Le travail effectué avec plusieurs bibliothèques a été réalisé dans des conditions très favorables et je ne prétends pas en faire un modèle. Je suis professeur d'Histoire-Géographie au Collège Sévigné, établissement privé laïc, sous contrat d'association, installé au quartier latin. Les élèves viennent de milieux favorisés, en général ; le collège dispose de moyens matériels non-négligeables (en particulier pour l'audiovisuel) et les ressources du milieu (bibliothèques, musées, etc.) sont nombreuses. Les problèmes de «niveau» des élèves - dans la mesure où ce mot à un sens - sont moins graves qu'ailleurs ?
Je souhaitais apprendre aux élèves à passer en revue toutes les phases de l'élaboration d'une dissertation géographique en utilisant toutes les ressources possibles des bibliothèques. Autrement dit, il s'agit d'intégrer la maîtrise de plusieurs types de documentation en vue d'un travail personnel.
Le travail s'est organisé sur quatre niveaux :
Le point de départ de ce travail est le résultatd'une insatisfaction. En 1984, j'ai voulu faire travailler des élèves de 3e sur le thème de la décolonisation : dans le cadre de la BPI les documents étaient nombreux mais de qualité inégale ; certains étaient trop difficiles (thèses universitaires), les films étaient parfois trop allusifs ; les documents étaient abondants sur un sous-thème, rares sur un autre. Or, un nombre assez important d'élèves a eu de grosses difficultés à manipuler des ouvrages parfois simples.
Il existe une zone aveugle, une chambre noire, un no man's land entre enseignants et bibliothécaires : chacun suppose que l'autre a la réponse à un de ses problèmes.
Pour réduire cette zone aveugle, cette mer de malentendus, il faut cerner les problèmes et clarifier les objectifs.
Pour que le travail soit efficace, il fallait le préparer en amont, du côté des élèves et du professeur, et en aval, du côté des documents et des bibliothécaires.
a) en amont :
Les élèves :
Quels sont les objectifs de travaux sur documents pour des élèves de 2e ?
Ces objectifs choisis par l'enseignant déterminent le type de travaux en classe.
Comprendre la logique d'un texte : titre, sous-titres, mots importants, référence à des documents ; comprendre la structure d'un livre, ce qui permet de saisir la structure d'un dossier personnel qu'on pourra enrichir : table des matières, index, glossaire, bibliographie, références du livre.
Les deux derniers points se soutiennent mutuellement car un manuel respecte les caractères logiques de l'analyse géographique.
L'enseignant :
L'enseignant doit insuffler une cohérence à son travail sur l'année et lui donner un sens, une direction dans le cadre d'un programme : l'Homme et la Terre, en classe de seconde.
Le centre documentaire du CRDP de Paris m'y a beaucoup aidé : de nombreux ouvrages didactiques, des documents écrits et audiovisuels nourrissent la réflexion et la pratique pédagogique de l'enseignant.
Ainsi le CRDP de Paris m'a permis d'utiliser des ouvrages didactiques de géographie produits par les CRDP de Tours, Orléans, Amiens et Lyon qui m'ont fourni une logique de cours et de nombreux documents et exercices : les bibliothèques spécialisées sont donc d'une aide irremplaçable pour les enseignants.
Par ailleurs l'enseignant doit préparer le travail en bibliothèque et informer les bibliothécaires de ses objectifs, des notions et du vocabulaire acquis.
b) en aval : le rôle des bibliothécaires dans le choix des sujets :
J'ai pris comme thème global l'Homme et l'Environnement en cherchant six sous-thèmes répondant à trois intérêts :
Le choix des sujets s'est fait par tâtonnement et va-et-vient entre l'enseignant et les bibliothécaires ; ceux-ci ont fait des sondages et établi des bibliographies qui permettaient de traiter réellement certains sujets de façon pertinente. Certains sujets proposés par l'enseignant étaient intraitables : l'étude du paysage urbain dans une ville du Tiers-Monde - trop difficile -, le bruit dans les pays industrialisés - trop technique -. Les sujets choisis pour le travail en BPI peuvent paraître pointus, mais ils correspondent au respect des critères énoncés plus haut.
