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Le choix des livres pour enfants dans une bibliothèque municipale

1987

    Le choix des livres pour enfants dans une bibliothèque municipale

    Par François PETITPAS, responsable des annexes pour enfants Bibliothèque municipale d'Arles.
    La pratique du choix des livres à la section jeunesse de la bibliothèque municipale d'Arles n'est pas présentée ici comme exemplaire: elle est un exemple parmi d'autres d'une démarche de professionnels qui se revendiquent pleinement responsables.

    Q ui choisit ?

    1) Je voudrais tout d'abord revendiquer la responsabilité du bibliothécaire, quel qu'il soit, dans la constitution du fonds de livres et de lui seul, responsabilité dont il devra répondre devant les élus et devant la population. Il est choisi pour exercer cette fonction d'après une compétence professionnelle. Il faut qu'il l'assure pleinement et le choix des livres est une de ses tâches principales.

    Je regrette d'ailleurs le peu de postes spécifiques de bibliothécaires "jeunesse" créés dans les communes.

    Le mien a été créé en 1973, dans une région alors sous-équipée et je rends hommage à la municipalité de cette époque qui a su se donner les moyens de la politique qu'elle voulait mettre en oeuvre, c'est-à-dire reconnaître (en créant ce poste) la part importante du secteur jeunesse dans le développement d'une politique du livre à long terme.

    Je veux insister sur le rôle particulier du bibliothécaire jeunesse car, plus que pour le secteur "adultes", de son pouvoir va dépendre la rencontre entre l'enfant et le livre d'où l'importance du bien-fondé de son orientation. En effet, la plupart du temps, l'enfant qui entre dans la bibliothèque n'a pas de passé avec le livre, encore moins avec la littérature. Il n'a d'ailleurs pas, au départ, de demande.

    Il vient surtout avec une disponibilité souvent renforcée par l'architecture des locaux et par l'accueil du personnel. Parfois se profile une attente, mal formulée, que nous devrons faire s'exprimer pour y répondre.

    2) Mais choisir c'est aussi le rôle de toute une équipe.

    Aujourd'hui le bibliothécaire seul ne peut pas tout... et c'est bien ainsi.

    S'entourer de gens qualifiés, les former, s'ils ne le sont pas, partager et multiplier les postes de responsabilité, voilà une autre mission du bibliothécaire.

    En Arles, nous avons la chance (les ennuis aussi !) d'avoir six secteurs géographiques d'intervention. Au total 5600 inscrits pour l'année 1986 (sur 11000 jeunes de 0 à 18 ans). Partout, nous avons des bibliothécaires adjointes et des employées qualifiées avec CAFB. Au total 10 personnes motivées et en prise directe sur la réalité. On peut parler d'une véritable mosaïque du personnel avec ses différences culturelles, sociales, politiques, de sensibilité, de goût.

    Seul point commun: l'investissement dans le travail et l'acquis de la qualification. Toutes participent à l'élaboration de ce canevas collectif qu'est la constitution du fonds et le choix de livres.

    Je reconnais malgré tout que nous avons une grande chance d'être aussi nombreux.

    Lorsque ce n'est pas le cas, il existe toujours la possibilité pour les responsables de sections jeuness de se retrouver au sein des comités des lectures régionaux rattachés à la joie par les livres.

    Nous y participons nous-mêmes, dans la mesure de notre possible. Certains bibliothécaires font 200, 300 km pour aller discuter et échanger des opinions. D'autres encore se regroupent en réseaux intercommunaux autour de la bibliothèque la plus importante de leur voisinage. Tout est bon pour ne pas rester isolé, seul face aux livres ou aux critiques professionnelles.

    A propos de ces critiques, nous sommes bien sûr, abonnés à 5 ou 6 revues professionnelles spécialisées, mais leurs jugements ne sont plus sacrés; ce sont des idées parmi les autres qui se rajoutent au débat général. Souvent d'ailleurs, les analyses paraissent après que nous ayons choisi, elles ne peuvent donc plus jouer le rôle de références-mères absolues, comme autrefois.

    3) Mais nous ne devons pas non plus vivre en autarcie, entre "pro", nous replier sur nous-mêmes.

    Depuis quelques temps, nous avons ressenti le besoin de faire participer à notre choix, des enseignants qui travaillent avec nous, des parents intéressés, des animateurs qui utilisent nos services.

    Nous balbutions, nous tatonnons encore dans cette approche.

