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La préservation des ressources documentaires dans les bibliothèques

1987

    La préservation des ressources documentaires dans les bibliothèques

    Rapport de la conférence internationale de Vienne, 7-10 avril 1986

    Par Magda STREBL, Directrice générale Bibliothèque nationale d'Autriche, Vienne.

    Du u 7 au 10 avril 1986, une conférence internationale concernant la préservation des ressources documentaires dans les bibliothèques a eu lieu à Vienne. Plus de cent vingt directeurs de bibliothèques nationales et d'experts en matière de restauration et de conservation de documents représentant quarante cinq pays d'Europe, d'Asie, d'Afrique, d'Australie et des deux Amériques s'y rencontrèrent.

    Le congrès était organisé par la Conférence des directeurs des bibliothèques nationales (CDNL) en collaboration avec la Fédération internationale des Associations de bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA) et l'UNESCO. Le Council on Library Re-sources, Inc. Washingthon D.C. et la République d'Autriche ont contribué par leurs subventions à la réussite de cette réunion.

    Depuis des années, les bibliothécaires de tous les pays s'inquiétaient de l'extension rapide des dommages subis par les ressources documentaires. On projetait la convocation d'une conférence pour discuter des problèmes existants, connaître les mesures prises dans les différents pays et échanger les expériences. En 1982, mon prédécesseur, le regretté directeur général de la Bibliothèque nationale d'Autriche, Dr Josef Zebner-Spitzenberg, avait déjà accepté d'être l'hôte d'une telle rencontre. Un comité international d'organisation sous la présidence de M. William J. Welsh, adjoint au Directeur de la Bibliothèque du Congrès et président de la CDNL fut créé. John Aarons, Jamaica ; Helmut Bansa, RFA; Marie-Louise Bossuat, France ; N.S. Kartashov, URSS ; D.E.K. Wijasuriva, Malaisie; Otto Wàchter, Autriche ; Alec Wilson, Grande-Bretagne ; Adam Wysocki, IFLA ; A. Abid, UNESCO appartenaient au comité d'organisation. L'organisation locale fut l'oeuvre de la Bibliothèque nationale d'Autriche.

    La Conférence ne s'adressait pas seulement aux bibliothécaires, responsables de la préservation de l'héritage culturel déposé dans les bibliothèques, mais aussi aux gouvernements des pays, afin que ceux-ci réalisent l'importance du problème et qu'ils allouent aux bibliothèques les moyens nécessaires pour prendre les mesures adéquates. Aussi les représentants diplomatiques accrédités à Vienne furent-ils invités à assister à l'ouverture du congrès. Un grand nombre d'entre eux avait accepté l'invitation. La télévision autrichienne et les associations de télévision des Etats-Unis se sont intéressées au problème, et les presses autrichienne et allemande (peut-être celle d'autres pays aussi) ont publié des informations sur la conférence et sur les mesures de conservation des ressources documentaires dans les bibliothèques.

    Le but de la conférence était :

    • 1- de montrer les dimensions du problème et les efforts de conservation faits actuellement ;
    • 2 - de rendre disponibles des informations pratiques concernant le traitement, l'emmagasinage, la préservation et la conservation des ressources documentaires des bibliothèques ;
    • 3 - d'insister sur la nécessité et les possibilités de l'organisation d'un' programme de préservation.

    Outre les quarante exposés, on discuta des problèmes tels que les principes d'une politique mondiale de conservation, la coopération en matière de préservation de la documentation, les technologies nouvelles de la préservation des ressources documentaires etc. Les textes complets seront publiés par la Maison d'édition Saur, Munich.

    Les participants furent consternés en constatant l'étendue des dommages déjà existants. Quelques pays estiment que plus de 25 % de leur documentation est déjà gravement détériorée. La recherche est atteinte. Surtout celle s'appuyant sur des documents datant du milieu du siècle précédent (pensons par exemple aux disciplines de développement récent comme les sciences sociales). Quelques pays seulement ont pu estimer le coût de la restauration et de la conservation de ces ouvrages.

    On a porté une attention particulière à la préservation des "non-livres" et aux problèmes de la conservation de tels documents dans les régions tropicales. Comme il s'agit en outre la plupart du temps de pays pauvres, ceux-ci devraient bénéficier en priorité des résultats actuels de la recherche, de données réalisables et d'aides positives.

