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L'ecole française d'Extrême-Orient ou l'orientalisme vivant en France

1989

    L'Ecole française d'Extrême-Orient ou l'orientalisme vivant en France

    Par Christiane Pasquel Rageau

    I nformer aujourd'hui sur la documentation relative à l'Asie dans les bibliothèques et institutions de recherche françaises n'est pas une tâche aisée : catalogues inachevés, domaines mal définis, bibliothèques non signalées dans les répertoires ou annuaires et de toute façon réservées à quelques uns, information confidentielle, etc. Les raisons sont multiples et contradictoires. Retenons dès maintenant deux idées essentielles.

    1. Le poids de l'histoire a laissé sa marque dans les grands fonds traditionnels de bibliothèque : richesse en documents, rares souvent, mais schémas de classement désuets qu'il faut d'ailleurs se garder de supprimer. Plutôt accepter de les ignorer... ou se mettre à les décrypter. Car c'est en se penchant sur les circonstances de l'histoire des collections qu'on pourra espérer atteindre "tous" les documents et surtout ceux qui sont dissimulés sous la poussière bienveillante qui les protège encore. Les contraintes du caractère encyclopédique des bibliothèques anciennes, générales aussi bien que spécialisées, supposaient l'intégration des textes dans un cadre général englobant toutes les branches du savoir humain. Cette règle a été appliquée de façon théorique, indépendamment des problèmes posés par la simple lecture de ceux des textes rédigés dans des langues ou des écritures d'accès difficile. Deux cas de figure apparaissent donc qui ont soustrait au lecteur actuel d'une part des livres qu'on ne pouvait pas lire - on n'avait pas de spécialiste, probablement - d'autre part des livres qu'on a orientés là où l'on n'a plus, aujourd'hui, l'idée de les chercher. Parfois les deux effets se cumulent. Pensons à la Bibliothèque Nationale ou à celle de l'INALCO qui ont songé heureusement pour certains secteurs à organiser des fonds par langues depuis longtemps déjà. Ces deux bibliothèques sont largement connues et ouvertes au public. Elles continueront à enrichir leur catalogue, outre par leurs nouveautés, en y adjoignant des "re-découvertes", d'anciens laissés pour compte (1) , annulant peu à peu les effets négatifs d'un système qui, paradoxalement, avait réussi à marginaliser tout une partie de la connaissance de l'homme universel...

    2. A partir de la fin du XIXe siècle, de grands changements se produisent : de nouveaux matériaux de recherche et de nouvelles approches méthodologiques renouvellent complètement à la fois la pratique de la documentation relative à l'Asie, les lieux de sa collecte, les méthodes de sa conservation. L'archéologie monumentale, l'estampage des inscriptions, l'enquête linguistique ou ethnologique, les premières études de géographie humaine etc., nécessitent d'une part la présence effective des chercheurs sur le terrain, c'est à dire en Asie même ; d'autre part les documents réunis sont variés et vont de l'objet à la photo, l'estampage, le manuscrit, etc. Quant à la fabrication et l'organisation rationnelle de cette documentation elle relèverait de l'activité du laboratoire plutôt que de celle d'une bibliothèque traditionnelle, avec des "ateliers" pour les photos, pour les estampages, etc. Quant à la collecte, il fallait innover.

    La collecte des documents dans une institution d'un nouveau style : l'Ecole françaises d'Extrême-Orient

    C'est l'Ecole française d'Extrême-Orient (EFEO), dès 1898, alors qu'elle n'avait encore que le statut de Mission archéologique permanente en Indochine, qui fut la première à fonctionner de cette façon.

