Index des revues

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    La bibliothèque Marguerite Durand

    Par Simone BLANC, Conservatrice de la Bibliothèque.

    HISTORIQUE

    Bibliothèque Marguerite DURAS? Non, D.U.R.A.N.D. Précision que nous avons à donner assez souvent. Qui était donc Marguerite Durand ? Née en 1864, elle fut élève au Conservatoire d'art dramatique à 17 ans et brillante sociétaire de la Comédie française de 1882 à 1888. Aux côtés de son mari, le député et avocat Georges Laguerre, elle fut la «muse du boulangisme» tout en s'initiant au journalisme à La Presse. Elle fit ses véritables armes au Figaro qui l'envoya assister au Congrès féministe international de 1896, pour écrire un article humoristique. Séduite et enthousiasmée par les femmes qu'elle entendit et la justesse de leurs revendications, elle décida de créer un journal qui serait leur tribune.

    Ainsi naquit La Fronde, quotidien rédigé, composé, administré et dirigé uniquement par des femmes de 1897 à 1905. Marguerite Durand continua ailleurs sa carrière de journaliste et de militante. Tout au long de sa vie elle collecta toutes sortes de documents sur les femmes ou écrits par des femmes. En 1931, cinq ans avant sa mort, elle décida de faire don, à la Ville de Paris, de sa bibliothèque déjà d'une grande richesse sur ce thème.

    LE LOCAL

    La Bibliothèque est toujours installée dans une unique longue pièce de 130 m2 où vivent dans la meilleure convivialité possible les documents, les chercheurs et les bibliothécaires. Des tableaux, gravures et objets accueillent les visiteurs qui semblent apprécier le charme quelque peu désuet du lieu. Mais nous ne nous plaindrons plus de son exiguïté puisque la Bibliothèque sera installée dans le bâtiment de la médiathèque Tolbiac vers la fin 1989. Pour la première fois à Paris, une bibliothèque de lecture publique et une bibliothèque d'étude partageront un lieu. Expérience que nous espérons positive pour chacune, en toute indépendance.

    LES COLLECTIONS

    A l'établissement est attachée très souvent l'étiquette de «Bibliothèque féministe». Nous ne récusons en aucune façon ce terme puisque Marguerite Durand elle-même avait baptisé sa bibliothèque «Office de documentation féministe».

    Mais il est bon de savoir que les ouvrages sur ce thème (histoire dans les différents pays, doctrines, congrès, biographies de militantes) ne forment qu'une partie du fonds. C'est un centre de documentation sur les femmes et nous essayons de «couvrir» toutes les époques, tous les pays, tous les domaines. Parmi eux :

    • Philosophie, psychologie, psychanalyse, religions ;
    • Rôle des femmes dans la vie familiale, sociale, politique, artistique...
    • Législation : travail, contraception, avortement, mariage, divorce, prostitution...
    • Biographies et histoire ;
    • Littérature : romans, poèmes, théâtre,
    • journaux intimes, correspondances...

    Les collections sont réparties selon le type de document :

    1) Livres et brochures imprimés :

    La collection comprend des livres français et étrangers depuis la fin du 16ème siècle, des brochures, des thèses, de nombreuses publications officielles, des comptes rendus de réunions, congrès et colloques ainsi qu'une importante littérature «grise» hors-commerce. Nous pouvons à nouveau acheter des livres anciens et nos commandes dans les pays anglo-saxons sont très volumineuses, les recherches et les publications sur les femmes y étant particulièrement actives.

    En août 1987, nous avons enregistré 20.000 volumes, avec pour ces trois dernières années 1200 volumes par an en moyenne.

    2) Périodiques :

    La collection offre environ 620 titres français et étrangers dont 100 abonnements pour 1987.

    Citons pour les publications du 19èmc siècle :

    La Femme libre des saints-simoniennes (1832): L'Opinion des Femmes de Jeanne Deroin (1848) ; Le Devoir, journal des femmes de la Commune à Marseille (1871) ; La Citoyenne dont la directrice fut Hubertine Auclert, une des premières suffragettes françaises ; Le Droit des femmes, premier titre de la revue de la Ligue du droit des femmes créée en 1869.

    Dans la première partie du 20e siècle de grandes revues féminines apparurent : Fémina, La Vie heureuse, La Française, Eve, Minerva. Puis nous avons collecté les périodiques des nombreuses associations qui se réclamaient du Mouvement de Libération des Femmes à partir de 1970 : Le Quotidien des Femmes, Histoires d'Elles, Le Torchon brûle, Sorcières, Elles voient rouge..

    Actuellement les périodiques français féministes se résument à 6 ou 7 titres mais nous avons de nombreuses revues d'associations et de groupes de femmes dans les domaines très divers (travail, religion, vie quotidienne...) et surtout nous avons développé des abonnements aux périodiques étrangers en essayant de représenter la plupart des pays.

