Index des revues

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    Classer en centre d'intérêt

    Oui, mais...

    Par Béatrice Basset
    Par Françoise Laurent
    Par Bernard Coste, bibliothèque de Valence-Sud

    F ICHE SIGNALETIQUE DE LA BIBLIOTHEQUE :

    La bibliothèque concernée est une des cinq annexes de la ville. Elle dessert un quartier de 8000 habitants. Ses collections de livres mises à disposition du public se composent de 7000 ouvrages pour les adultes et de 8000 pour les jeunes.

    Deux bibliothécaires adjoints et un employé de bibliothèque font fonctionner le service. En 1988, 1833 lecteurs inscrits, soit 1124 jeunes et 709 adultes, ont emprunté 32049 ouvrages soit un taux de rotation de 2,1 et 17,4 livres par lecteurs. Le quartier couvre à la fois une zone d'habitation HLM et une zone résidentielle très aisée, le public est donc très hétérogène. Très peu de recherche ou de travail surplace sont effectués. L'annexe a développé un travail assidu avec les scolaires. A l'inverse, les collections d'ouvrages pour adultes ont été constituées sans référence à un public défini.

    PASSER EN CENTRE D'INTERET:

    La décision fut prise au début de l'année 1988, à la suite des différents articles parus dans les journaux professionnels, de l'expérience des difficultés des lecteurs, d'une sensibiblisation aux travaux de l'AFL, d'une sensibilisation à l'impact possible des signalétiques comme support d'une meilleure compréhension à l'information.

    L'équipe ne croit ni à la pertinence du classement offert par la classification Dewey, ni aux possibilités de formation des usagers par rapport à ce système de communication. Elle souhaite mener en effet, une action continue en direction des non lecteurs pour lesquels toute classification est un obstacle insurmontable, et estime que le public habituel s'y retrouvera davantage.

    L'expérience veut être totale. Elle doit porter sur le concept des centres d'intérêt, mais aussi sur la présentation matérielle des ouvrages. Par extension, une réorganisation de l'espace bibliothèque est nécessaire, de même qu'une évaluation continue des résultats. Hélas, les contraintes d'espace sont très strictes, comme le budget alloué à cette expérience : par exemple pour passer en centre d'intérêt l'ancienne classe 900, nous avons été obligés d'utiliser 72 mètres linéaires pour la présentation à plat des ouvrages, contre 30 mètres linéaires auparavant. La conception de 10 logos et de 3 maquettes de cubes, nous a couté 1250 Frs TTC, le petit matériel, essentiellement les étiquettes 500 Frs.

    LES DEBUTS DE L'EXPERIENCE :

    Dans un premier temps, l'équipe s'est réunie pour déterminer les 21 centres d'intérêts. Souhaitant se défaire au plus vite des habitudes de la classification Dewey, les centres ont été déterminés à partir du fonds existant, et non pas de l'ensemble des connaissances. Nous avons peu d'ouvrages sur la philosophie, la psychologie, les religions : donc nous avons transformé ces trois disciplines en un seul centre d'intérêt «vie de l'esprit»; par contre nous avons beaucoup de livres sur les animaux, ce qui a nécessité la création d'un centre «animaux» regroupant bien évidemment la zoologie, l'élevage, la médecine vétérinaire et le comportement animal etc...

    Dans un second temps, nous avons demandé à un élève en dernière année de diplôme National d'Arts et Techniques de mener à bien le projet de conception, de réalisation technique et de mise en place des logos. Ce projet s'incorporait dans un cursus universitaire. Il nous a proposé 10 logos, et a conçu une maquette nous permettant de photocopier sur des étiquettes auto-collantes trois de ces logos, seule signalisation apparaissant désormais sur les livres.

    De juillet 1988àjanvier 1989, nous avons travaillé sur le centre d'intérêt «Pays». Ce centre regroupe, continent par continent, l'histoire ancienne, l'histoire, la géographie, le tourisme, les beaux livres et quelques biographies. Les livres ont été regroupés (livres adultes et jeunes) et présentés pour la majorité d'entre eux, à plat. Nous avons constaté qu'en six mois, les prêts ont été multipliés par deux.

    Nous pouvons faire des réserves : en effet, c'était les seuls livres présentés de cette façon, et nous étions en été, période propice pour la sortie de ce type de documents.

    Dans cette première phase, ce qui nous paraît interessant était de :

    • pouvoir tester les capacités d'adaptation de l'équipe à l'affectation des livres non pas en Dewey, mais en centre d'intérêt - pouvoir résister à la tentation du rangement traditionnel sur les rayons.
    • évaluer facilement la progression des prêts.

