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Problématique de la conservation et de la présentation des documents à l'occasion de l'exposition "Jouvet, Dullin, Baty, Pitoëff"

1987

    Problématique de la conservation et de la présentation des documents à l'occasion de l'exposition "Jouvet, Dullin, Baty, Pitoëff"

    Par Marie-Françoise CHRISTOUT, conservateur spécialisé Département des Arts du Spectacle.

    La a première tâche d'un conservateur est évidemment de préserver dans le meilleur état possible, les documents qui ont été confiés au département ou service auquel il est attaché. Souvent ces éléments font partie d'un ensemble ou le complètent : ils peuvent provenir de dons ou d'achats. Dans l'un et l'autre cas, leur état nécessite le plus souvent une restauration, parfois même une désinfection par passage à l'étuve. Cette restauration est d'autant plus délicate que l'objet doit impérativement garder l'aspect original qui en atteste l'authenticité et en fait le prix.

    Les expositions sont évidemment une occasion privilégiée pour effectuer ponctuellement, en fonction du thème choisi : personnalité, commémoration, anniversaire, hommage... des travaux qui n'ont pu être effectués de façon systématique auparavant, en général pour des questions de crédits ou, plus simplement, par respect des plans généraux méthodiques. On se trouve donc appelé soudain à procéder à une sélection qui peut en fait coïncider avec la mise en valeur des documents les plus rares ou les plus significatifs.

    Par la diversité des types de documents qu'il a été amené à recueillir, le Département des Arts du Spectacle, doit envisager des modes très différents de conservation en fonction du support. Ceux-ci peuvent être notamment le manuscrit, le livre éventuellement annoté, le dessin, la partition, la maquette construite, l'affiche, la photographie, le programme, le costume de théâtre, les accessoires de jeu, les portraits, sculptures, objets variés... Chacun exige des soins spécifiques, une présentation particulière.

    Il faut donc prévoir une assez longue période de restauration et pratiquer plusieurs mois à l'avance, en tenant compte des contraintes annexes (vacances, jours fériés, absence) la sélection assez large. Celle-ci doit être faite en fonction du caractère exemplaire du document mais aussi de l'état où il se trouve. Des techniques de plus en plus affinées et perfectionnées par les divers ateliers de restauration de la Bibliothèque nationale permettent souvent de véritables résurrections ; toutefois on ne peut exiger à coup sûr des miracles et il faut procéder avec les plus grandes précautions. On peut se trouver devant des dégradations délicates à réparer tels que les recollages à l'aide du scotch qui tachent les manuscrits, les collages défectueux de "bequets", la différence de grammage et la nature des papiers, leur acidification entraînant un jaunissement et une fragilité extrême. Dans le domaine du théâtre, par exemple, les textes manuscrits sont souvent raturés, recollés, même les brochures de travail dactylographiées sur des feuilles de papier pelure au dos desquelles on a rajouté parfois une indication importante sur papier plus épais, nécessitent un traitement très prudent. L'utilisation d'encres différentes, de crayons bille ou feutre qui tendent à baver, du crayon qui s'efface... ne simplifient pas la tâche. Les livres de mise en scène ou "conduite de jeu, de lumière, de musique" se présentent de manière très diverse en fonction de ceux qui les ont établis. A l'occasion de l'exposition "Jouvet, Dullin, Baty, Pitoëff : le Cartel", il a fallu envisager des restaurations différentes, compte tenu de la personnalité et de la manière dont chacun avait procédé. Ainsi les mises en scène de Georges Pitoëff, celles de Charles Dullin, d'autant plus précieuses qu'elles sont plus rares, se présentaient-elles dans un état de fragilité extrême ; celles de Gaston Baty par contre étaient notées par lui, ou par son régisseur Léon Duvelloy avec beaucoup de clarté et un soin qui réclamaient une reliure de qualité après, éventuellement, la remise en place des maquettes planes.