    Les conditions dans lesquelles l'EFEO a été fondée sont décrites de manière détaillée dans un numéro spécial du Bulletin de l'Ecole (BEFEO) à l'occasion du vingtième anniversaire de sa naissance, par Louis Finot son premier Directeur (2) . Il sera largement fait appel à ce volume qui regroupe également un ensemble de rapports sur les travaux accomplis ou en cours de réalisation à cette époque. D'autres instituts furent créés en Asie, comme la "Maison Franco-Japonaise" à Tokyo ou le "Centre d'études sinologiques de l'Université de Paris à Pékin" qui, lui, fonctionna jusqu'en 1953 (3) . Mais aucun ne développa autant et sur l'ensemble de l'aire asiatique à la fois des recherches coordonnées et une documentation faisant appel à des techniques extrêmement modernes, qui furent imitées ailleurs. "Les dernières années du XIXe siècle, dit Louis Finot, indianiste de formation, en commençant son historique général, furent pour les études relatives à l'Asie orientale, le point de départ d'idées et de méthodes nouvelles. Auparavant, on se contentait ordinairement de puiser la connaissance de ces contrées dans les documents écrits : on en vint peu à peu à reconnaître que le plus sûr moyen de comprendre le passé d'un peuple, et en tout cas la première démarche pour y parvenir, est d'acquérir une connaissance approfondie de son présent qui seul peut rendre, par réflexion ou par écho, la couleur ou la voix de ce passé qu'il continue". Etudier l'homme, vivant dans sa société, c'est donc dans ce sens que les idées ont évolué, à la recherche d'une mise en oeuvre pratique. Poursuivons le récit de Louis Finot qui explique comment les nouvelles conceptions des indianistes français rencontrèrent les projets de Paul Doumer.

    "Après les déceptions causées par les excès de la mythologie comparée et les abus de l'exégèse védique, on se retournait d'instinct vers la tradition pour y trouver un guide moins ambitieux et plus sûr. Or l'étude de la réalité concrète demande autre chose que de hardies spéculations de l'esprit : elle réclame les observations patientes du linguiste et de l'ethnographe, l'analyse minutieuse des faits religieux et sociaux, l'examen atten. tif des monuments figurés ; elle néglige la Théorie comme instrument de recherche pour prendre en main h pioche de l'archéologue, le compas de l'anthropologiste, l'objectif du photographe et la brosse de l'estampeur. Toui cela n'est point l'affaire du voyageur qu passe. Les résultats ne s'obtiennent que par le travail continu et organisé te qu'une institution permanente peut, seule le fournir". Sur les circonstances qui oni entouré la création de l'institution permanente souhaitée, Louis Finoi continue : "C'est sous l'influence de ce courant d'idées que, vers 1898, les chef de l'indianisme français, Auguste Barth Michel Breal, Emile Senart conçurent le projet d'une création qui fut pour l'Inde ce qu'étaient pour la Grèce et l'Italie nos florissantes Ecoles d'Athènes et de Rome ou pour l'Egypte l'Institut d'archéologie du Caire..." La mission de l'EFEO devait donc être définie, de façon très précise, comme permettant de poursuivre des études d'érudition, en renouvelant leur méthodologie. Elle s'inscrit - et il n'est en aucune façon souhaitable de le minimiser - dans le contexte colonial de l'époque. Paul Doumer, gouverneur général, était en train d'organiser un système administratif pour les pays groupés sous la dénomination d'Indochine française, de manière à en faire un Etat pourvu des ressources et des organes nécessaires à sa vie. Dans cette perspective, un Service géologique était créé, de même qu'une Mission scientifique pour l'étude de la faune et de la flore, et un Observatoire des phénomènes atmosphériques. Aussi l'occasion était belle. Le projet initial des indianistes qui était de faire construire aux portes de Calcutta une "Ecole française de Chandernagor" et qui n'arrivait pas à intéresser les sphères où s'élaborent les propositions budgétaires, fut repris par Paul Doumer qui proposa l'Indochine. La mission de l'EFEO fut définie de deux ordres :

    • 1. travailler à l'exploration archéologique et philologique de la presqu'île indochinoise.
    • 2. contribuer à l'étude érudite des régions et des civilisations voisines : Inde, Chine, Malaisie, etc.