Thème : Amazonie, zone frontière ; Milieu : équatorial ; Aspects humains : contact de civilisations.
Thème : L'Homme et l'eau dans le Sahel; Milieu : désertique ; Aspects humains : problème de développement.
Thème : Sauvetage du site historique d'Abou Simbel ; Milieu : désertique ; Aspects humains : culture et économie. Thème : La pollution industrielle en France ; Milieu : tempéré ; Aspects humains : industrialisation.
Thème : Une réserve naturelle en Suisse ; Milieu : montagneux ; Aspects humains : préservation de la nature.
Thème : L'exploitation du pétrole en Alaska ; Milieu : froid ; Aspects humains : exploitation des ressources naturelles en milieu hostile.
Enfin de compte la zone d'ombre s'est réduite :
La préparation du travail s'est effectuée après un premier contact en juillet 1985, de novembre 1985 à février 1986 sur deux niveaux :
c) Un apprentissage progressif et articulé de la recherche documentaire :
L'équipe d'enseignants en Histoire-Géographie a aidé Mme BERNARD, documentaliste du Collège Sévigné, à constituer le fonds documentaire en Histoire et Géographie. Ce CDI a posé un problème particulier car dans le même établissement coexistent des classes de niveaux différents : maternelle, école élémentaire, collège, lycée, préparation à Sciences-Po et les élèves de -presque - tous les niveaux sont susceptibles de fréquenter cette bibliothèque. La documentation doit répondre aux besoins divers des élèves, mais elle porte souvent sur des thèmes communs. Les ouvrages doivent concerner les questions étudiées dans les programmes, sans exclure d'autres thèmes répondant à la curiosité des élèves ; ceux qui traitent les mêmes sujets doivent le faire à des niveaux différents, et être désignés visuellement par une couleur en fonction du niveau (élémentaire, collège, lycée). Le catalogue de type CDU a été adapté pour que les têtes de chapitres soient facilement repérables en fonction des questions du programme.
La spécificité d'un CDI a été mise en valeur par la mise en avant de documents parascolaires utilisables comme approche d'un sujet (manuels, B.T., textes et documents pour la classe, documentation photographique, dossiers de presse, etc.) sans oublier les ouvrages documentaires et de fiction choisis pour leur intérêt. Le fonctionnement du CDI a été présenté aux élèves de 2e mais certains le fréquentaient depuis la 6e, surtout, l'utilisation individuelle a été encouragée par l'indication de documents pour des travaux scolaires : à une étude sur la Bible et les religions monothéistes, demandée en début d'année de 2e, correspondaient des ouvrages préalablement acquis par le CDI.
Le 4 février 1986, une visite est organisée à la Bibliothèque Port-Royal : il s'agit pour les élèves de constituer une bibliographie sur un thème relatif à la Révolution française.
Mme GOSSELIN, Conservateur de la bibliothèque, contactée auparavant, avait vérifié l'existence de documents relatifs à ce thème ; il faut remarquer que les documents pour la jeunesse et les documents pour adultes sont présentés sur les mêmes rayons et qu'une discothèque jouxte la bibliothèque.
Mme GOSSELIN a fait une présentation de la bibliothèque en présence de bibliothécaires de la BPI et les élèves ont pu en remarquer le caractère plus général, s'adressant à un public varié.
J'ai proposé plusieurs sous-thèmes aux élèves : la prise de la Bastille, les Sans-culottes, les paysans et la Révolution, la musique et la Révolution française, etc. ; pour constituer sa bibliographie, chacun des groupes constitués devaient utiliser une des «entrées» suivantes: fichiers, usuels, recherche dans les rayonnages, périodiques, discothèque. Le travail consistait simplement à rédiger une bibliographie simple distinguant ouvrages généraux sur la Révolution française et ouvrages spécifiques sur le sujet. Enfin, dans une réunion de bilan, chaque groupe a expliqué aux autres la logique de sa recherche et les problèmes de classification : par exemple, les élèves qui travaillaient sur la musique révolutionnaire ont constaté que les disques étaient classés par auteurs, aussi bien dans le fichier que dans les bacs à disques, il leur a donc fallu chercher les noms de musiciens de l'époque révolutionnaire dans une Histoire de la Musique, puis retourner au fichier auteurs et vérifier sur les pochettes de disques la valeur de leurs informations, enfin, classer les oeuvres et établir une bibliographie-discographie combinée.
