Dans l'optique d'une coopération nationale et internationale entre bibliothèques, la D.B.M.I.S.T. a signé des accords avec l'O.C.L.C. (Online computer library center), association gérant un réseau informatisé international de bibliothèques. Ces accords marquent une orientation nouvelle dans la constitution de réseaux documentaires. L'O.C.L.C. constituera un «réservoir bibliographique» dans lequel s'alimenteront les bibliothèques françaises. En échange la France fournira à l'O.C.L.C. les notices bibliographiques qui ne figurent pas dans sa base et cela contribuera à faire connaître l'information bibliographique française au niveau international. Cette coopération entre bibliothèques au moyen du catalogage en ligne doit aussi permettre de réaliser en France un catalogue collectif national des monographies : le Pancatalogue (1) . Pour l'indexation matières, les bibliothèques adhérant au Pancatalogue adopteront une même liste d'autorité matières, le répertoire RAMEAU (Répertoire d'Autorité Matière Encyclopédique, Alphabétique et Unifié), issu du Répertoire LAMECH (2) , géré conjointement par la C.N.C.I.M. (Cellule nationale de coordination de l'indexation matière, D.B.M.I.S.T.) et la Bibliothèque nationale.
Le répertoire RAMEAU est issu dans sa majorité du RVM (Répertoire des vedettes matière) de l'Université Laval à Québec, lui-même issu de la liste d'autorité matières de la Bibliothèque du Congrès à Washington (Library of Congress subject headings). Les questions posées par l'adoption de cette liste ont été étudiées par Suzanne JOUGUELET dans le Bulletin des Bibliothèques de France. (3) Nous voudrions évoquer ici les problèmes posés par l'adoption d'une telle liste encyclopédique par une bibliothèque spécialisée dans le domaine juridique. Les problèmes sont dus aux caractères nationaux du Droit. Il existe en effet dans le monde contemporain plusieurs grandes familles de droit : la famille des droits romanistes (la majorité des pays européens et l'Améri-que latine) ; la famille de la Common law (pays anglo-saxons ou de tradition anglo-saxonne) ; la famille des droits socialistes; les systèmes de droit des sociétés non occidentales (droit musulman, juif, hindou etc.) ; sans compter les pays dont le droit est mixte (Ecosse, Québec, Louisianne). Le droit français fait partie de la famille des droits romanistes. Le répertoire LAVAL dont est issu RAMEAU, s'inspire de la liste matière de la Bibliothèque du Congrès : les descripteurs de cette liste sont en majorité ceux du Droit anglo-saxon. Les bibliothèques françaises devront adapter une liste d'autorité basée sur le Droit anglo-saxon à la terminologie et aux notions du Droit français. Des instruments de travail seront nécessaires. Parmi beaucoup d'autres thesaurus spécialisés, la liste d'autorité de la bibliothèque de Cujas, malgré ses lacunes et ses faiblesses, peut-elle être de quelque utilité? C'est ce que nous essayerons de voir après avoir donné un aperçu de son historique, de ses caractéristiques et de la démarche suivie lors de la création d'un descripteur.
La première liste de vedettes matières du catalogue de la Bibliothèque de Cujas a été établie dans les années 1930-1940 par François Saleilles, bibliothécaire et excellent juriste. Elle reflétait la nature du fonds de la Bibliothèque à cette époque : très poussée dans le domaine juridique, elle l'était moins dans les autres disciplines, y compris l'économie, car il n'existait pas encore de licence ès-sciences économiques. Cette liste était déjà très structurée (notions liées entre elles par un système de renvois) et contenait en germe l'idée de thesaurus. Avec l'évolution du fonds de la bibliothèque, son élargissement aux sciences économiques, politiques et à l'ensemble des sciences sociales, une mise à jour s'imposait. Elle a été entreprise dans les années 1970, accompagnée d'une révision, fiche par fiche, du catalogue matières des ouvrages entrés depuis 1952 (plus de 200 000 fiches revues).
La liste comporte environ 10 000 descripteurs et 5 000 non-descripteurs.