    Financée par l'administration coloniale, et chargée par celle-ci de certaines tâches comme l'établissement des listes et la conservation des monuments historiques, puis le classement des monuments et les décisions relatives à l'exportation des oeuvres d'art, la partie scientifique de l'institution pourtant lui échappait (4) . Paul Doumer lui-même, voulant assurer la pérennité à son oeuvre, offrit à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres d'en assumer l'organisation et le contrôle scientifique. Cette offre fut acceptée et l'Académie présenta le premier Directeur, Louis Finot donc, ainsi que les trois premiers membres parmi lesquels on compte Antoine Cabaton, en qualité de Secrétaire-bibliothécaire et Paul Pelliot, le sinologue qui deviendra si célèbre par ses découvertes de documents bouddhistes dans les grottes de Dun-huang en Asie centrale.

    Arrivée à Saïgon en 1899, la Mission se met aussitôt au travail malgré une certaine résistance des "bureaux" de la colonie. "C'est au Cambodge que le travail commença, dit Louis Finot ; le Directeur et M. Cabaton y firent un séjour de quatre mois pour y étudier la langue et la littérature, visiter un certain nombre de monuments et recueillir des manuscrits. Ce voyage eut pour résultat la formation d'un premier fonds de manuscrits khmers comprenant environ 100 ouvrages et 300 fascicules...". La grande tâche à accomplir était celle de l'organisation, qui comprenait en premier lieu "la création d'une bibliothèque, d'un musée et d'un service de conservation des monuments historiques". Bientôt était inaugurée la série des Publications de l'Ecole avec son premier volume paru en 1900, La Numismatique annamite, par D. Lacroix publié à Saïgon. Mais les volumes suivants de cette série furent imprimés à Paris. Par contre le (Bulletin) continua à se faire éditer à Hanoï, chaque trimestre. Les quatre numéros de la première année forment un volume de 434 p. accompagné de 75 illustrations et de trois cartes. Il contient dix articles de fond dont huit sont consacrés à ce que l'on entendait par philologie : religion et architecture des Chams, folklore vietnamien et art "tonkinois", archéologie du Laos, coutumes du Cambodge et ethnographie des peuples montagnards. Les deux autres études "l'une de sinologie pure, l'autre de pur indianisme, marquent la juste part des deux civilisations dont dépend celle de l'Indochine, la bien nommée...". Ces mots sont tirés d'un rapport d'activité du second Directeur, A. Foucher, un indianiste encore.

    Il fallait parler des missions et du contenu de l'oeuvre de l'EFEO pour comprendre le type de documentation qui a été recueillie. Il faut parler de la manière dont elle a été perçue, sur le plan culturel et aussi humain pour saisir le prestige dont elle jouit encore en particulier en Asie, malgré l'insuffisance de ses moyens d'action à une époque actuelle où des technologies modernes renouvellent les moyens de gestion, de circulation et d'exploitation des documents.

