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    Un fonds thaï à la Bibliothèque nationale

    Par Manuel Mauriès, Bibliothécaire Département des Entrées étrangères

    Avec l'acquisition, en 1970, d'une partie de la bibliothèque personnelle du Professeur Coedès, la Bibliothèque nationale est entrée de plain-pied dans le domaine des études historiques et épigraphiques de l'Asie du Sud-Est. Commencées durant les années 1870 avec les travaux de Barth et Bergaigne, ces études connurent une nette intensification après la fondation, en 1900, de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Dès 1911, le Professeur Coedès (1886-1969) devint membre de cette institution.

    Désireux de poursuivre ses recherches surplace, il partit pour le Siam, en 1918, où il exerça les fonctions de conservateur de la Bibliothèque nationale jusqu'en 1926, avant d'être nommé Secrétaire général de l'Institut royal pendant deux ans. A son retour en France, il se vit confier la direction de l'Ecole française d'Extrême-Orient, fonction qu'il occupa de 1929 à 1947. A partir de 1964, il présida la Société asiatique.

    L'épigraphie, la philologie et l'histoire de la péninsule indochinoise et de l'Indonésie furent au centre de ses recherches auxquelles il consacra plus de trois cents titres. Rappelons les principaux, «le Recueil des inscriptions du Siam» (19241929), «les inscriptions du Cambodge» (1937-1954), «les Etats hindouïsés d'In-dochine et d'Indonésie» (1944) et «les peuples de la péninsule indochinoise» (1962). Les quelques 1500 volumes, en langues khmer et thaï, composant le fonds Coedès de la Bibliothèque nationale constituent, à n'en pas douter, l'une des bases essentielles de ses travaux scientifiques.

    La parution, en 1989, du catalogue consacré à ce fonds, nous donne l'occasion d'en faire une brève présentation, sous un angle plus technique que littéraire et de faire part des difficultés rencontrées lors du traitement de ces ouvrages, souvent anciens et fort abîmés. Par ailleurs, la part importante prise dans l'édition de ces livres par la Bibliothèque nationale de Siam nous permettra de dresser un aperçu historique de cette institution, telle qu'elle apparaît au travers des différents ouvrages qui lui sont consacrés à l'intérieur même du fonds.

    Historiquement, les 1129 volumes thaï et les 281 volumes khmer composant le fonds Coedès s'étendent sur une période de près d'un siècle, allant de 1883 pour l'ouvrage le plus ancien - le traité siamo-britannique au sujet des villes de Chieng-Maï, Lampang et Lamphun - à 1969, année du décès de George Coedès. La plupart, cependant, des titres thaï ont été édités entre 1910 et 1930, époque particulièrement féconde pour l'édition siamoise, et correspondant, de surcroît, au séjour du Professeur au Siam (19181929). Les livres khmer sont, quant à eux, légèrement plus récents - 1902 à 1947 - avec une majorité d'ouvrages édités entre le milieu des années 1920 et le milieu des années 1940, années durant lesquelles, ainsi que nous l'avons vu précédemment, le Professeur Coedès dirigea l'Ecole française d'Extrême-Orient. Cette relative ancienneté du fonds Coe-des ne suffit, toutefois, pas à expliquer 1 ' état désastreux de bon nombre d ' ouvrages y figurant. La mauvaise qualité du papier - notamment pour les livres khmer imprimés durant la guerre - la légèreté des couvertures, le manque de solidité des reliures et sans doute le peu d'expérience des Thaï et des Cambodgiens en ce domaine nous fournissent quelques indices supplémentaires. N'oublions pas à cet égard que l'introduction de l'imprimerie au Siam ne remonte qu ' au règne de Rama III (1824-1851) etque cette date ne correspond aucunement à sa véritable mise en application, postérieure de quelques décennies. A cela viennent s'ajouter plusieurs facteurs extérieurs, tels le séjour plus ou moins long des ouvrages en Asie tropicale et leur détérioration plus rapide liée au climat; le transport, sans doute par bateau, de ces ouvrages vers l'Europe; les nombreuses manipulations dont ils ont fait l'objet, tant dans la bibliothèque personnelle du Professeur Coedès, qu'à la Bibliothèque nationale, où ils ont connu différents déménagements d'un service à l'autre, avant d'être triés, inventoriés à plusieurs reprises et finalement -après plus de quinze ans - traités.

