Index des revues

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    Suzanne Briet (1894-1989)

    Par Renée LEMAITRE
    Par Paul ROUX-FOUILLET.
    Parmi les premières femmes bibliothécaires en France, Suzanne Briet, décédée le 13 février 1989, est l'une de celles qui ont le plus orienté la profession vers le service des lecteurs. Peu de collègues peuvent se souvenir d'elle puisque née en 1894, elle prit une retraite anticipée en 1955. Pourtant elle a crée la salle des catalogues de la Bibliothèque nationale, a largement contribué à introduire dans les bibliothèques françaises le souci de la documentation et était de 1934 à 1954 un de leurs représentants les plus en vue dans les réunions internationales.

    Très secrète pendant sa longue vie sociale, elle a heureusement publié en 1979 ses reflexions et souvenirs classés dans cet ordre alphabétique qu'elle affectionnait sous le titre «Entre Aisne et Meuse...et au delà» rappelant ses origines ardennaises.

    Elle avait préparé Sèvres et obtenu une Licence d'histoire et d'anglais puis le Certificat d'aptitude aux fonctions de professeur de lettres. Mais après trois ans d'enseignement à Bône (1917-1920), elle se tourna vers les bibliothèques et fut reçue première au Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire universitaire en 1924.

    C'est pourtant à la Bibliothèque nationale qu'elle entra le 1er septembre 1924. Elle s'orienta rapidement vers l'information bibliographique par tempérament et sous l'influence de L. Barrau Dimigo dont elle suivait les cours à l'Ecole pratique des hautes études. Elle y retrouvait Louise-Noëlle Malclès qui partageait sa volonté de mieux informer les lecteurs avec une approche un peu différente et dont elle pouvait dire : «On trouve sur la rive gauche Mademoiselle Malclès pour l'enseignement et sur la rive droite Madame Briet pour les renseignements.»

    En effet Julien Cain l'avait chargée en 1930 de créer la salle des catalogues et des bibliographies de la Bibliothèque nationale. Elle dirigera cette salle des catalogues de 1934 à 1954 et les plus anciens lecteurs n'ont pas oublié sa sobre élégance, sa distinction, son autorité et son bon accueil. Elle avait organisé le Service de renseignements et d'orientation bibliographique puis crée en 1934 le «Bulletin de documentation bibliographique». Etudiant avec Madame Puget les règles étrangères de catalogage, elle établissait peu à peu le fichier alphabétique qui devait devenir le «Dictionnaire des cas-auteurs» du code de catalogage établi par une commission de l'AFNOR présidée par Henri Lemaître.

    Mais son intérêt dépassait le cadre de la Bibliothèque nationale et son activité s'orientait vers la documentation. Elle participa en 1932, avec Jean Gérard, directeur de la Maison de la chimie, à la création de l'Union française des organismes de documentation; elle devait en devenir secrétaire générale en 1944 puis vice-présidente en 1948. Elle dirigea en 1935 la publication par l'U.F.O.D. de «La Documentation en France. Répertoire des centres français de documentation» puis en 1950-1951 celle par l'UNESCO et la Direction des bibliothèques du volume 3, «Centres et services de documentation « du «Répertoire des bibliothèques de France».

    De 1939 à 1948 elle veillait aussi à la publication patronnée par le C.N.R.S. des «Manuels de la recherche documentaire» dont faute de crédits deux seuls devaient paraître : la «géographie» et la «philosophie».

    Suzanne Briet avait crée en 1945 avec Henriot Marty et l'U.F.O.D. des cours de formation de documentalistes; le niveau supérieur avec ses deux années, devait devenir, au Conservatoire National des Arts et Métiers, l'Institut National des Techniques de la Documentation dont elle fut nommée directeur des études en janvier 1951. La même année paraissait pour l'Unesco son «Rapport international sur la formation des bibliothécaires et des documentalistes».

    Le 25 octobre 1950, Julien Cain lui avait remis la croix de la légion d'honneur dans sa chère salle des catalogues. Mais sa position aux frontières - alors très marquées - entre les bibliothèques et la documentation, n'était pas facile ; ses nombreuses responsabilités étaient malaisément compatibles avec sa présence assidue et si «exposée» à la salle des catalogues; des opérations qu'elle avait entreprises, des organismes qu'elle avait créés lui échappaient. Elle-même a très bien jugé sa vie professionnelle: «J'avais souvent une idée d'avance sur les autres. Mais cela ne m'avançait guère. On sait que les inventeurs ne sont pas les exploiteurs.»

    En 1954, ne se trouvant plus en accord avec la direction du département auquel elle appartenait, elle demanda sa mise à la retraite.

    Elle tourna la page, quitta Paris, pour Mont-de-Jeux, son pays d'origine entre Ardennes et Argonne, comme celui de son cousin André Dhotel et d'Arthur Rimbaud. Elle consacra son activité et ses travaux à cette région, à ses monuments («Les Châteaux des Ardennes» en 1963) et à ses personnalités, par exemple, «Le Maréchal de Schulemberg (15981671), Taine et surtout Rimbaud.

    Elle avait organisé en 1954 l'exposition consacrée par la bibliothèque nationale à Arthur Rimbaud pour le centenaire de sa naissance. Elle revivifia la Société des Amis de Rimbaud et fut rédacteur en chef des «Etudes Rimbaldiennes» dont elle fit «Rimbaud vivant»; elle y publia de nombreux articles. Elle devint «Madame Rimbaud» après avoir été «Madame documentation». Mais elle ne fut pas que l'une et l'autre : troisième femme entrée comme bibliothécaire à la Bibliothèque nationale et féministe convaincue, elle créa en 1950 le club Rotary Zonta de Paris qui devait regrouper un moment 8000 femmes au travail; elle fut même de 1950 à 1954 présidente de l'Union des femmes européennes. Elle avait une vision internationale des problèmes et vers 1950, elle rêvait déjà d'inter-régionalisation de l'Europe.

    S'adonnant avec passion à ses centres d'intérêt, elle publia six bibliographies, dix neuf monographies et quatre vingt deux articles. Suzanne Briet paraissait accaparée par sa vie publique. Cachant ses sentiments, sans doute meurtrie par son divorce après huit ans de mariage, sans enfant, elle accordait une place souvent déterminante à ses attachements familiaux, à sa mère, à sa soeur aînée dont elle fut le soutien fidèle. C'est pour celle-ci, devenue veuve, qu'elle revint en 1966 dans la région parisienne et se retire bientôt à la Résidence des cadres de Boulogne où, soutenue par sa foi chrétienne, elle vécut jusqu'à sa mort.

    Il serait équitable que son souvenir soit rappelé dans cette salle des catalogues de la Bibliothèque nationale qui reste sa réalisation la plus concrète.