deux organismes différents en 1985.

    CONCLUSION

    Organisme à la fois largement ouvert au public puisqu'elle pratique le prêt à domicile comme n'importe quelle municipale, et centre de recherche sur l'art et les métiers, la bibliothèque Forney, en cent ans d'existence, ne semble pas avoir failli à sa mission. Elle n'est pas encore passée à l'ère de l'informatique, mais cela ne saurait tarder : le principe ayant été admis par le Conseil de Paris, cette mutation devrait s'opérer dans les années à venir.