    Prenons un texte tout récent de Mme Solange Thierry. Elle dit ceci à propos du Cambodge :"A aucun moment de leur histoire les Khmers n'avaient cessé de connaître les monuments de la région située au Nord-ouest du Grand Lac, pas plus que ceux qui se trouvaient disséminés sur le territoire de leur pays. Mais ils en avaient perdu la certitude des origines, sinon le sens même. Pour eux il s'agissait de constructions réalisées par les tevoda, les divinités, ou par de grands rois remontant à des époques immémoriales, perdus dans la nuit des temps, et de souche mythique. Sans doute les Cambodgiens restaient familiers de ces personnages sculptés sur les frontons et les bas-reliefs, à condition toutefois de pouvoir les lire à travers l'entrelac de racines et de végétation foisonnante qui les envahissait depuis des siècles. Pour eux, les dieux, les rois d'un glorieux passé, continuaient de hanter ces lieux essentiellement dynastiques et religieux. La fête annuelle du Nouvel An les voyait revenir par longs cheminements sur les routes et les pistes jusqu'à Angkor Vat, où dans les galeries mêmes, ils dansaient et présentaient des offrandes selon des rituels ancestraux. Mais l'histoire réelle, telle que les Occidentaux la conçoivent et l'exigent, l'histoire ponctuée d'événements et de dates, de règnes et de conquêtes agencés d'après un ordre chronologique, cette histoire-là leur échappait pour deux raisons bien précises : d'une part les manuscrits n'avaient résisté ni au temps, ni aux guerres, ni au climat, d'autre part, les inscriptions sur pierre avaient été masquées par l'usure, les champignons, les lichens, les effritements, les écroulements. Autrement dit, la documentation écrite, dans ce pays qui avait adopté un système d'écriture avant même les VI-VIIe siècles était inaccessible. Aurait-elle été librement lisible, que des difficultés insurmontables auraient arrêté les Cambodgiens : les textes sur pierre étaient rédigés en sanskrit et également en vieux-khmer, état ancien de la langue fort éloigné du khmer moderne. C'est donc à la restitution de leur histoire, de leur civilisation dans son ensemble, que les savants et techniciens français ont associé les Cambodgiens. L'oeuvre sur les monuments alla de pair avec l'oeuvre sur les textes". Il faudrait reproduire l'ensemble de la contribution de Mme Thierry tant elle est explicite. Un autre témoignage met bien en évidence l'espèce de "séparation des pouvoirs", scientifique et politico-administratif. C'est celui que donne le texte d'une Conférence faite à Hong-kong le 5 décembre 1956 par Maurice Durand qui était alors Directeur du Centre de Hanoï de l'EFEO. Il y présente les activités de l'Ecole et son évolution depuis 1945, c'est-à-dire depuis l'ébranlement qui suit le coup de force japonais sur l'Indochine, la guerre d'Indochine, les accords de Genève et la partition en deux du Vietnam. Au cours de cette période, l'EFEO allait connaître une expérience sans précédent. En effet, en 1949, le patrimoine de l'Ecole, c'est-à-dire les musées, bibliothèques, bâtiments, deviennent propriété indivise des Etats associés (Vietnam, Cambodge, Laos et France). Cependant le statut scientifique ne change pas : l'Académie demeure maîtresse des décisions dans ce domaine. Cette situation sera confortée même après la partition du Vietnam puisque fut confirmé à Hanoï le maintien des activités et du patrimoine - M. Durand devenant le responsable du "Centre de Hanoï" - à la suite d'un échange de lettres entre le Premier Ministre Pham Van Dông et P. Mendès-France. Cependant, cette situation ne devait pas se prolonger au delà de 1958.

    Le bilan, pour cette première période de l'histoire de l'Ecole, entre ses publications, on le trouve établi sous la plume de Louis Malleret en 1956 (5) . Il dit en particulier : "Par la création de Musées et de Bibliothèques, le rassemblement d'un fonds photographique, la collecte de manuscrits ou de livres rares, l'Ecole a fortement contribué à l'équipement culturel des pays de l'Indochine. Ainsi, grâce à ses recherches vigilantes, ont pu être constitués des fonds de documentation particulièrement précieux si l'on songe à tout ce que le climat, les insectes ou l'indifférence des hommes auraient pu détruire ou laisser disparaître".

    Il est certain que c'est le souci d'éviter un partage de la documentation scientifique, "justement appréciée comme une valeur universelle" qui avait suscité en 1949 la formule du quadripartisme culturel. La leçon que tire Louis Malleret des cinq années pendant lesquelles il a présidé une institution fonctionnant sous un tel régime mérite d'être citée et saluée : "le régime quadriparti apparaissait à d'aucuns comme un reliquat du passé, à d'autres comme une formule de type international, adaptée au monde moderne par tout ce qu'elle plaçait en commun et rendait possible sur un plan universel. Aussi compliqué fût-il, le système qui a occupé cinq années la vie de l'Ecole a démontré sa pleine efficacité. Non pas en retard sur le mouvement de transformations politiques, mais au dessus de celles-ci et à ce titre considéré parfois comme intangible, il marquait une avance considérable sur le plan scientifique et n'a pas été compris. Antérieur aux accords de Pau, il a été cependant victime du discrédit qui pesait sur eux et a été rendu impraticable par la désintégration des systèmes d'union douanière, économique et monétaire qui lui fournissaient un support matériel. L'histoire de ces cinq années méritera d'être écrite avec objectivité, elle a marqué profondément la vie de l'institution et donné à ses protagonistes l'occasion d'une expérience inédite et passionnante par toutes les réalisations qu'elle a suscitées..." Ce quadripartisme avait eu pour avantage de permettre, statutairement, l'établissement de missions permanentes ou de longues durée à Jakarta d'abord, puis à Bangkok, Hong-Kong, Kyoto, etc. Enfin en Inde était créé en 1955 un Institut français à Pondichéry qui "devait relever scientifiquement de l'Ecole française d'Extrême-Orient" (6) . Une deuxième époque commençait pour l'E F E 0, "réseau asien", selon l'expression de M. F. Gros son actuel Directeur, dont les centres de recherches en Asie sont coordonnés par son siège à Paris où se trouve aussi sa bibliothèque principale.