Les descripteurs sont reliés entre eux par différents types de renvois :
Voir : renvoi de la forme rejetée au descripteur retenu :
Know-how Voir : Savoir-faire industriel
Voir à: utilisé pour envoyer d'un descripteur très spécifique non retenu à un terme plus large :
Bail à convenant Voir à : Baux ruraux
Voir aussi : Renvoi d'orientation vers des rubriques plus spécifiques (équivalent du T.S., terme spécifique, dans la liste RAMEAU):
Administration locale Voir aussi : - Cantons ; - Communes ; - Départements, etc. ou vers des termes associés (équivalent du T.A., terme associé, dans la liste RAMEAU) :
Contrôle administratif Voir aussi : Tutelle administrative
R. de (Renvoi de) réciproque de Voir et Voir à (équivalent du E.P., employé pour, dans la liste RAMEAU) :
Savoir-faire industriel R. de Know-how Baux ruraux R. de Bail à convenant.
R.s. (Renvoi secondaire de) réciproque de Voir aussi équivalent des T.G., terme générique, T.A., terme associé de la liste RAMEAU) :
Commune R.s. de : Administration locale Tutelle administrative R.s. de : Contrôle administratif
Pour les pays autres que la France, les continents, les structures supra-nationales (Marché commun...), les groupes de pays (Pays en développement, Pays arabes etc.), chaque ouvrage est catalogué d'une part au sujet de l'ouvrage et d'autre part au nom du pays, continent etc., luimême subdivisé selon un cadre commun à tous les pays : un ouvrage sur l'adoption en Grande-Bretagne est l'objet de deux descripteurs : - Adoption ; - Grande-Bretagne, Civil (droit).
Des notes explicatives (N.A.) précisent la définition ou le sens d'un terme et ses modalités d'emploi. La mention A.C. (Ancien catalogue) indique que le descripteur figure seulement à l'ancien catalogue (ouvrages entrés à la Bibliothèque avant 1952).
Cette liste d'autorité est un instrument de travail interne. Le volume du catalogue matières et le manque de moyens en ressources humaines ne nous ont pas permis de l'améliorer autant que nous l'aurions souhaité. Elle présente bien des imperfections :
La décision de créer un nouveau descripteur est prise, selon les cas :
Quelle qu'en soit l'origine, la création de descripteur et la modification du réseau de renvois nécessitent de nombreuses recherches qui se font actuellement dans l'ordre suivant (cet ordre a évidemment beaucoup évolué depuis dix ans) :
Cette consulation des sources est indispensable pour assurer l'objectivité dans l'indexation.
Complémentarité et divergences :
Nous avons examiné plus particulièrement dans les répertoires «LAVAL» et «RAMEAU» les descripteurs commençant par le mot «droit». Nous avons relevé plusieurs catégories de problèmes (4) :
1 - Dans les 2 répertoires, arbitraire dans le choix des termes spécifiques, indiqués à la suite des grandes branches du droit : pourquoi dans les T.S. de «droit commercial» figurent par exemple : -»Aliment, droit» (descripteur qui relèverait en droit français du droit civil).
«Baux» (alors qu'il existe dans la liste le descripteur «Baux commerciaux».)
2 - Inexactitudes dans la traduction des renvois d'orientation du RVM Laval (renvois symbolisés par v.a. (voir aussi), X et XX (5), en «RAMEAU» (renvois symbolisés par T.G., T.S., T.A.) (5) .
Nous retiendrons deux exemples :
LAVAL
Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
Voir aussi :
Souveraineté
XX
Souveraineté
RAMEAU
Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
T.S. Souveraineté
T.G. Souveraineté
Dans cet exemple, le «Voir aussi» et «XX» du R.V.M. Laval devrait être traduit en RAMEAU par T.A. (terme associé), un descripteur, «Souverainté», ne pouvant être à la fois T.S. et T.G. d'un autre, «Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes».
LAVAL
Travail-Droit
Voir aussi :
Horaires de travail
RAMEAU
Droit du travail
T.G. Horaires de travail
Le «Voir aussi» du R.V.M. Laval a été traduit en T.G. par RAMEAU, alors qu'il aurait du l'être en T.S. (ou à la rigueur en T.A.)
Ces deux premières catégories de problèmes peuvent être résolus de façon ponctuelle (et le sont), en rectifiant le réseau logique des renvois, chaque fois qu'à l'occasion de l'indexation d'un ouvrage, l'on aperçoit de tels «glissements» entre le R:V.M. Laval et la liste RAMEAU. Nous savons qu'une révision, descripteur par descripteur, ne pouvait être effectuée de façon systématique au départ, faute de ressources humaines suffisantes.