    Ces quelques remarques préliminaires ayant été faites, il ne paraîtra guère surprenant d'ajouter que certains des ouvrages que nous eûmes à traiter, aient été disloqués, amputés de leurs couvertures, pages de titre ou d'une partie de leurs contenus, que bien des livres étaient déchirés, abîmés, voire percés d'un bout à l'autre par d'obscurs parasites et, presque un moindre mal, certains volumes appartenant à des collections, perdus dans des cartons, où ils n'avaient rien à voir. Il semble évident que l'absence d'une couverture et de la page de titre pose problème lorsqu'il s'agit d'identifier un ouvrage, à plus forte raison, lorsqu'il s'agit de le cataloguer. Il apparaît également, surtout quand nous nous trouvons en présence d'un livre thaï pourtant complet en apparence, qu'il peut être délicat de rechercher un éditeur, une date, un lieu ou un imprimeur et que, dans certains cas, il faut un esprit aventureux pour se lancer à la poursuite d'un titre ou d'un auteur, mystérieusement absents de la page de titre. Ce sont ces difficultés que nous allons nous efforcer de présenter de manière schématique dans les paragraphes suivants, en espérant faciliter ainsi la tâche de ceux qui pourraient être amenés à traiter des fonds de nature similaire.

    1. Le nom d'auteur.

    Dans une région à forte tradition orale, où les légendes populaires étaient contées bien avant d'être écrites et où les manuscrits sur feuilles de latanier eurent à souffrir plus qu'ailleurs de la chaleur humide du climat et des exactions de peuples voisins - destruction totale de la capitale siamoise par les Birmans en 1767 - il ne faut pas s'étonner du peu d'importance accordée à la personne de l'auteur. Ceci explique la proportion assez grande de textes anonymes ou la présence dans un même fonds de récits au titre identique mais ayant des auteurs différents. Ceci explique aussi pourquoi l'auteur n'apparaît pas toujours sur la couverture ou la page de titre, même lorsqu'il s'agit de textes modernes. Il faut alors se référer à la préface où il est parfois mentionné, ce qui est le cas notamment pour les livres de crémation; la personne incinérée pouvant être l'auteur du texte publié en sa mémoire.

    Une autre coutume siamoise vient compliquer l'identification de l'auteur, celle de modifier les titres des individus à chaque promotion au sein de l'administration. La plupart des auteurs thaï du fonds Coedès étant à la fois membres de la famille royale et fonctionnaires, voient leur nom précédé d'un titre nobiliaire auquel vient s'ajouter leur titre de fonction. Les deux étant variables, pour peu qu'un auteur ait écrit à différents stades de sa carrière et sous différents règnes, on peut éprouver quelques difficultés à le reconnaître, d'autant plus que les noms propres - moyen d'identification assez sûr - n'ont été introduits au Siam qu'en 1913. Celui qui à ses débuts n'était qu'un obscur rejeton du roi et d'une concubine quelconque, connu sous un sobriquet - phénomène très répandu en Thaïlande - peut se retrouver cinquante ans plus tard propulsé au rang de frère aîné, voire d'oncle royal en cas de règnes successifs et occuper la tête d'un département important de l'administration, bardé de titres honorifiques et miroitants qui finissent par occulter son vrai nom.

    Afin de compliquer encore davantage leur identification , les auteurs thaï se sont adonnés avec délices à l'usage du pseudonyme, le cas le plus frappant étant celui du roi Rama VI, qui au cours de sa longue carrière de traducteur et d'écrivain en a employé vingt-cinq, six d'entre eux apparaissant dans le fonds, en plus de son nom véritable.

    Un autre problème nous est posé par les auteurs occidentaux. En effet, à quelques rares exceptions près, leur nom ne figure qu'en translittération sur les ouvrages, d'où certaines difficultés pour en retrouver la graphie originale, surtout lorsqu'il s'agit d'auteurs anglo-saxons relativement peu connus, chercheurs, enseignants, militaires, diplomates ou missionnaires.

    2. Le titre

    Les langues thaï et khmer ayant pour particularité de n'user d'aucune ponctuation et d'écrire les mots à la suite les uns des autres, sans la moindre séparation, cela ne va pas sans poser quelques problèmes lors du catalogage. Notamment, quand l'auteur et le titre sont imprimés sur une même ligne, sans espace entre eux, dans l'ordre «titre-auteur», avec une préposition sous-entendue, comme pour la traduction du «Voyage du Comte de Forbin à Siam» - «Journal Forbin» en thaï. On retrouve la même ambiguïté grammaticale en présence de journaux de voyage ou de rapports d'activité concernant le roi. Dans ce cas, on passe en outre, à un niveau de langage différent - le langage royal - et la personne de l'auteur, si elle est différente de celle du roi, se trouve complètement éludée devant l'importance du sujet. L'auteur se voit alors relégué à la préface.