    Concernant le traitement des documents, plusieurs rapporteurs ont proposé des instructions et directives concrètes :

    • la manipulation des documents par l'usager et le personnel des bibliothèques doit être effectué avec le soin le plus attentif. Une présentation de diapositives de la Bibliothèque du Congrès d'une grande valeur didactique, fut généralement appréciée. Le livre doit être traité avec soin, du départ du volume du rayon, pendant sa manipulation et sa photocopie éventuelle, jusqu'à sa remise en place. Les "cadavres" après photocopie symbolisent les exemples à ne pas suivre. Ils sont la preuve du manque de soin apporté à la manipulation des ouvrages et des risques que la photocopie fait encourir aux collections.
    • des directives particulières sur les normes de tolérance concernant la température et l'humidité relative pour les ouvrages sur papier, le matériel photographique, et particulièrement le matériel photographique en couleurs, furent données à partir des résultats de tests, (cf. annexe 1).
    • contre les attaques d'insectes, on a recommandé avant tout d'éloigner toute végétation des bâtiments des bibliothèques, et même de ne tolérer aucune plante dans les environs immédiats, notamment les plantes grimpantes. Pour la lutte contre les insectes, il ne faut pas user de pulvérisateurs pour éviter des résidus huileux sur le papier, qui causeraient d'autres dommages.
    • la conservation des documents audiovisuels et sur support magnétique en général, n'est réalisable que par transfert, ce qui crée une difficulté car les appareils se démodent rapidement. Une utilisation indéfinie n'est alors plus possible. A cet égard, il faut remarquer que les enregistrements sonores sont d'une importance fondamentale pour les pays non industrialisés avec un taux important d'analphabétisme, pour préserver l'histoire de leurs pays (histoire des familles) et leurs langues, qui sont uniquement transmises par tradition orale.
    • on s'est beaucoup intéressé au problème de la désacidification du papier sur une grande échelle. A partir du milieu du siècle passé environ, on ne pouvait plus couvrir le besoin en matières premières nécessaires à la fabrication de papier à base de chiffon. On commença donc à utiliser la fibre de bois. Pour blanchir le papier, on usait d'acides - ce qui a eu pour effet que le papier se conserve mal, il brunit, il devient friable et cassant. Les Etats-Unis, le Canada, la France, l'Autriche et la Grande-Bretagne ont essayé de prendre des mesures préventives.
    • la Bibliothèque du Congrès utilise pour la désacidification de masse du diéthyle-zinc. Elle espère ainsi désacidifier 500 000 volumes par an et a calculé un prix moyen de$2 par volume.
    • le Canada a développé un système sans eau Wei T'o et désacidifie actuellement 40 000 volumes par an, espérant atteindre 300 000 volumes ; la dépense est de 3,50 à 4,50 Can.$par volume.
    • la France compte développer avec succès un autre système en juin 1987.
    • la British Library essaye actuellement un système simultané de désacidification et de renforcement du papier, et l'a testé avec succès sur les journaux reliés : les journaux sont imprégnés de cellulose et d'acétate de polyvinyle dans une chambre sous vide, puis congelés à -30°C
    • 40°C et séchés par congélation pendant deux ou trois jours.
    • la Deutsche Biicherei à Leipzig a affiné et perfectionné une méthode pour régénérer le papier et essaye de la mécaniser.

    Ensuite, la Conférence se pencha sur l'utilisation des microformes, documents magnétiques et disques optiques. De nombreux pays sont en train de développer des programmes de filmage, par des voies soit officielles, soit privées ou commerciales.

    On a demandé le développement de programmes pour toutes les mesures proposées. Chaque pays doit entreprendre pour lui-même la réalisation de ses projets de la façon la plus efficace. Mais les programmes doivent aussi dépasser les frontières, avoir une portée internationale et aider les pays du Tiers-Monde. Il faut également tenir compte des normes internationales. Enfin, on a réclamé la création de plans d'urgence à mettre en oeuvre en cas de catastrophe dans toutes les bibliothèques concernant les dégâts des eaux, du feu, etc. C'est justement à l'occasion d'innondations que la collaboration internationale a fait ses preuves en Europe (Florence).

    Un éditeur a participé à la discussion sur la coopération. En publiant des fac-similés, des microfilms, et des microfiches de documents, les maisons d'édition deviennent un nouveau type de partenaires pour les bibliothèques.

    On évoqua aussi lapossiblité d'utiliser du papier sans acide dans la production des livres et des journaux. Il faut mentionner ici qu'on peut déjà noter un changement d'attitude dans l'industrie papetière, et qu'en Autriche, on exporte déjà du papier neutre pour la fabrication de livres à l'étranger.

    Enfin, on a réclamé également une meilleure formation des bibliothécaires ainsi que des restaurateurs en matière de préservation et de conservation.

    Les résultats les plus importants de la Conférence sont :

    • le présentation des Recommandations (cf annexe 2) ;
    • l'adoption de "Préservation et Conservation" comme Programme fondamental de l'IFLA ;
    • l'établissement d'un Centre international à la Bibliothèque du Congrès et de deux centres régionaux à la Bibliothèque nationale (Paris) et à la Deutsche Bucherei (Leipzig), qui seront en priorité responsables du rassemblement et de l'exploitation de la documentation relative à ce sujet.