    Mettre à jour nos richesses et les faire connaître

    En 1959, au cours d'un colloque organisé par la Fondation Singer-Polignac qui réunissait toutes les personnalités concernées en France par les "Recherches des instituts français de sciences humaines en Asie", on lançait un signal d'alarme. "Jadis, lit-on, l'EFEO par sa localisation et surtout parce que sa bibliothèque était approvisionnée par ses membres, tous spécialistes de langues et des problèmes en cause, recueillait à peu près tout ce qui paraissait en Extrême-Orient... Il n'en est plus de même. Il en résulte des lacunes qui commencent d'apparaître dans les collections métropolitaines et qui risquent de devenir rapidement irréparables". Ce constat, dû à Bernard Groslier, est plus que jamais d'actualité. C'est un problème chronique qui ne nous est pas spécifique mais largement partagé ailleurs, dans les autres pays d'Europe par exemple. On a insisté dans nos propos sur la modernité, la pertinence que représentait la formule de l'EFEO dans le contexte historique et scientifique qui l'a fait naître au début du siècle, puis évoluer et s'adapter perpétuellement jusqu'à aujourd'hui. Les Britanniques, les Allemands, les Américains surtout, organisent des réseaux de grande ampleur, généralement pour recueillir des livres, des périodiques et des publications officielles.

    Ces systèmes sont efficaces lorsqu'ils se développent à très grande échelle, et qu'ils se situent sur le terrain (7) . L'avenir, pour nous est lié à une participation active à ces réseaux, aussi bien pour l'acquisition des ouvrages que pour leur catalogage. Cet enjeu est vital, à notre humble avis...

    L'échange des documents est aussi une activité que nous devrons impérativement mettre à nos programmes ou développer : des bibliothèques entières sur microfilms - ou par liaison satellite, si on veut rêver - sont à échanger. La science ne doit pas avoir de frontières et la collecte ne pas aboutir à la thésaurisation stérile.

    Dans cet esprit, avec encore des moyens artisanaux, et à un niveau de démonstration autant que d'efficacité, la bibliothèque de l'EFEO diffuse la liste annuelle de toutes ses nouvelles acquisitions de façon régulière et gratuitement. Elle diffuse aussi les catalogues de ses fonds d'imprimés au fur et à mesure qu'ils sont réalisés (8) . Elle travaille très activement à la préparation des catalogues détaillés de ses documents les plus précieux. Actuellement : manuscrits khmers, xylographes tibétains, manuscrits palis (en diverses écritures), manuscrits et xylographes anciens du Vietnam (associé à un programme franco-vietnamien, fonctionnant dans le cadre des relations bilatérales entre la France et le Vietnam). La photothèque, surtout les photos anciennes, qui s'y trouvent, est en grave danger de détérioration. Elle est actuellement un souci sérieux, de même que les archives manuscrites ; nous travaillons à prévoir leur préservation dans des conditions adéquates. Parallèlement nous envisageons la mise à disposition de ces documents de travail, dont les qualités esthétiques sont évidentes, mais pas exclusives. Notre préoccupation, qui se situe à trois niveaux : sauvegarder, rendre disponible, enrichir, est largement partagée par nos collègues bibliothécaires d'instituts ou chercheurs relevant d'autres organismes et nous devons marcher la main dans la main. Si nous ne semblons pas le faire toujours, c'est en raison de conditions matérielles et humaines si précaires qu'elles interdisent un fonctionnement normal, et contribuent à marginaliser et dégrader un peu plus chaque jour un patrimoine français probablement l'un des plus riches d'Europe. Et ce ne serait pas par des mesures spectaculaires d'informatisation mal comprise ou sans coordination qu'une issue est à imaginer. La communauté scientifique est tout naturellement acquise à cette idée.