    Les pages de titres rédigées en pâli (1) , mais imprimées en caractères thaï de certains ouvrages religieux ajoutent à la confusion.

    Il en est de même pour les livres de crémation, dont la page de titre occulte toute mention de contenu au seul profit de la mention de crémation.

    Les mentions de collection remplaçant le titre renvoyé à la table des matières, surtout pour les volumes demeurant seuls de leur collection dans le fonds et n'offrant, de ce fait, que peu de points de repère.

    3. L'adresse

    C'est ici que les imprécisions et les manquements sont les plus grands, tout au moins pour les ouvrages thaï. En ce qui concerne les livres khmer, nous avons constaté qu'ils comportaient généralement une mention d'édition complète, du fait sans doute, de la présence française au Cambodge, au moment de la publication. Moins soucieux que les Français à ce sujet, les Thaï n'ont fait figurer l'auteur qu'une fois sur deux. Il en va de même du lieu d'édition, ce qui n'est cependant pas bien grave, étant donné que la quasi totalité des livres de cette époque étaient publiés à Bangkok. La date, quant à elle, subit parfois un sort analogue, mais la présence d'une préface permet éventuellement de la reconstituer.

    Pour les ouvrages en cambodgien, nous avons constaté quelques inexactitudes, concernant les dates. La plupart d'entre eux comptent, en plus de la page de titre en khmer, une page de titre parallèle en français. Or, la date indiquée en ère bouddhique et imprimée en chiffres khmer se trouve régulièrement en décalage d'une année avec la date en chiffres arabes et ère chrétienne sur la page de titre française.

    4. Les collections

    Celles-ci nous ont parfois causé de réelles difficultés, notamment les plus longues (jusqu'àsoixante-dix volumes). Au-delà d'une vingtaine de volumes, elles sont presque toutes incomplètes. De plus, comme elles s'étendent parfois sur plusieurs décennies (collection des chroniques royales), nous avons remarqué un changement d'éditeur en cours de publication. Ce qui entraîne des modifications de présentation et de format. L'exemple le plus typique nous est fourni par la collection des coutumes, en 26 volumes. Tous les ouvrages portent la mention de collection en couverture, alors que le titre spécifique de chaque volume n'apparaît souvent que sur la table des matières. Sur le dernier volume, par contre, la mention de collection se trouve reléguée sur la page de titre, en petits caractères, alors que le titre de l'ouvrage barre seul la couverture. Par ailleurs, ces changements d'éditeur ont eu pour conséquence quelques incohérences dans la datation. Certains volumes postérieurs dans l'ordre de la collection furent imprimés quelques années auparavant.

    Pour terminer cette partie sur le traitement des ouvrages du fonds Coedès, nous allons donner quelques exemples d'imprimés d'apparence obscure ou particulièrement avares de renseignements : Les chroniques chinoises, au titre original vaguement translittéré en thaï, sans auteur et sans la moindre mention d'édition, parfois même sans couverture et page de titre.

    Les traductions d'auteurs occidentaux, effectuées par Rama VI sous divers pseudonymes, s'avèrent encore plus délicates à traiter. Le titre original en est absent, le nom de l'auteur n'apparaît qu'en translittération, et les noms des personnages et des lieux de 1 ' action sont thaïsés, ce qui complique singulièrement la recherche de l'original. Quand, en plus, la traduction - en fait une transposition - est effectuée à partir de l'anglais, alors qu'il s'agit d'une pièce de Courteline, on atteint des sommets difficiles à égaler.

    Certains ouvrages posèrent problème pour de toutes autres raisons. Après avoir traité la quasi totalité des imprimés du fonds, il nous en resta quelques-uns, dans un état tel, qu'il nous sembla impossible de les intégrer au catalogue, faute de pouvoir en tirer un quelconque renseignement. L'un d'eux se voyait privé de couverture, de page de titre, d'une vingtaine de pages au début (dont la préface) et d'une dizaine à la fin. S'agissant, de surcroît, d'une vieille chronique, il parut difficile d'en tirer quelque chose. Finalement, en collectant de- ci de-là les feuillets dispersés au fil des cartons, nous parvînmes à le reconstituer.