Le travail en bibliothèque municipale présente plusieurs intérêts :
Le travail sur les thèmes de géographie s'est effectué en quatre séances, à la fin du mois de février 1986 :
a) première séance :
Après une visite complète de la BPI et une présentation de ses ressources, les bibliothécaires et moi même avons proposé aux élèves - divisés en deux groupes correspondant chacun à un thème - de chercher spontanément des ouvrages dans les rayonnages. Pourquoi ne pas commencer d'abord par une présentation des fichiers ? La BPI, comme toute bibliothèque, est un espace doté d'une signalisation qui permet de circuler entre des supports d'information ; nous avons ainsi expliqué que des panneaux accrochés au plafond indiquaient la localisation de grands thèmes (géographie, histoire, etc.) et qu'il fallait ensuite repérer des inscriptions plus précises (Afrique, Europe) pour trouver les thèmes recherchés (géographie physique, climat, etc.) ; les élèves pouvaient ainsi acquérir une certaine aisance dans la circulation dans la bibliothèque, et d'une certaine façon s'approprier cet espace en sachant s'y repérer. Surtout, les difficultés rencontrées dans la découverte des documents permettent de démontrer l'utilité des fichiers, que certains élèves dédaignaient auparavant car ils trouvaient ce «passage» inutile. Au terrain - la BPI - correspondait la carte - le fichier.
b) 2e séance :
A partir d'une plaquette, réalisée par la BPI qui comparait des dictionnaires et des encyclopédies, chaque groupe devait trouver en un quart d'heure l'information la plus rapide et la plus simple sur son thème. Pourquoi ?
Un tour de table a permis de dégager les qualités et les caractères des dictionnaires et des encyclopédies pour un usage ultérieur.
Les bibliothécaires ont ensuite expliqué le fonctionnement des catalogues en les comparant avec celui de la Bibliothèque Port-Royal (par des différences fondamentales dans la classification entre Dewey et CDU simplifiée, différence de présentation matérielle des catalogues) .
casiers dans un cas, volumes dans l'autre - supports bien séparés à Port-Royal, bibliothèque multimédia à la BPI). Certains élèves avaient utilisé de façon spontanée - mais incomplète - les fichiers lors de la première séance, et se sont rendu compte de la diversité des entrées possibles dans les catalogues.
Après cette présentation, les élèves ont constitué une bibliographie multimédia en distinguant supports généraux et supports spécifiques, puis ils ont consulté les éléments périphériques des ouvrages (table des matières, présentation, préface, conclusion, etc.) pour voir s'ils correspondaient à ce qu'ils cherchaient.
En fait, la recherche sur catalogue a eu lieu jusqu'à la quatrième séance, les élèves y revenant régulièrement, encouragés et aidés par les bibliothécaires.
c) 3e séance :
Armés d'un début d'informations et d'une bibliographie plus ou moins complète, les élèves pouvaient commencer leur recherche. Je leur ai demandé de mettre au point une problématique : que cher-chaient-ils à démontrer ? Où voulaient-ils en arriver ? Ils devaient échaffauder une hypothèse de recherche et vérifier la validité de cette hypothèse, quitte à la corriger ou à la changer ; ils devaient à la fin de la séance présenter un plan intégrant les grandes idées, suggérées par les documents et ordonnées en fonction d'une construction méthodique de la dissertation géographique (description, explication, problèmes et conséquences.) Tous les élèves l'ont fait avant la fin de la 4e séance, et cela structurait leur recherche.