    Les abonnements sont passés de 15 titres en 1984 à 100 titres en 1987 avec un budget de 17 500 F et un certain nombre de titres gratuits.

    Le dépouillement des revues a été commencé en 1967 et nous essayons de le continuer systématiquement pour tous les titres ce qui est, évidemment, un énorme travail mais en même temps un service extrêmement apprécié par les chercheurs.

    Le bulletinage des revues n'avait pas été fait à notre arrivée. Il est presque terminé, ce qui va permettre de participer au C.C.N. (Catalogue collectif national des publications en série). Le recatalogage selon les normes est en cours. Nous avons entrepris de faire microfilmer une grande partie des revues ainsi que celles du fonds féministe Marie Louise Bouglé déposé à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, ce qui est un grand enrichissement.

    3) Les dossiers :

    Les dossiers biographiques et thématiques sont peut-être la partie du fonds la plus originale. Ils ont été commencés à la fin du 19 ème siècle par Marguerite Durand et comprennent des articles de presse, des tracts, des cartons d'invitation, des manus crits. On y trouve aussi des prospectus, des statuts d'associations féminines, des textes de lois, des notices bio- ou bibliographiques, des comptes rendus. Nous continuons à les alimenter en découpant quatre quotidiens, en classant des articles de revues générales et des documents qui nous sont donnés ou que nous collectons dans des manifestations. Parmi les plus importants dossiers biographiques, citons ceux de : Juliette Adam, Sara Bernhardt, Hélène Brion, Camille Claudel, Maria Deraismes, Louise Michel, Clémence Royer, Margaret Thatcher, Simone Veil, La Reine Victoria... Les dossiers thématiques reprennent tous les thèmes précités.

    4) Les manuscrits et la correspondance :

    Les manuscrits (oeuvres de fiction et documentaires) ont été donnés par leur auteur ou légués. Certains ont servi à des rééditions comme les «Mémoires d'une saint-simonienne en Russie (18391846)» de Suzanne Voilquin (Ed. Des Femmes) ou les «Choix de papier» de Séverine (Ed. Tierce).

    La Bibliothèque possède une très belle collection de lettres autographes de femmes dont la plus ancienne fut écrite par Sainte Catherine de Ricci (1522).

    Parmi les auteurs : G. Avril de Sainte Croix, Rosa Bonheur, Colette, Alexandra David-Neel, Lucie Delarue-Mardrus, Marie Dorval, Georgette Leblanc, Marie-Antoinette, Louise Michel, Mme de Staël, et aussi des lettres d'hommes avec qui Marguerite Durand a correspondu (Louis Barthou, Ferdinand Buisson, Joseph Caillaux, Georges Clémenceau, René Viviani...).

    5) Le fonds iconographique :

    Les photographies du fonds ancien (Na-dar, Reutlinger, Manuel, Harlingue...) sont en majorité des portraits d'actrices et d'artistes du 19ème et du début du 20èmc siècle ainsi que des portraits de journalistes, écrivains, féministes qui ont entouré Marguerite Durand. Il faut noter un album des Communardes pendant leur procès et une collection de 160 photos à caractère ethnographique du début du siècle, de l'agence Chusseau-Flaviens. Les photos contemporaines ont été achetées en particulier à Catherine Deudon (Centre audiovisuel Simone de Beauvoir) et à Janine Niepce : mouvement des femmes, manifestations, nouveaux métiers, portraits, vie quotidienne. L'association «La Gaffiche» nous a donné 221 reproductions en couleurs de sa collection d'affiches qui sera conservée chez nous d'ici peu (Mouvement des femmes de 1970 à 1982). Les trois quarts du fonds photo sont catalogués (estimation 3000 unités) et Anne Cartier-Bresson, restauratrice des Musées de la Ville de Paris, a commencé à restaurer les images les plus précieuses. Depuis juin 1987 la description du fonds photographique est intégrée dans la banque ICONOS de la Documentation française.

    La Bibliothèque conserve environ 2000 cartes postales anciennes et modernes : femmes au travail, campagnes des femmes en faveur du droit de vote, costumes, portraits, caricatures, vie quotidienne, etc.

    Les affiches ne sont pas encore cataloguées mais nous les avons triées et avons commencé à les faire entoiler et photographier. Le fonds ancien se compose surtout d'affiches politiques : campagnes en faveur du droit de vote (1910-1936), lutte contre la guerre, le fascisme, l'alcoolisme. Les plus anciennes sont un placard d'Olympe de Gouges de 1792 et une affiche de la Commune de Paris. Le fonds contemporain est surtout composé d'affiches du mouvement des femmes en France et à l'étranger (1970-1981). Actuellement les affiches politiques ou militantes sont rares. Nous collectons les affiches d'associations ou annonçant des manifestations artistiques.