    C'est que nous ne voudrions pas mettre en place une structure quelle qu'elle soit qui nous entraverait au lieu de nous aider.

    Pour l'instant, nous faisons appel, surtout pour utiliser leurs compétences :

    • à l'animatrice de la crèche,
    • aux psychologues pour enfants qui travaillent au sein d'un GAP ou au centre psycho-pédagogique,
    • aux éducateurs d'un centre pour enfants handicapés mentaux (les Abeilles).

    Les rapports et les échanges établis sont passionnants pour les deux parties. Mais aussi, sur leur demande, nous voulons aider nos partenaires à se former: réunions-débats autour d'un thème, cycle sur l'histoire de la littérature enfantine...

    Certains souhaitent aller plus loin, participer à des stages par exemple (BD, contes).

    Quel que soit le temps qu'il nous faudra pour organiser et assimiler cette ouverture et cet échange avec l'extérieur, je reste persuadée qu'ils sont une nécessité et une garantie à la fois contre notre propre sclérose mais aussi contre un risque éventuel d'une censure politique bête et méchante que connaissent d'autres bibliothèques.

    Comment choisir ?

    C'est toute la problématique du rapport Enfant/Livre.

    1) C'est bien sûr, d'une part, en connaissant les livres.

    » Un climat général se dégage, d'abord, lors de la constitution du fonds initial. Celui-ci doit absolument être le reflet du riche éventail de la production passée et présente.

    Nous devons multiplier les propositions, faire étalage des différences qui existent tant sur le fond (les thèmes, les idées, les sensibilités) que sur la forme (les illustrations, les éditeurs, les collections, les styles littéraires). Il faut que la bibliothèque soit une vitrine de ce qui existe dehors, c'est-à-dire à la fois une vitrine du livre en tant que tel et une vitrine de la vie.

    e Pour les acquisitions nouvelles, nous pratiquons l'office. Nous lisons tous les livres, nous les discutons un à un avant de les acheter éventuellement en 1, 2, 3, 4, 5 ou 6 exemplaires, ou de les rendre. C'est la contrainte financière qui nous a imposé cette pratique.

    Acheter un livre en 6 exemplaires, cela revient très cher. Il était donc nécessaire d'éliminer.

    • a) Eliminer les livres mal imprimés, mal illustrés, mal écrits, au vocabulaire mal adapté à l'enfant auquel ils sont censés être destinés.
    • b) Mais aussi éliminer tous les livres médiocres d'aucune utilité (ceux qu'on oublie sitôt refermés !) mais que nous aurions peut-être pris au temps des vaches grasses !

    Ceci afin de mieux consacrer l'argent aux livres de qualité souvent très chers et afin aussi de mieux mettre en valeur ceux qui le méritent en ne les noyant pas dans une masse inodore de livres sans saveur.

    2) Mais, second membre du rapport, notre force à nous, bibliothécaires, c'est aussi la connaissance de notre public, les enfants.

    N'oublions jamais que nous sommes des médiateurs entre le livre et l'enfant. La formation à mon avis, oublie un peu trop le deuxième volet de cette relation.

    Notre déontologie première doit être de respecteur le lecteur et pour le respecteur il faut le connaître: connaître son évolution psychologique mais aussi sa (ses) culture(s), ses différences sociales, ses goûts, ses désirs.

    Toutes ces approches sont indispensables pour bien le conseiller et donc en amont pour bien choisir.

    N'oublions pas que le plaisir de lire n'est pas inné !

    Nous avons souvent à revenir sur des blocages scolaires, sur des refus même. Force est de constater (et notre mosaïque géographique et sociale nous le permet) que les demandes ou les attentes ne sont pas les mêmes partout.

    Selon les milieux, les quartiers, il faut prendre des moyens différents, parfois détournés pour arriver au même but: faire aimer les livres.

    Il faut souvent compenser les différences socio-culturelles par la connaissance plus précise de l'enfant, allant parfois jusqu'au rapport affectif avec lui, sa confiance passant d'abord par la personne (le personnel) avant de passer par l'appareil technique (les fichiers) ou même la qualité du fonds dont il n'a que faire dans un premier temps.

    C'est pourquoi dans notre choix nous tenons aussi compte du rapport qualité/popularité, la qualité étant d'abord jugée par l'adulte et la popularité sanctionnée par l'enfant.

    Il est évident que nous ne devons pas, pour plaire, tomber dans la démagogie, faire trop de concessions.

