Index des revues

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    Littérature grise et publications officielles

    Par Frédérique Molliné, conservateur, chef du Service des Publications officielles

    Dans la typologie des documents, une catégorie occupe une place à part, c'est la littérature grise.

    Ce terme vient de l'expression allemande «Graue Literatur» devenue en anglais «Grey littérature». Il est employé parallèlement aux termes de «Littérature à faible tirage» et de «Littérature non conventionnelle».

    Il ne faut pas la confondre avec la littérature souterraine qui fuit délibérément les dispositifs de contrôle des publications pour différentes raisons artistiques ou politiques (expl: la littérature de résistance pendant la guerre 39-45).

    Elle est à différencier aussi des documents d'archivé : un rapport présenté à un ministre est un document d'archive tant qu'il reste sur le bureau de celui-ci ou dans son Cabinet. Lorsqu'il est présenté à la presse ou qu'il est diffusé dans des services extérieurs, il devient de la littérature grise.

    La littérature grise est difficile à décrire et encore plus difficile à définir. L'AFNOR (In : Vocabulaire de la Documentation. - Paris, 1986) la présente comme «document dactylographié ou imprimé, souvent à caractère provisoire, reproduit et diffusé à un nombre d'exemplaires inférieur au millier, en dehors des circuits commerciaux de l'édition et de la diffusion».

    Cette définition demande à être examinée de plus près :

    • «document dactylographié (et/ou) reproduit» : la croissance exponentielle des moyens de saisie des données et de leur reproduction, par machine à traitement de texte, a transformé n'importe quel service en producteur potentiel de documents imprimés. Ces techniques y participent largement en permettant la reproduction rapide d'études et de notes préparant des rapports de synthèse.
    • «souvent à caractère provisoire» : de nombreuses notes techniques et statistiques peuvent ainsi être diffusées rapidement en attendant l'édition ou la mise à jour de publications figurant dans le circuit éditorial normal.
    • «reproduit ou diffusé à un nombre d'exemplaires inférieur au millier»: il faut nuancer ici aussi la définition car si un rapport technique très pointu peut en effet avoir un tirage très limité, une lettre d'information interne à un grand organisme public ou privé peut atteindre plusieurs milliers d'exemplaires.
    • «en dehors des circuits commerciaux de l'édition et de la diffusion» : voilà ce qui caractérise vraiment le mieux ce genre de publication et qui entraine le problème essentiel de l'identification du document. En effet, ces documents ne suivent pas la règle générale des dépôts obligatoires. Il faut donc aller les collecter à la source... pour autant qu'on ait eu connaissance de celle-ci.

    Parmi les exemples de littérature «grise» ou «non conventionnelle» on trouve :

    • les rapports (tant du secteur public que privé) contenant des informations scientifiques et techniques, économiques, sociales, etc.
    • les thèses
    • les communications à des conférences non publiées dans des comptes rendus édités et commercialisés
    • les règles et recommandations techniques
    • les traductions (autres que celles qui sont publiées normalement, comme certaines revues traduites in extenso)
    • les articles publiés dans certaines revues à diffusion non commerciale (revues de sociétés savantes, journaux à diffusion locale...)
    • certains documents officiels
    • la documentation technique publicitaire
    • les brevets
    • les normes

    On peut ajouter à cette liste bien des documents. Dans le seul domaine de 1 ' administration, la liste est longue. Ce sont : les rapports de recherche, mémoires, comptes rendus, notes techniques, réglementations, sans parler des circulaires, lettres et notes d'administrations centrales qui ont des applications immédiates dans la vie des services et ne sont jamais recensées ni publiées dans les bulletins officiels.

    A côté des ouvrages édités, diffusés, commercialisés et signalés aussi bien dans les catalogues de vente que dans les bibliographies générales ou spécialisées, il existe donc quantité de documents qu'on a bien du mal à situer et à caractériser. C'est une part importante de l'information qui reste ainsi inaccessible à la recherche et à la consultation puisqu'il n'y a ni signalisation, ni localisation, ni par conséquent communication de document primaire.

    Le Séminaire d'York

    Ce problème est commun à tant de pays et revêt tant d'importance qu'un séminaire a été organisé à York (Grande-Bretagne) les 13 et 14 décembre 1978 à l'initiative de la Direction générale «Information scientifique et technique et gestion de l'information» de la Commission des Communautés européennes en collaboration avec la British Library Lending Division. Les participants, venant des pays de la CEE, étaient tous producteurs, utilisateurs ou médiateurs de littérature grise. Devant l'ampleur des problèmes communs, ce séminaire a présenté un certain nombre de recommandations :

    • 1/préparation de directives sur la présentation des documents
    • 2/ identification des documents par un code porté sur le document permettant un repérage univoque de ces documents
    • 3/ désignation pour chaque pays d'une autorité responsable du recensement, du catalogage, du classement par matière et de la fourniture des documents
    • 4/ lancement d'un programme d'éducation des producteurs de littérature grise en vue de faire appliquer les directives des autorités de chaque pays
    • 5/ enfin création d'une base de données européenne permettant 1 ' interrogation en ligne sur Euronet et l'édition de bulletins imprimés distincts des bibliographies nationales.