    Nous conservons, enfin, des documents très variés : gravures, lithographies, dessins, peintures, bustes, médailles, timbres, badges, calicots, auto-collants, etc. Parmi les objets précieux : une peinture à l'huile sur bois du 17e siècle représentant Mlle de Scudéry, le tableau de Marguerite Durand par Jules Cayron en 1897, trois dessins de Louise Michel, une aquarelle de Maria Malibran, un buste de Nelly Roussel par Henri Godet.

    Les dons sont importants et quotidiens : thèses, livres offerts par leur auteur, tracts, prospectus d'associations, programmes. De nombreux fonds spéciaux ont été donnés à la Bibliothèque. Citons ceux de ces dernières années :

    • Les papiers de la journaliste Jane Misme ainsi qu'une partie de sa bibliothèque.
    • Les très importantes archives de l'association «Documentation femmes» (Mouvement des femmes en France de 1968 à 1980).
    • Les manuscrits des écrivains Jeanne Lambert et Marguerite Grépon.
    • Les papiers de Marguerite Thibert, spécialiste du travail des femmes et fonctionnaire au Bureau international du Travail.
    • Les archives de Cécile de Corlieu, militante féministe catholique.
    • Les manuscrits et livres de Maryse Choisy, philosophe et écrivain.
    • Les papiers et archives de Nelly Roussel, écrivain, militante pacifiste et pour la libre maternité.
    • Les documents de l'avocate Andrée Lehmann et de la Ligue française pour le droit des femmes.

    BUDGET ET PERSONNEL

    Après la mort de Marguerite Durand en 1936, la Bibliothèque a connu de longues périodes d'ensommeillement forcé avec une seule personne rarement qualifiée (parfois même sans personnel) et avec un budget très faible.

    En 1983, le Bureau des Bibliothèques de la Ville de Paris prit, enfin, conscience de l'importance du fonds, de son originalité, et de la fréquentation croissante des chercheurs étrangers. De 1983 à 1986, un poste de conservateur fut créé, suivi par la création de deux postes de bibliothécaires-adjoints et de deux postes d'adjoints-administratifs de bibliothèque.

    Dès notre arrivée nous nous sommes attachés à faire augmenter les budgets. De 29 000 F en 1982 le budget passe à 110 000 F en 1987 pour les achats de documents, 80 000 F pour la reliure et 27 000 F pour le microfilmage (25000 F en 1982 pour ces deux postes). Ce qui reste encore insuffisant mais en proportion avec notre capacité à traiter les ouvrages.

    UTILISATEURS, SERVICES RENDUS ET RELATIONS PUBLIQUES

    Du début 1984 à septembre 1987, la Bibliothèque a inscrit 2305 lecteurs et a communiqué 7696 documents pour 2835 entrées en 1986.

    Nous donnons des renseignements par téléphone sur le fonds et répondons aux demandes de recherches par correspondance pour la province et à l'étranger (80 l'année dernière).

    Nous participons au prêt inter-bibliothèques international où nous prêtons surtout les doubles ou des substituts (photocopies, microformes). La Bibliothèque participe également au CCOE (Catalogue collectif des ouvrages étrangers) depuis cette année.

    Nous avons développé une politique publicitaire : papier à lettre, prospectus, liste des acquisitions et des abonnements, articles dans la presse. Un film sur Marguerite Durand a été tourné par Antenne 2 et le Ministère des Droits de la Femme. Une série de 7 cartes postales reproduisant des documents anciens a été imprimée pour la vente.

    Nous entretenons des rapports suivis et fructueux avec des organismes qui ont une activité dans notre domaine, particulièrement : La Délégation à la Condition féminine, le M.F.P.F. (Mouvement français pour le planning familial), le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, le CNIDF (Centre national d'information sur le droit des femmes), les Centres d'études féministes universitaires et les associations ou groupements de femmes. Nous sommes, bien sûr, en contact avec des centres de documentation similaires au nôtre à l'étranger comme : The Fawcett Library de Londres, the Arthur and Elisabeth Schlesinger Library de Cambridge, Les Archives internationales des femmes d'Amsterdam et les très nombreuses «Women's studies» des Etats-Unis.

    La bibliothèque Marguerite Durand n'est pas encore assez connue mais son développement est en progression. C'est une bibliothèque déjà fort appréciée, en particulier par les chercheurs étrangers, et qui pourra, nous l'espérons, toucher un nouveau public dans ses futurs locaux avec un horaire élargi et l'ouverture le samedi. Nous attendons beaucoup de l'informatisation du réseau des Bibliothèques de la Ville de Paris, de la possibilité d'interroger des banques de données et de l'introduction, peut-être lointaine, des nouvelles techniques d'archivage (Disque optique numérique et vidéo-disque) qui permettront de mieux gérer notre documentation, de la faire davantage connaître tout en préservant les originaux.