    Cette première expérience a permis aussi de juger des réactions des lecteurs et de faire le tour des difficultés rencontrées.

    LES DIFFICULTES RENCONTREES :

    Elles sont de deux ordres, matérielles et intellectuelles.

    Difficultés matérielles :

    Nous avons été contraints de doubler les mètres linéaires de rayonnage, d'où des frais de mobilier considérables. Nous avons changé les couvertures et les étiquettes de tous les ouvrages. Pour l'équipe, la mise à plat des ouvrages est aussi importante que le classement. En effet, cette présentation matérielle doit renforcer l'impact du nouveau classement, en donnant une impression visuelle radicalement différente de l'espace bibliothèque. Celui-ci n'est pas un lieu d'ordre mais un étalage qui, par sa variété, son côté pêle-mêle, doit encourager la curiosité du lecteur et désacraliser l'ordre des connaissances. Encore une fois, il s'agit d'un parti-pris de départ, voulant casser 1 ' image traditionnelle de la bibliothèque.

    Les locaux ne sont pas extensibles. Nous sommes devant un problème.

    Actuellement : doit-on limiter les centres d'intérêt à de petites collections de livres? Sinon, quel desherbage entreprendre ? Sur quels critères ? Dans quel but ?

    Difficultés intellectuelles :

    Outre les difficultés rencontrées lors de l'élaboration du projet, nous sommes confrontés aux problèmes de la recherche précise d'un livre. Le lecteur qui recherche un titre précis doit manipuler d'autres livres avant de retrouver le sien. Est-ce utile ? Est-ce préjudiciable ?

    Par contre pour le lecteur qui butine, il découvre des livres qu'il ne cherchait même pas. Le bibliothécaire a un rôle nouveau à jouer, qui ressemble plus à celui du libraire. Le bibliothécaire gère un stock et essaie d'avoir un nombre de prêts important. Mais le taux de rotation est-il le seul critère de réussite de l'expérience ?

    De nouveaux critères d'appréciation du document se mettent en place. Ils ont évolué durant les mois de l'expérience. Au départ, il y a eu recherche de consensus dans l'équipe pour le choix du centre d'intérêt, partant du principe que celui-ci devait pour un ouvrage donné, être le même pour tous. Nous avons découvert qu'il n'en était rien ; vouloir le consensus était encore un comportement normatif et nous essayons de le dépasser. Il est par contre difficile, faute d'enquête extérieure, de connaître réellement les réactions des lecteurs.

    CONCLUSION

    Nous avons mené cette expérience dans un réseau qui comprend outre cinq annexes, une médiathèque. Déjà presque toutes les annexes de Valence, ont mélangé leurs fonds de documentaires enfants et adultes. La question de base posée par l'équipe de l'annexe concernée est la suivante : si notre expérience réussit, sera t-elle étendue aux autres annexes ? On quitte alors le problème des centres d'intérêt, pour une question plus générale :

    Quelle est, dans une équipe, le rôle d'une expérience ?

    • motivation pour approfondir une réflexion professionnelle - recherche d'autres contacts avec le public - stimulation pour vendre son expérience aux collègues
    • impact de la nouveauté
    • goût de la recherche - apprentissage de nouvelles techniques (ici celle de l'étalagiste)
    • recherche de contacts avec d'autres partenaires - aide à l'évaluation quotidienne du travail Décider de classer en centre d'intérêt entame une démarche globale de réorganisation du travail, qui porte aussi sur :
      • une nouvelle politique d'acquisitions
      • un nouveau contact avec le public - le nouveau rôle d'interlocuteur du bibliothécaire - l'obligation de désherbage et la mise en route d'une réserve active - les conséquences budgétaires à apprécier. On peut constater que la mise en route de cette expérience dans une annexe, il y a maintenant un an, a précipité pour l'ensemble du réseau, la reflexion sur les acquisitions, sur le désherbage, sur la place à donner au lecteur.

    En ce sens, cette expérience est très positive. Cependant, classer en centre d'intérêt n'est-il pas à rapprocher de la démarche du libraire, où il s'agit d'une architecture d'ensemble du stock, réparti en trois catégories : l'appel, le choix, le fonds ?

    Ce rôle nouveau du bibliothécaire fait peur à beaucoup d'entre nous, mais déjà à Valence, les personnes hostiles au projet évoluent et deviennent perplexes sinon favorables. Un déménagement en commun de tous les rayonnages, a permis à quinze personnes étrangères au service, de jouer avec les centres d'intérêt et le non rangement des livres.

    Les centres d'intérêt s'imposeront-ils à tous ? C'est le souhait de l'équipe de Valence-Sud.