Cependant des problèmes liés à la documentation sont apparus, malgré les «sondages» opérés avant le travail : si les groupes étudiant Abou Simbel et les parcs naturels suisses n'ont pas rencontré de difficultés, le groupe s'occupant de l'Alaska a orienté ses recherches vers les problèmes de l'exploitation pétrolière en général, pour retrouver leur sujet ; les documents relatifs à l'Amazonie avaient un caractère plutôt ethnologique, les livres relatifs au Sahel étaient parfois anciens ; sur la pollution en France, les livres étaient trop techniques et le groupe a dû s'orienter vers des études de sites.
d) 4e séance :
Les groupes ont étudié des documents audiovisuels en fonction de leur sujet : vidéocassettes sur Abou Simbel et l'Amazonie, diapositives sur les parcs suisses et l'exploitation pétrolière en Alaska ; un documentaire sur l'accident de Seveso cadrait mal avec le sujet, la pollution en France. Enfin, seul le groupe Abou Simbel a eu le temps d'utiliser des articles de presse sur microfilms. Tous ces documents audiovisuels ont donné lieu à des prises de notes orientées par la problématique de la dissertation.
e) Travail individuel et bilan :
La rédaction finale relevait du travail individuel des élèves ; chacun avait la possibilité de revenir consulter les documents de la BPI, laissés à leur disposition pendant quinze jours : un petit nombre d'élèves les ont utilisés. Les dissertations ont été structurées, documentées, et en fin de compte assez individualisées.
Un certain nombre d'élèves sont retournés individuellement à la BPI, surtout, la plupart d'entre eux ont utilisé plus régulièrement différents types de bibliothèques pour d'autres études.
Enfin, les bibliothécaires de la BPI ont animé une séance de bilan méthodologique en classe, au collège Sévigné, pour évaluer l'acquisition des savoir- faire : paradoxalement, l'utilisation des fichiers paraissait mieux assimilée que la «circulation» dans un ouvrage (index, glossaire, table des matières) ; Mme BERNARD, responsable du CDI du Collège Sévigné, et moi-même en avons conclu que l'apprentissage de la manipulation d'un livre devait être approfondie à l'école élémentaire et dans le premier cycle, avant la classe de 2e.
Le travail effectué avec une classe de 2e du Collège Sévigné est une expérience précise qui n'a pas de valeur universelle. Le succès n'a d'ailleurs pas été total : trois groupes sur six ont réellement maîtrisé tous les médias, même si tous les ont utilisés ; cependant les principes de classification et l'analyse d'ouvrages imprimés ont été bien assimilés.
La technique documentaire pour des élèves, est le résultat de l'acquisition progressive et combinée de nombreux savoir faire qu'il faut intégrer à la pratique de chacun. Il faut établir une continuité de l'école au lycée pour faire apparaître la variété des approches de l'information et mettre en rapport une certaine irrationalité des élèves avec la rationalité des fichiers et des bibliothèques.
Responsables de CDI et enseignants doivent mettre au point des objectifs communs par niveaux et par disciplines, et les faire passer dans des exercices permettant une manipulation systématique de différents types de supports (manuels, dictionnaires, ouvrages divers, etc.). Le choix des ouvrages au CDI et les travaux scolaires doivent se correspondre - dans la mesure du possible. En cas de travail d'une classe en bibliothèque, l'enseignant doit exposer ses objectifs pédagogiques pour que les bibliothécaires puissent y répondre de façon précise. De même, les bibliothécaires ne doivent pas hésiter à expliquer leurs contraintes pour que l'enseignant modifie ses objectifs (petitesse des locaux, inexistence ou trop grande difficulté de certains documents). Enfin, une coopération plus grande entre les CRDP, les CDI, les enseignants et les bibliothèques publiques permettrait d'offrir des documents à caractère didactique à tous les formateurs, et un ensemble multimédia aux classes (le CRDP fournissant les supports audiovisuels, les bibliothèques proposant les imprimés ou d'autres documents accessibles).
En fin de compte, nous assistons à un élargissement des modes de perception des informations, à une multiplication des codes, des grammaires, des lectures. De plus en plus, les jeunes ont un mode de compréhension du monde en stéréophonie : d'un côté, une compréhension en flash, symbolisée par les supports audiovisuels, avec une appréhension simultanée d'informations qui se recomposent dans l'esprit du spectateur ; d'un autre côté, une compréhension linéaire, symbolisée par le livre, avec une appréhension organisée et structurée d'une information qui fait appel à la réflexion du lecteur. Le travail des formateurs (enseignants, bibliothécaires, etc.) doit être de pousser les jeunes à maîtriser les différents supports et à passer de l'un à l'autre sans difficulté. Ceci doit donc s'appuyer sur une collaboration plus intense entre les intervenants.