Par ailleurs, nous savons aussi par expérience, que toute modification dans le réseau logique de renvois, entraîne très souvent des modifications en chaîne, et par voie de conséquence, des révisions et de nombreuses recherches sur le fonds du droit.
3 - Problèmes tenant à des acceptions différentes d'un même mot ou au caractère national de certaines notions juridiques :
Descripteur : DROIT ECONOMIQUE :
LAVAL
Droit économique
Pas de descripteur
Voir : Droit des affaires
N.A (suppl.87) Droit pour hommes d'affaires
Droit public économique T.G. - Droit constitutionnel
Economie politique
RAMEAU
«Droit économique»
Droit des affaires
T.G. Droit commercial
CUJAS
Economique (Droit)
R.de : - Droit économique
Droit public économique
(N.A. Définition)
Commercial (Droit)
R.de : - Droit des affaires.
Dans cet exemple :
Descripteur JOINT VENTURE
LAVAL
Joint venture
Voir : Sociétés en participation
RAMEAU
Joint venture
Voir : Sociétes en participation
CUJAS
Joint venture
Voir : Entreprises conjointes
R.de : Joint venture
Entreprises communes, etc.
Le renvoi fait par Laval ne devrait pas être retenu par la France. La société de participation, en droit français, est une entité juridique bien précise ; l'entreprise commune (joint venture) peut prendre la forme d'une société en participation mais pas obligatoirement.
Nous pourrions multiplier les exemples de descripteurs traités différemment dans le Répertoire Laval, RAMEAU et la liste Cujas ou manquant dans l'une des listes : Astreintes, Billets de Trésorerie, Crédit croisé, conflits collectifs du travail, contrats de dépendance, titres de participation, titres participatifs, etc.
Par ailleurs, des difficultés supplémentaires proviennent d'une ambiguïté de terminologie : «les mots : droit civil, droit des obligations, personnes morales... sont intraduisibles du français en anglais, comme sont intraduisibles en français des mots anglais tels que Trust, bailment, magistrate, equity, trespass...» (René David, article de «Droit comparé» in Encyclopaedia Universalis).
Partant de ces constatations, il semble que des thesaurus spécialisés puissent aider à résoudre certaines difficultés, ou, à tout le moins, permettre de faire des propositions de création de descripteurs et (ou) des modifications de renvois. Un module de mise à jour de la base de données RAMEAU permet d'ores et déjà de faire des propositions de création qui sont étudiées, et validées (ou non) par la Bibliothèque nationale, chargée de maintenir la cohérence d'ensemble de la liste.
Des créations nous paraissent indispensables pour les descripteurs relatifs aux institutions juridiques propres à un pays. Une coopération entre bibliothèques juridiques, constituées en réseau, serait en outre souhaitable. Ce réseau ne devrait-il pas avoir un certain rôle dans la validation des propositions de création de descripteurs !
Enfin pour terminer, nous pouvons nous demander quelle influence exerceront sur nos méthodes d'indexation matières l'adhésion de bibliothèques françaises au réseau O.C.L.C., et l'adoption de la liste d'autorité RAMEAU par ces mêmes bibliothèques (6) . En effet, les bibliothèques qui récupéreront des notices bibliographiques dans la base de l'O.C.L.C. (O.L.U.C., Online Union Catalogue) devront traduire les descripteurs de la «Library of Congress subject headings» en «RAMEAU»: outre les problèmes sur le fond du droit que nous venons de voir, des choix seront peut-être à faire entre la pratique américaine d'indexation plus systématique et la pratique française plus analytique. Par ailleurs, notre participation au réseau O.C.L.C. implique une redéfinition des fonctions de catalogueurs et une adaptation des lecteurs à de nouvelles procédures d'accès au document (7) : l'accès à la liste RAMEAU se fera en effet par l'intermédiaire du logiciel ALEXIS, logiciel d'analyse des questions en langage naturel : «Le couple liste + logiciel apparaît devoir constituer un instrument d'indexation et de recherche à vocation grand public» (8) . Cette interrogation/ consultation interactive de catalogues en ligne par le public, combinée à l'utilisation d'un thesaurus (par les catalogueurs et éventuellement par les lecteurs) ouvre de nouveaux schémas de recherche, et des perspectives sans doute prometteuses pour l'avenir, même si elle suscite aussi des interrogations légitimes.