    Le cas d'un ouvrage religieux trouvé dans un état similaire est encore plus frappant. Il nous a été possible d'en retrouver les premières pages et la préface, à l'exception, toutefois, de la page de titre. Comment, dans ces conditions, en connaître le titre et l'auteur ? En reprenant l'ouvrage et en le parcourant de façon systématique, nous avons fini par tomber sur une page blanche (l'avant-dernière du livre) sur laquelle le titre et l'auteur affleuraient en filigrane, sans doute à la suite de l'impression.

    La bibliothèque Wachirayan

    Après avoir passé en revue les aspects techniques du fonds Coedès, plutôt que d'en détailler le contenu littéraire, ce qui a déjà été fait dans les préfaces au catalogue, nous avons pensé consacrer cette deuxième partie de notre article à la Bibliothèque Wachirayan, première Bibliothèque nationale de Siam, dont le rôle capital dans la promotion littéraire siamoise de ce début de siècle est indéniable. C'est, en effet, sous les règnes successifs des rois Rama IV (1851-1868) et Rama V (1868-1910) que s'est produite l'éclosion véritable de la littérature moderne au Siam, avec, comme élément marquant, la fondation en 1881, de la Bibliothèque Wachirayan, dans l'enceinte du palais Royal de Bangkok.

    Créée par les enfants de Rama IV, cette bibliothèque, monument à la gloire du roi défunt, ne tarde pas, avec le tournant du siècle, à jouer un rôle de tout premier plan dans le monde des lettres, rôle confirmé au sein même du fonds Coedès, par la présence de quelque trois cents ouvrages édités par ses soins.

    Au départ, la Bibliothèque Wachirayan surprend par son mode de fonctionnement, d'une démocratie exemplaire. Ayant été financée avec les seuls moyens des enfants du roi, elle échappe au domaine public, alors que les princes donateurs, devenus membres de droit du conseil d'administration, ont pour tâche d'élire chaque année, trois d'entre eux aux postes d'Administrateur, de Vice-administrateur et de Secrétaire général. C'est à cette occasion qu ' apparaît pour la première fois le nom d'un jeune frère du roi Rama V, le prince Damrong Rajanubhab (1862-1943), dont l'action inlassable à l'intérieur puis à la tête de la Bibliothèque Wachirayan devait contribuer en grande partie à la réussite de cette institution. Rappelons, en outre, que le prince Damrong est l'auteur d'une soixantaine de volumes du fonds et qu'il en apréfacé plus de deux cents autres. Agé de 19 ans l'année de sa création, il entre dans le premier conseil d'administration, tout en poursuivant sa carrière d'officier, entamée quatre ans plus tôt, dans le corps des pages royaux.

    Dès le départ, la nouvelle bibliothèque s'attacha à la sauvegarde du patrimoine culturel national, en collectant de par le pays, un grand nombre de manuscrits anciens, vestiges souvent uniques de textes tombés dans l'oubli après le passage destructeur des Birmans au Siam en 1767. Cette volonté de conservation et par la suite de propagation de la culture thaï par le biais de l'édition valut bien des sympathies à la bibliothèque et bon nombre de manuscrits furent ainsi obtenus par don plutôt que par acquisition. Les échanges connurent, quant à eux, un début non moins florissant. Parmi les nombreux correspondants étrangers de cette époque, on peut citer, en France, la Société asiatique, le Musée Guimet et l'Ecole des Langues Orientales, ainsi que le don par le gouvernement français des «Chroniques Annamites» que l'on retrouve dans le fonds.

    Les vingt-quatre premières années de la Bibliothèque Wachirayan, jusqu'à sa restructuration en 1905, virent la réunion du plus grand nombre de manuscrits thaï à cette date et un effort considérable en matière d'édition. Ces succès ne doivent, cependant, pas masquer les difficultés qui ne tardent pas à apparaître. Malgré deux déménagements en 1887 et 1891, le manque de place se fait cruellement sentir. De plus, le mode de financement, adapté au départ, ne suffit plus pour faire face aux dépenses de fonctionnement sans cesse croissantes, et les enfants de Rama IV, seuls responsables de cette institution, n'ont que peu de temps à lui consacrer, alors que leurs fonctions dans l'administration les requièrent à plein temps. Citons à cet égard, le prince Damrong Rajanubhab, nommé général de brigade en 1888, chef d'un département au ministère de l'éducation en 1890 et ministre des pages royaux en 1892, tout en étant élu, en 1889, administrateur de la Bibliothèque Wachirayan - le neuvième à ce poste -, avant d'occuper diverses fonctions de 1895 à 1905, tour à tour conservateur et éditeur. A cela s'ajoute le changement annuel d'administrateur qui finit par s'avérer néfaste pour le bon fonctionnement de cette institution en plein essor.