    Ainsi est née à Luxembourg en février 1980 la base de données SIGLE (System for information on grey littérature in Europe = Système pour l'information sur la littérature grise en Europe) financée par la Commission des Communautés européennes et mobilisant :

    • la BLLD - British library lending division
    • le CEA - Commissariat à l'énergie atomique
    • le FIZ - Fachinformationszentrum Energie Physik Mathematik de Hanovre SIGLE commença à fonctionner en janvier 1981. Pendant deux années considérées comme expérimentales, le Comité de SIGLE rédigea un manuel de règles de catalogage, un thésaurus, définit les jeux de caractères autorisés et le format des bandes magnétiques conforme aux normes ISO 646 et ISO 2709.

    Au début, seuls furent pris en compte les rapports de recherche scientifiques et techniques. Trois catégories ont été exclues de la littérature grise recensée dans SIGLE :

    • les documents confidentiels
    • les brevets et les normes
    • les pré-publications

    Dès 1983 d'autres documents, en particulier les thèses, et d'autres disciplines, ont enrichi la base.

    La participation des pays a été assez inégale. La contribution française est estimée à moins de 20 % des rapports non confidentiels émis en France.

    En 1986, une association a été créée pour permettre au système de fonctionner. Association sans but lucratif, EAGLE (Association européenne pour l'exploitation de la littérature grise) réunit des organismes publics ou privés représentant leur pays. Le siège de l'association est à Luxembourg. SIGLE comporte 850 000 références bibliographiques avec un accroissement annuel d'environ 2500 références.

    L'Organisation française

    En France, c'est 1 'INIST (Institut de l'information scientifique et technique)-Science, technologie, médecine qui coordonne désormais l'alimentation de la base SIGLE.

    La France a choisi un système d'accès à la documentation primaire décentralisé et encourage le partage des tâches fondé sur les disciplines ou les types de documents. Plusieurs établissements participent au réseau national en cours de constitution, ce qui interdit à un organisme de détenir l'ensemble de la littérature grise française, à l'opposé des systèmes américain (NTIS) ou anglais (BLLD) qui ont choisi la centralisation. Théoriquement la Bibliothèque nationale devrait recevoir le dépôt de l'ensemble de cette littérature mais la loi comme les diverses circulaires consacrées au dépôt de la littérature grise (cf infra) ne sont pas respectées.

    Les Brevets sont collectés par l'Institut national de la propriété industrielle. L'INPI est officiellement chargé de l'examen et de la délivrance des brevets d'invention et des certificats de conformité. L'INPI gère plusieurs bases de données : JURINPI sur jurisprudence des marques et des brevets, FMARK et TMINT sur les marques françaises et internationales et pour les brevets : FPAT, EPAT, PHARM, CIB etc...

    Les normes sont traitées par l'Association française de normalisation. L'AFNOR, correspondante de l'ISO (International standard organization), a l'initiative et la diffusion des normes et projets de nonnes, règlements techniques, spécifications professionnelles etc. Elle gère la base bibliographique NORIANE qui signale aussi les normes étrangères depuis 1976.

    Les thèses sont, depuis 1976, obligatoirement déposées à la bibliothèque de l'université de soutenance. Près de 20000 thèses sont soutenues en France chaque année, toutes disciplines et tout types de doctorat confondus : doctorat d'état, d'université, de 3e cycle, doctorat «nouveau régime», diplôme de docteur-ingénieur. La page de titre de ces thèses a aussi été normalisée quant à son contenu.

    En 1986, la DBMIST a créé la banque de données TELETHESES accessible par télétel. Elle recense toutes les thèses soutenues en France dans toutes les disciplines depuis 1972 (1983 pour les disciplines de la santé).

    Téléthèses est alimenté par le Fichier central des thèses de Paris X- Nanterre, la Bibliothèque inter-universitaire section médecine de Clermont-Ferrand et le CNRS-CDST (Centre de documentation scientifique et technique). L'accès au document primaire peut se faire par la bibliothèque de l'établissement de soutenance. En outre, depuis 1986, certaines thèses sont autorisées à la reproduction par le jury et sont alors microfichées et diffusées systématiquement dans les bibliothèques universitaires.

    Les comptes rendus de congrès (non pas les communications) sont aussi collectés parle CDST à raison d'environ 1500 par an, repérés par exemple à partir du Meeting agenda du CEA accessible en ligne depuis 1982 ou de l'ISTP (Index to scientific and technical proceedings) édité par l'ISI, Institut for scientific information.

    Les traductions sont aussi collectées et recensées par le CDST dans le cadre de conventions internationales aboutissant à une base bibliographique, WTI (World transindex) et son produit papier.