    Dès les travaux préparatoires de la Conférence, les efforts se sont intensifiés avec bonheur, surtout dans les grandes bibliothèques. Ainsi la Bibliothèque du Congrès a commencé à publier les Newsletters for Préservation and Conservation , qui promettent de devenir un soutien précieux pour une échange international d'expériences.

    Quelques bibliothèques ont déjà commencé à diffuser des informations nationales ou régionales concernant la préservation et la conservation sous forme de bases de données ou de bibliographies spécialisées traditionnelles, par exemple en Australie et en Autriche.

    De plus, les experts en matière de conservation des documents dans les bibliothèques s'efforcent de coopérer plus étroitement au niveau international, afin d'échanger leurs expériences. Il me semble important de discuter dans de telles réunions les problèmes véritables et d'y examiner les fautes commises pour en tirer un enseignement pour l'avenir. L'héritage culturel que nous avons à préserver dans les bibliothèques estbeau-coup trop précieux, pour que nous puissions nous permettre de commettre les mêmes erreurs deux fois. De même on peut constater une nouvelle orientation dans le fait qu'on invite de plus en plus des participants de pays jusque là absents des stages de formation pour restaurateurs.

    Conscients de leur responsabilité envers les ressources documentaires conservées dans les bibliothèques du monde entier, il a été décidé de mettre rapidement à la disposition de tous et sans restriction les progrès enregistrés dans les pays développés.

    Naturellement, il n'est pas possible dans le cadre d'un exposé aussi bref de s'étendre sur tous les rapports, suggestions et informations de la Conférence de Vienne. Mais je crois être en accord avec les autres participants de cette rencontre, en affirmant qu'il y eut d'excellentes contributions en vue de résoudre un problème éminemment important. Il faut encore signaler le Séminaire commun à la Section IFLA des écoles de bibliothécaires, au Comité FID de formation et d'enseignement, et au Comité CIA de formation professionnelle (Conseil international des archives) et du Comité de conservation et préservation, tenu après la Conférence, du 11 au 13 avril 1986, à la Bibliothèque nationale autrichienne, sous la présidence de Mme Joséphine R. Fang, Boston/USA, et de Mme Edith Fischer, Vienne/Autriche. Environ 60 experts de tous les continents y participaient. Le but principal de ce séminaire était de sensibiliser les participants à l'importance de la conservation et de la préservation de tous les documents en premier lieu dans l'enseignement lors de la formation initiale, et ensuite dans les cours de recyclage pour les trois groupes professionnels responsables de la transmission des supports de l'information, c'est-à-dire les bibliothécaires, les documentalistes et les archivistes.

    Annexe 1 QUELQUES DIRECTIVES RESULTANT D'EXPERIENCES

    1 - La température et le taux d'humidité doivent être maintenus à un niveau aussi bas et constant que possible. Des fluctuations quotidiennes de plus de 4 % doivent être évitées.

    2 - Un taux d'humidité acceptable peut varier de 20 à 50 % ; mais il est préférable qu'il soit inférieur à 40 % et jamais supérieur à 60 %. Toutefois un taux de 30 à 35 % paraît le meilleur, quoiqu'un orateur ait fait remarquer que les livres risquent de subir des dommages si le taux d'humidité descend au dessous de 35 %. Des variations de plus de 5 % doivent être évitées lors du déplacement d'un livre d'un endroit à un autre.

    3 - Le matériel photographique doit être stocké entre 15 et 25° C, mais jamais au dessus de 30° C. 20° C est la température préférable. Plusieurs bibliothèques conservent les films couleur dans des magasins dont la température reste au dessous de 0°C.

    4 - Certains êtres humains tolèrent bien un taux d'humidité bas et tolèrent mal de basses températures, mais les livres tolèrent bien les basses températures et mal un taux d'humidité bas. Un taux d'humidité de 40 % et une température de 18° C représentent un bon compromis pour les individus, les livres et les disques.

    5 - Les champignons risquent de se développer si la température est supérieure à 20° C avec un taux d'humidité relative de 65 %.

    6 - Les photographies couleur peuvent se flétrir même en l'absence de lumière si elles sont conservées à une température élevée.

    7 - Les fléaux les plus communs dans les bibliothèques sont les insectes, les rongeurs et les moisissures. Les insectes les plus dangereux sont les blattes, les poissons d'argent, les coléoptères et les psoques. Des mesures préventives consistent à éviter les fontaines intérieures et les plantations d'arbustes et de fleurs, à fixer les lumières extérieures sur des supports indépendants plutôt que sur les bâtiments des bibliothèques, à éliminer le lierre et autres plantes grimpantes des édifices, et à conserver feuilles, brindilles et autres débris loin des fondations.