    En effet, le metteur en scène a exécuté lui-même des décors, gouache ou lavis, qu'il importe d'insérer à la bonne place, notamment pour Le Simoun d'H. R. Lenormand. Les plans de scénographies, croquis, notes de travail de Louis Jouvet témoignent de la conscience de cet admirable "artisan du théâtre", mais réclament souvent une mise à plat, un doublage, la moindre indication est intéressante. Les maquettes planes de décors et de costumes ont besoin, comme les estampes mais avec plus de précautions, d'être mises à plat et nettoyées. Il faut faire attention de ne pas effacer d'indications manuscrites importantes et, lors de l'encadrement de laisser apparaître les signatures et mentions diverses. Parfois il faut réparer les déchirures mais prendre garde aux techniques employées par l'artiste. Christian Bérard, notamment, utilisait n'importe quel fragment de papier, et des matériaux insolites allant jusqu'au rouge à lèvres. André Bersacq a souvent adopté, comme beaucoup d'artistes contemporains, l'huile sur papier calque d'architecte. Ainsi a-t-on pu se trouver devant une maquette dont une partie s'était collée contre la vitre du cadre, constituant involontairement et partiellement un "fixe". A l'Atelier de Restauration des Estampes, une restauration habile a réussi ce prodige de restituer son caractère original à ce décor. Les pastels et fusains sont également difficile à fixer. Beaucoup d'oeuvres de Georges Pitoëff ou de Christian Bérard, par exemple les maquettes de décor des Bonnes de Jean Genêt mise en scène en 1947 par Louis Jouvet, étaient dans ce cas. Il faut choisir avec soin la couleur de la Marie-Louise que l'on place dessus sous le cadre.

    Les affiches plus ou moins anciennes qui sont souvent très rares et intéressantes tant sur le plan esthétique que documentaire, posent des problèmes de doublage ou d'entoilage. Souvent des pliures ont cassé l'affiche, des fragments manquent, il faut alors chercher du papier de mêmes apparence et couleur pour leur restituer leur intégralité. Tout en respectant le format en largeur de l'affiche, on garde une marge en haut et en bas qui doit permettre de la prendre et éventuellement de la présenter sous encapsulage préalable en la fixant sur une baguette de bois.

    Les portraits etpeintures diverses doivent être nettoyés et éventuellement retouchés avec beaucoup de prudence avant d'être exposés. Les maquettes construites doivent être dépoussiérées, éventuellement recollées, retouchées ; l'éclairageet le mécanisme, quand elles en possèdent comme celle très illustre de l'Ecole des femmes de Molière, construite par Camille Demangeat d'après Christian Bérard pour la mise en scène de Louis Jouvet en 1936, nécessitent le recours à un électricien qui doit notamment les équiper de transformateur ou changer les lampes. Les gélatines qui nuancent 1 ' effet de celles-ci doivent être renouvellées comme pour celle de Gaston Baty pour l'Opéra de quai sou de Bertold Brecht (1930) ; ce matériau s'altère avec le temps.

    Les statues et médailles doivent être traitées selon leur matière : marbre, bronze, terre cuite, plâtre, bois. L'exposition du tri-centenaire de la Comédie française présentée en 1980 à la Bibliothèque nationale a donné un bon exemple de tous les cas.

    Les costumes de théâtre enfin, qu'a recueilli le Département des Arts du Spectacle, sont toujours un facteur attractif dans les expositions. Pour celle du Cartel, un grand nombre ont été sélectionnés. Certains d'entre eux, particulièrement ceux de la collection Charles Dullin, sont en assez mauvais état de conservation et ont dû être confiés aux soins minutieux d'un teinturier spécialisé qui a su préserver notamment les velours peints par Jean Hugo, les broderies, soutaches et cabochons de pierres de couleur de la robe de Phèdre portée en 1940 par Marguerite Jamois ; D'autres comme ceux très originaux conçus par Lucien Coutaud pour Les Oiseaux d'Aristophane en 1928, avec un matériau nouveau à l'époque (la toile cirée) ont beaucoup souffert du vieillissement et sont trop craquelés pour pouvoir être actuellement exposés.

    De manière générale, il faut toujours agir avec prudence et recourir à des techniques déjà expérimentées. Ainsi une exposition offre-t-elle l'occasion éphémère de confronter des documents très divers et également prestigieux.