    Conclusion

    S'il a été largement question de l'EFEO dans ces pages à propos de l'orientalisme vivant, c'est essentiellement pour deux raisons :

    • 1. couvrant l'ensemble des cultures et des mondes asiatiques - sans prétention à l'exhaustivité ni même au caractère unique d'une telle entreprise - l'EFEO constitue un lieu de rencontre privilégié et ouvert en particulier aux institutions plus spécialisées sur un domaine géographique particulier. Lieu de rencontre, en effet, l'EFEO l'est peut-être plus que d'autres par l'ancienneté de sa tradition et le fait que les maîtres français actuels qui travaillent dans le domaine des sciences humaines en Asie sont tous passés par son moule. Ils ont eux-mêmes accumulé la documentation qui s'y trouve et continuent à la faire par le truchement des nouvelles générations de chercheurs.
    • 2. une volonté de rénovation et d'adaptation permanente aux conditions de la recherche sur l'Asie, celle-ci étant conçue comme une contribution à l'étude de l'homme universel. Précédent le plus souvent le mouvement de l'histoire et de l'évolution du monde contemporain - on a pu le noter à l'occasion dans le trop bref historique donné ici - elle poursuit aujourd'hui la même oeuvre. Bénéficiant d'un statut administratif rénové en 1988, le rôle de la bibliothèque devrait s'accroître et permettre de mieux informer, de permettre une utilisation plus complète des ressources qui s'y accumulent, aussi bien sous forme de documents primaires que de littérature, grise ou non, de contenu de rapports, etc. Demandant depuis 1906 la création d'un centre à Paris - mais Finot le dit et le justifie dans son Historique général de 1920 - l'EFEO entend faire de celui qu'elle possède, aussi, un centre de documentation.

    Au moment de conclure, qu'il soit permis d'évoquer aussi les efforts des instituts ou formations d'orientalisme dont on parle trop peu. Les collections de livres, de périodiques ou de documents divers sont souvent extrêmement intéressantes bien que les moyens de leur mise en valeur manquent désespérément. Rien qu'en consultant l'Annuaire du CNRS 1988, on remarque qu'une trentaine d'équipes, unités ou "groupements d'intérêt public" sont concernées par l'Asie. Or sur cet ensemble, ce sont dix-huit de ces formations qui jugent utile d'annoncer la possession d'une bibliothèque, approchant jusqu'à près de 30.000 unités. Quant aux Instituts à proprement parler, on en distinguera deux séries, de rattachement administratif différent. Tout d'abord l'Institut des Hautes Etudes chinoises fonctionnant dans le cadre de l'Université de Paris depuis 1926 (9) désormais rattaché au Collège de France : l'Institut de Civilisation indienne, fondé en 1929 et fonctionnant aussi parmi les "Instituts d'Asie" du Collège de France ; tout comme l'Institut des Hautes Etudes Japonaises, l'Institut d'Etudes coréennes, l'Institut d'Etudes Tibétaines ou le Centre de recherches sur l'Asie Centrale. Cet ensemble devrait voir prochainement son sort amélioré lorsque les bâtiments prévus dans l'enceinte de l'ancienne Ecole Polytechnique seront prêts à les héberger avec leurs volumineuses bibliothèques. Un autre ensemble, de statut assez complexe, fonctionne plutôt dans le cadre de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales : Centre d'Etudes Indiennes et de l'Asie du Sud (qui indique lui-même son rattachement à l'EHESS mais aussi au CNRS et à l'EPHE, Ve section) ; centre de documentation et de recherche sur la Chine contemporaine ; Centre d'études du Japon contemporain ; Archipel, qui sont pourvus chacun de bibliothèques spécialisées de grande taille aussi ; sans compter la bibliothèque de l'ex-CEDRASEMI (créé et fonctionnant à l'origine sur le modèle des centres de l'EHESS) qui a été rattaché définitivement à la Bibliothèque de l'Université de Nice (10) Nous connaissons mal toutes ces ressources dans le détail. L'idée d'une enquête serait peutêtre un jour à lancer pour, au moins, constituer un Répertoire des bibliothèques relatives à l'Asie en France.

