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Ville nouvelle, capitale modèle Versailles

1987
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    Par Alice GARRIGOUX.
    Pierre BREILLAT

    Ville nouvelle, capitale modèle Versailles

    Versailles, Editions d'art Lys, 1986. 225x310 mm, 264 p. Illustrations, index.

    Vu d'un coup d'oeil superficiel, ce beau volume dont la jaquette évoque le Château au renom universel, risquerait de se confondre avec les nombreux ouvrages, savants ou vulgarisateurs, déjà consacrés au domaine du Roi Soleil. Mais si nous observons mieux, nous verrons que n'apparaît ici ni bassin, ni bosquet, ni Latone ni Neptune...

    Autre est l'objet de ce livre et personnelle en est l'approche. Pierre Breillat, qui fut l'un des nôtres, nous donne sa ville telle qu'il n'a cessé de la regarder, de l'interroger, de l'analyser, de la posséder, enfin, par le savoir, l'intelligence et le coeur, pendant les trente années durant lesquelles il dirigea la bibliothèque municipale, ville qu'il avait choisie pour y vivre sa retraite et où il vient de mourir.

    Une ville, il l'a écrit le premier, "pas comme les autres". Un site sans attrait s'est vu imposer par une volonté capable de forcer la nature une cité d'un modèle inédit, "parvis d'une liturgie", "ville nouvelle" érigée en capitale exemplaire dont surent s'inspirer l'Ancien et le Nouveau Monde. Sur ce thème l'auteur nous entraîne pour notre plaisir dans ses observations et réflexions, faisant courir, comme en contrepoint, maintes variations, que nourrit une étonnante culture bien éloignée de la sèche érudition.

    Certes - qui pourrait en douter ? - Le chartiste ne néglige rien de la précision nécessaire et l'on n'a pas fini d'apprécier l'apport de cet ouvrage à la connaissance tant des origines obscures du village préexistant que de chaque monument, bâtiment, événement, personnage plus ou moins illustre, qui font l'histoire de Versailles jusqu'à nos jours.

    Mais, souvent, la piste où il s'engage et qu'il poursuit avec obstination conduit l'auteur bien au-delà dans l'espace et dans le temps. N'accorde-t-il pas à l'imagination, contrôlée, la part, préliminaire qui doit, nous dit-il, lui revenir dans la recherche ? Ainsi épuise-t-il grâce à une multitude de sources, souvent inattendues, les hypothèses soulevées par l'étymologie du nom Versailles, nomen numen. De même, après s'être attardé à l'examen de la patte d'oie, il exalte le trident de Versailles, "le coeur grandiose de rassemblement d'une ville à un château", la marque symbolique, négatif qui connut plusieurs tirages comme en témoignent les plans reproduits de Washington, Aranjuez, Saint-Petersbourg. Autre interogation : la ville futuriste ne fut-elle pas le terrain porteur de nouveaux concepts, tels que avenue, symétrie, urbanisme, concepts dont l'émergence est saisie dans la littérature et la lexicographie ? Un tel foisonnement d'idées, de références, de subtiles correspondances fait jaillir les trouvailles d'un écrivain visiblement amoureux des mots, qui sait communiquer au lecteur ses propres attirances, résonances et même rêves.

    Cette oeuvre littéraire autant qu'historique ne se limite pas au texte. L'auteur nous fait partager son regard grâce aux illustrations dont il a fait un choix rigoureux avec autant d'intelligence et d'amour qu'il a mis à écrire. La lumière et l'espace, qui concourent à la beauté harmonieuse et symétrique de Versailles, animent les admirables photos aux angles de vue souvent imprévus. A voir et revoir ces images, n'en arrive-t-on pas à conclure comme l'auteur : "reconnaître la grandeur et la primauté de Versailles dans l'ordre, l'équilibre, la beauté, c'est en être fier, c'est l'aimer" ?

    Notre collègue Pierre Breillat est mort à Versailles le 1er novembre 1986. Il a demandé qu'aucune notice ne rappelle ni le parcours de sa vie, ni ses activités. Ici comme ailleurs sa volonté sera respectée bien qu'il fût membre actif de l'A.B.F. et de la F.I.A.B.

    L'ouvrage qu'il nous laisse, parfait témoignage de la force des liens qui peuvent unir une ville et son bibliothé-caire, dont la typographie et la mise en page sont aussi une réussite, doit être pour nous tous, me semble-t-il, un sujet de fierté. Peut-on ajouter que ce livre est de ceux qui risquent de ne bénéficier ni de support médiatique ni même d'une bonne diffusion dans le réseau librairies . A nous d'apprendre à le connaître et à le faire connaître.