    3) On pourrait m'objecter que je n'ai pratiquement parlé que de la qualité sur le plan formel (illustration, écriture, présentation, etc.). Ce n'est jamais à ce sujet que les discussions les plus vives éclatent. C'est cela 'que j'appelle l'acquis de la qualification.

    Mais sur le fond ? sur le contenu ? Là s'engage effectivement le vrai débat entre nous.

    Pour que la règle du jeu soit claire nous nous sommes mis d'accord sur quelques principes de base:

    Tenons compte de la spécificité du lieu "Bibliothèque". Les livres sont en accès libre... mais aussi d'un autre point de vue "jetés en pâture", sans que l'on puisse vraiment contrôler ou maîtriser ce qu'ils peuvent profonfé-ment déterminer, déclencher.

    Or nous ne sommes pas là pour perturber le lecteur.

    Nous pouvons, certes, le déranger, lui faire se poser des questions mais à condition de proposer des reconstructions positives (je ne parle pas de solutions, mais de reconstructions ne serait-ce que psychologiques).

    Soyons donc prudents avec des livres volontairement provocateurs, extrêmistes dans leurs propos, qui pourraient être mal interprétés, du moins par une majorité de lecteurs potentiels. La confrontation des différents courants de pensée n'est pas génante au contraire, mais la suprématie de l'un d'entre eux au détriment des autres n'est pas acceptable.

    Les idées doivent pouvoir être mises en balance par les enfants dans le respect de tous, sans exclusion de races, de religions, de niveaux socio-culturels, de sexe, etc. L'enfant doit pouvoir comprendre dans ses lectures successives que la liberté des uns s'arrête où commence la liberté des autres.

    Nous nous adressons directement aux enfants et aux adolescents.

    Notre souci est de les aider, par l'intermédiaire des livres, à la formation de leur personnalité, à se situer dans la société, non pas en but ni en marge mais dedans, en connaissance de toute son amplitude.

    Dans cette mesure nous devons dans nos analyses faire abstraction d'une morale quelle qu'elle soit.

    Nous ne sommes là ni pour faire plaisir aux parents, ni pour les agresser mais nous devons témoigner de toute la réalité, de tout ce qui existe. Et je vous assure que nous nous bousculons nous-mêmes ! Nous nous interdisons à nous-mêmes les analyses trop subjectives. Exercice contraignant mais passionnant.

    Vous le voyez, il est difficile de tenir la route, de maintenir un équilibre. La participation de tous est vraiment nécessaire.

    Et lorsqu'il y a de trop grandes dissensions, un trop grand doute, nous "tes-tons" le livre en question sur des lecteurs bien connus de nous (pas toujours des bons lecteurs, mais du moins disponibles et assidus). Ceux-ci sont très fiers de participer à notre travail.

    Ce "test" nous permet de revoir notre jugement à la lueur de leurs explications. Cela nous permet aussi de mieux évaluer le niveau de maturité et d'accessibilité du livre.

    Bien sûr, il nous arrive malgré tout de nous tromper. Mais qui n'a pas droit à l'erreur ?

    Erreurs dues parfois à trop d'enthousiasme, erreurs dues aussi à trop de prudence au contraire, erreurs de jugement tout simplement, vite réparées dans la confrontation avec le quotidien.

    Et puis, au bout de tous ces méandres, de toutes ces hésitations, je pense qu'il ne faut pas exagérer notre importance. Si nous participons indirectement à l'éducation des enfants, nous ne sommes quand même pas les décideurs suprêmes.

    Laissons cette responsabilité aux parents ou (à défaut) aux enseignants, ou (à défaut) aux éducateurs qui passent plus de temps avec eux et pour qui c'est la mission véritable.

    Assumons toute notre place (le mieux possible) mais rien que notre place.

    S'il arrive, malgré tout, qu'un enfant ou un adolescent soit "troublé" ou même "traumatisé", ne cherchons pas la véritable cause de cet avatar dans le livre mais dans l'histoire passée et présente du jeune concerné. L'angoisse exprimée à l'occasion d'une lecture ne doit être considérée que comme la partie visible d'un trouble plus profond et peut-être est-ce mieux pour le sujet lui-même et pour les autres de voir cette angoisse bien en face plutôt que de la cacher ou de l'intérioriser.

    Osciller entre une affirmation et une autre, c'est douter au final, et le doute est le contraire de la bêtise, du laxisme et de la volonté de perversion dont nous sommes accusés aujourd'hui.