    Les rapports de recherche font l'objet d'une collecte difficile car à la méconnaissance de la loi sur le dépôt légal s'ajoutent les problèmes de communicabilité des documents. Même si ces rapports résultent d'une recherche financée sur des fonds publics, ils sont donc très mal déposés et difficiles à collecter.

    Le CDST a donc établi des contacts avec plus de 250 organismes qui lui adressent chaque année entre 1 500 et 2000 rapports. L'INIST (CDST, CDSH) fait donc de gros efforts de collecte et de signalisation avec les bases de données nationales FRANCIS et PASCAL, et la participation à SIGLE. D'autres bases signalent aussi des documents spécialisés de littérature grise : URBAMET pour l'environnement, ENERGIRAP pour les énergies, DOGE pour les entreprises etc.

    La littérature grise et le Service des publications officielles

    Une part importante de la littérature grise fait partie des publications officielles. Ce sont les publications réalisés «par ordre ou aux frais» de l'Etat. Elles doivent donc être déposées au Service des publications officielles de la Bibliothèque nationale.

    Deux circulaires du Secrétariat général du gouvernement, rédigées à l'initiative de la CCDA, (Circulaire Foumier du 9 septembre 1985, circulaire Denoix de Saint-Marc du 27 novembre 1986) ont fermement invité les ministères à signaler et déposer ce qu'ils éditent ou ce qu'il financent «toutes les publications réalisées par l'Administration sont soumises au dépôt légal même quand elles ne figurent pas dans le circuit commercial de l'édition».

    Ces deux circulaires n'ont pas encore été suivies d'effets notables au niveau du volume du dépôt légal mais ont contribué à la sensibilisation de l'administration au problème de la littérature grise en générai et sa communication au public dans le cadre de la loi du 17 juillet 1978 sur 1 ' accès aux documents administratifs, loi mise en oeuvre par la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs).

    La DIST (Délégation à l'information scientifique et technique), l'ancienne DBMIST et la CCDA (Commission de coordination de la documentation administrative) se sont penchées avec des professionnels de l'information sur ces problèmes de synchronisation à l'échelon national.

    Plusieurs rapports eux-même littérature grise ont vu le jour et ont donné naissance à deux projets :

    • le projet «Recours» : le colloque Administration-Recherche (15-16 octobre 1976, Paris) avait conclu à la nécessité de rationaliser les sources d'information et d'améliorer les résultats de la recherche. «Recours» devait informer sur les contrats de recherche de l'administration. Le projet fut abandonné faute de moyen.
    • le projet «Inédits», Informations essentielles sur les documents et travaux inédits, est une reprise en octobre 1981 du projet «Recours», par le ministère de la Recherche et de la Technologie. Priorité était donnée au repérage des rapports publiés et non plus aux recherches en cours. Le but était d'organiser une collecte thématique en réseau pour aboutir à 1 ' accès au document primaire grâce à une localisation correspondant à chaque signalisation. Ce projet échoua mais diverses banques de données signalent néanmoins certains documents inédits.

    Le sujet continue malgré tout à préoccuper les professionnels de la documentation comme l'Administration.

    Un séminaire sur la gestion des publications officielles a été organisé par l'IFLA à Rabat en septembre 1987 (cf. la gestion des publications officielles. - Paris, la Documentation française, 1988). Le problème de la collecte de la littérature grise a donné lieu à une communication.

    Le sujet a été abordé sous l'angle des problèmes de traitement que pose cette «littérature non conventionnelle» lors d'une journée d'étude sur la normalisation tenue à l'ENSB le 17 novembre 1988. (Le compte rendu de cette journée par Madame Matteret a été édité dans ce bulletin).

    A la suite de cette journée d'étude, un groupe d'experts ad hoc «Littérature grise» a été constitué au sein de l'AFNOR à l'initiative de la DIST en mars 1989 et a commencé ses travaux. Plusieurs sujets ont été abordés :

    • la mise en forme d'un ISRN (International Standard Report Number) avec les problèmes de définition du mot rapport en liaison avec la notion de Technical Report - problèmes de la page de titre de ces documents «gris» et en particulier des rapports de recherche.
    • notion de communicabilité libre ou restreinte (à des degrés variés) de ces documents.

    Enfin, la CCDA a été amenée à envisager la rédaction d'un note sur la littérature grise administrative, son dépôt, sa signalisation et sa mise à la disposition du public. Ce texte est actuellement en cours de rédaction.

    Le Service des publications officielles participe le plus possible à ces travaux qui ne sont pas sans conséquences sur le travail du Secteur français et le contenu du Supplément II (Publications officielles) de la Bibliographie de la France. Une nouvelle mention ne devrait pas tarder à apparaître dans certaines notices bibliographiques en tête de la zone des notes : celle de «Littérature grise» suivie du degré de communicabilité du document. Cette note devrait être générée par le remplissage de deux positions dans la zone 008.