    8 - Les pulvérisations d'insecticides ne doivent jamais être utilisées sur les collections, parce qu'elles laissent un résidu huileux.

    9 - Les bandes magnétiques peuvent être endommagées par les champs magnétiques générés par les hauts-parleurs, les écouteurs, les magnétophones, les fermetures de portes magnétiques, les transformateurs électriques etc.

    10 - Les données enregistrées audiovisuelles ou magnétiques sont uniquement accessibles grâce à un équipement de lecture. L'entretien de telles machines est essentiel mais deviendra de plus en plus difficile, car les fabricants changent de modèles et ne fournissent pas longtemps les pièces de rechange.

    Annexe 2 RECOMMANDATIONS

    La Conférence internationale sur la préservation des documents de bibliothèque, tenue à Vienne du 7 au 10 avril 1986 :

    1 - Ayant pris conscience de l'étendue considérable des besoins de mesures de conservation urgente afin de protéger les documents de bibliothèque besoin confirmé par tous les participants à la Conférence, y compris par ceux des pays en développement ;

    2 - Ayant pris note des opinions exprimées par les représentants des bibliothèques nationales et autres groupes professionnels, à savoir que les besoins pour la préservation et conservation des documents de bibliothèque à la fois rétrospectifs et prospectifs - peuvent seulement être satisfaisants si les efforts nationaux et internationaux sont conjugués ;

    3 - Ayant examiné le Programme international de l'IFLA "Préservation et Conservation" (PAC), ses objectifs, ses orientations et son plan d'actions ;

    4 - Se rappelant les excellents résultats obtenus par les programmes internationaux de l'IFLA sur le contrôle bibliographique uiversel (UBC), l'Accès universel aux publications (UAP) et le Marc international (IMP) ;

    5 - S'associe aux démarches déjà faites par l'IFLA afin d'établir son Programme international "Préservation et conservation" ;

    6 - Salue les initiatives de la Bibliothèque du Congrès (Etats-Unis), de la Bibliothèque nationale (France) et de la Deutsche Bücherei (République démocratique allemande) en créant respectivement un centre international et deux centres régionaux pour la préservation et la conservation dans le cadre du Programme fondamental ;

    7 - Propose que l'IFLA, afin de mobiliser intérêt et appuis supplémentaires, envisage de décréter dès que possible une "Année IFLA pour la préservation et la conservation" ;

    8 - Recommande que la communauté internationale des bibliothèques attire l'attention d'un large public, dans chaque pays, sur l'importance et l'urgence de préserver les documents de bibliothèque qui sont une partie essentielle de l'héritage intellectuel de tous les pays et insiste sur les irréversibles conséquences qu'aurait pour les générations futures tout retard prolongé à engager des mesures massives de préservation et de conservation ;

    9 - Recommande que l'IFLA encourage les associations membres :

    • a) à exhorter les organes nationaux décideurs à établir les principes directeurs pour élaborer et mettre en oeuvre des programmes nationaux de préservation et conservation des documents de bibliothèque ;

    • b) de lancer un appel en temps utile aux gouvernements pour que des crédits spéciaux soient affectés à la mise en oeuvre de programmes de préservation nationaux bien conçus :

    10 - Invite les associations membres de l'IFLA à jouer un rôle actif, en persuadant les institutions appropriées à accueillir des centres régionaux dans d'autres parties du monde ;

    11 - Recommande instamment que l'IFLA contribue à l'harmonisation d'une action internationale dans ce domaine, en élaborant des règles applicables dans tous les pays, en publiant des répertoires des installations existantes et autres publications nécessaires, et en organisant des cours de formation, des projets pilotes et toutes activités destinées à favoriser la préservation et la conservation des documents des bibliothèques ;

    12 - Encourage les organisations internationales intergouvernementales compétentes :

    • a) à accroître l'attention donnée dans leurs programmes au développement des mesures de préservation et de conservation engagées par les éditeurs, les imprimeurs et les fabricants de papier, aussi bien que par les bibliothécaires, archivistes et autres spécialistes de l'information, et
    • b) à augmenter leur soutien financier aux activités tendant aune meilleure connaissance des problèmes de préservation et de conservation, et aboutissant à des réponses aux besoins à la fois rétrospectifs et prospectifs dans ce domaine ;

    13 - Recommande que l'IFLA maintienne ses efforts afin d'associer d'autres organisations non-gouvernementales compétentes à sa tentative d'établir un programme international efficace de préservation et conservation.