    1. On peut considérer que le Fonds indochinois du Département des Imprimés de la BN est une de ces redécouvertes que l'Administration actuelle a eu l'heureuse idée de valoriser à la mesure de son intérêt. retour au texte

    2. B EFEO. Tome 21 - Hanoi, 1922. 271 p. retour au texte

    3. La bibliothèque, les fichiers et la documentation furent expédiés à Paris avec l'agrément du gouvernement chinois et déposés à l'Institut des Hautes Etudes chinoises (soit 30.000 volumes chinois) retour au texte

    4. On rejoint là un débat d'une vaste ampleur, et qui n'est pas ouvert, sur l'évaluation de la colonisation française. Une bibliographie qui s'enrichit chaque jour devra être mise à contribution dans l'avenir lorsque le recensement des problèmes impliqués sera en voie d'être établi. L'ouvrage de P.R. Féray, (Le Vietnam au XXe siècle), PUF, 1979, est lèpre - mier à aborder une telle discussion, mais exclusivement sous l'angle de la civilisation vietnamienne. L'ouverture du Vietnam au monde moderne dès les années 1850 et sonaptitude théorique à entrer par lui-même dans le XXe siècle a été, dans les années récentes, un débat d'historiens spécialistes de l'Extrême-Orient sinisé. Des publications actuelles et des travaux en cours metttent mieux en avant la réalité pluriculturelle non seulement des trois pays, parmi les cinq, de l'ancienne Indochine qui constituent aujourd'hui le Vietnam, mais aussi le fait que la tutelle coloniale s'est exercée à partir d'un système administratif univoque gérant en outre ces trois pays, aussi le Cambodge et le Laos. Rappelons aussi que les travaux des chercheurs de l'EFEO à propos de la société vietnamienne traditionnelle ne se développent pas "seulement à partir de 121932-33". Les travaux de recensement des monuments ou des textex donnèrent lieu à publications dès 1904 pour (la Première étude sur les sources annamites de l'histoire d'Annam) par L. Cadière et P. Pelliot, dès 1909 pour les Monuments de chams de l'Annam) dans le tomme II de l'Inventaire archéologique et d'Indochine (le tome 1 étant consacré au Cambodge). L'approche, européeenne certes, et universaliste, qui caractérisait lles préoccupations des fondateurs de l'EFEO, y compris Paul Doumer, envisageait résolument les problématiques dans un cadre de comparatisme en particulier des mondes asiatiques. retour au texte

    5. Aperçu d'un demi-siècle de travaux scientifiques à l'Ecole française d'Extrême-Orient. France-Asie, irl25-I26-I27, p. 1-42. retour au texte

    6. (Travaux et perspectives de l'Ecole françaises d'Extrême-Orient en son 75e anniversaire). Paris, 1976. retour au texte

    7. Les programmes de la Library of Congres s sont exemplaires (P.L.480 ou NPAC). En Angleterre on pratique les achats groupés sous l'égide de centres collectifs (SEALG par exemple). L'EFEO d'ailleurs, dans le pays où elle gère des centres participe, à travers ses chercheurs permanents, à l'enrichissement des collectes, américaines ou autres. retour au texte

    8. Sont disponibles : Fonds insulinde, fonds khmers, fonds vietnamien, fonds thai et périodiques de l'insulinde. retour au texte

    9. Voir l'article de Paul Démielville, News of the profession organisation of East Asian studies in France, publié dans The Journal of Asian Studies, vol. XVIII, n°l, nov. 1958. retour au texte

    10. Ajoutons les collections de bibliothèques spécialisées comme celle du Musée Guimet ou générales, comme celle du Musée de l'Homme, ou encore celles de grandes universités de province. retour au texte