    En 1904, à l'occasion du centième anniversaire de Rama IV, les membres du conseil d'administration décident, en accord avec le roi Rama V, de transformer la Bibliothèque Wachirayan en Bibliothèque «de la capitale royale». A cette fin, le roi lui adjoint deux autres bibliothèques, la Bibliothèque de la Congrégation Bouddhique créée peu de temps auparavant, en 1900, et la Bibliothèque Monthien Tham, fondée en 1783, par le premier roi de la dynastie de Bangkok, Rama 1er, afin de conserver les manuscrits anciens sur feuilles de latanier du Tipitaka ou Canon Bouddhique.

    En 1905, cette première Bibliothèque nationale siamoise voit le jour, avec pour administrateur le prince Wachirawut, futur roi Rama VI, assisté dans sa tâche par un conseil d'administration de quatre membres, au nombre desquels figure à nouveau le prince Damrong. Désormais, la Bibliothèque (Wachirayan) nationale est financée sur les fonds publics et placée sous tutelle du ministère des Affaires Religieuses. L'année 1910 voit un nouveau changement, avec le décès de Rama V, après quarante-deux ans de règne, ponctués notamment par l'abolition définitive de l'esclavage. Le prince Wachirawut monte sur le trône et abandonne son poste d'administrateur à l'un de ses oncles - auteur de plusieurs ouvrages du fonds -, le prince Sommot Amarabandhu, par deux fois déjà administrateur de la Bibliothèque Wachirayan (1887 et 1902) et directeur de la Bibliothèque de la Congrégation Boudddhique. A son tour, celui-ci décède en 1915 et une ère nouvelle s'ouvre pour la Bibliothèque nationale, avec la nomination à sa tête du prince Damrong.

    En 1916, le roi Wachirawut crée l'Institut royal, organisme destiné à chapeauter la Bibliothèque nationale et le département des Beaux-Arts, ce qui signifie que le Musée national tombe également sous sa coupe. La Bibliothèque nationale déménage une troisième fois, pour rejoindre l'Institut royal, dans un complexe situé face au Wat Mahadhatu. C'est à partir de cette époque que l'effort éditorial de la Bibliothèque nationale débute réellement, sous l'impulsion de son nouvel administrateur et grâce à une structure plus stable et des fonds publics importants. Le fonds Coedès qui ne compte qu'une cinquantaine d'ouvrages imprimés avant 1910, contre 740 parus entre 1910 et 1930 en donne un bel exemple. Rappelons que c'est à partir de ces années là que le Professeur Coedès fait son apparition sur la scène littéraire siamoise, exerçant de 1918 à 1926, les fonctions de conservateur à la Bibliothèque nationale de Bangkok.

    La Bibliothèque nationale ayant pris une telle ampleur au cours de la décennie écoulée, le roi décide de lui conférer une nouvelle structure et de la scinder en deux organismes de moindre importance:

    • Une première bibliothèque, la Bibliothèque Wachirawut, réservée au grand public, demeure dans les locaux situés face au Wat Mahadhatu. On y trouve les imprimés thaï et étrangers et les périodiques.
    • La deuxième bibliothèque, réservée à la conservation des manuscrits, à l'épigraphie, en un mot à la recherche, reprend son vieux nom de Bibliothèque Wachirayan et déménage une nouvelle fois, pour s'établir à la place du Musée national.

    Le cadre historique du fonds Coedès étant ainsi déterminé, nous ne pouvons nous empêcher de faire un petit clin d'oeil au lecteur, en le renvoyant à ce bel exemple de lucidité et de clairvoyance, dont ont fait preuve les autorités siamoises pour scinder un organisme aussi important que la Bibliothèque nationale de Bangkok. Il semble inutile de préciser que toute ressemblance avec une institution française existante ou ayant existé est tout, sauf fortuite.

    1. langue religieuse du bouddhisme méridional retour au texte