Index des revues

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    Janine Roncato (1922-1990)


    Madame Roncato, ancienne Secrétaire générale de la Bibliothèque Nationale, est décédée au printemps dernier. Serge Salomon, ancien chef de projet au service "Informatique et organisation " témoigne ici de son action et de son rôle dans l'informatisation de la Bibliothèque Nationale.

    Pour comprendre l'action de Madame Roncato et prendre la mesure de son rôle dans la mutation qu'a connue la BN ces dix dernières années, il faut se replacer dans le contexte de 1980, date à laquelle elle avait été chargée par Monsieur Le Rider, Administrateur Général, de mener à bien l'informatisation de l'établissement.

    La situation n'était guère brillante du fait des échecs répétés des différents projets d'automatisation, au cours des années 70. Même si la responsabilité de ces échecs n'incombait pas totalement à la Bibliothèque Nationale puisque divers organismes ou structures extérieurs avaient reçu successivement pour mission de prendre en charge ces projets d'automatisation, c'était bien la crédibilité de l'établissement et la motivation de son personnel qui avaient été sérieusement entamées par tant de retards. Dans ce contexte, Madame Roncato ne pouvait pas se prévaloir d'une expérience et d'une compétence particulières dans le domaine, qui auraient pu la conforter dans sa mission. Mais malgré cela, et malgré la tâche dont elle mesurait l'immensité et les enjeux, elle s'attela rapidement à sa mission. Quelques grands principes directeurs, qu'elle n'a eu de cesse de mettre en oeuvre, peuvent apparaître aujourd'hui évidents. Ils ne l'étaient absolument pas à l'époque car ils remettaient en cause une culture et une tradition ancrées à l'intérieur de la Bibliothèque Nationale et des préjugés complaisamment entretenus à l'extérieur.

    Ayant reçu d'elle en Juillet 1981 la mission de mener à bien le Schéma directeur informatique de la Bibliothèque, je peux témoigner que, dès nos premières rencontres, Madame Roncato m'avait déjà exposé clairement les conditions de réussite du projet :

    • nécessité de faire appel aux compétences de professionnels de l'informatique afin de constituer un service informatique propre à la BN ;
    • affirmation de l'autonomie de décision de la BN conformément à sa mission et à ses besoins de bibliothèque nationale ;
    • prise en compte des attentes de l'extérieur et recherche de collaborations nécessaires avec la DBMIST, la DLL ou le Cercle de la Librairie ;
    • mobilisation des départements et des personnels, accompagnée d'une inévitable remise en cause de méthodes de travail obsolètes et d'une organisation éclatée en multiples services ;
    • constitution d'une base bibliographique unique centralisée ;
    • nécessité d'obtenir des résultats et, en particulier, de meilleurs délais de production de l'information bibliographique, afin de mettre la BN en position de servir les besoins des bibliothèques françaises.
    • C'est de fait ce qui a été globalement accompli dans les six à huit ans qui suivirent. Certes d'autres personnes : administrateurs généraux successifs, directeurs de départements, bibliothécaires et informaticiens, ont apporté une large contribution au succès de ce projet. Mais il faut porter au crédit de Janine Roncato d'avoir, avant beaucoup d'autres, mesuré les enjeux de l'automatisation et, a contrario, les risques encourus en cas d'échec ; d'avoir formulé les conditions de la réussite et proposé une démarche, puis d'avoir avec détermination et dans la continuité persuadé les uns et les autres, et d'avoir su obtenir les soutiens extérieurs nécessaires pour contourner les nombreux obstacles qui se présentaient.
    • Bref, d'avoir mis en oeuvre concrètement l'objectif qui lui avait été fixé. Peu de gens imaginent le rôle éminent qu'a joué ainsi Madame Roncato dans la rénovation du fonctionnement interne et de l'image extérieure de l'établissement. Car, modeste par nature, fuyant les honneurs ou les représentations qui auraient pu valoriser son action et sa personne, elle préférait s'impliquer au quotidien, en prise avec le concret ; plutôt que de tenir des discours généraux, en public, elle préférait dialoguer et écouter en tête à tête. Patiente, elle aimait mieux convaincre que décréter autoritairement. Mais lorsque les discussions avaient été menées avec les responsables intéressés, les objectifs expliqués, les avantages et inconvénients bien pesés, les choix étaient rapidement faits et la mise en oeuvre équitable et déterminée.
    • Je citerai ainsi deux exemples de l'action de Janine Roncato : la réorganisation complète, en 1984, des services et départements de la "chaî-ne du livre", réorganisation qui bousculait des rivalités et des fiefs pourtant bien ancrés ; et le choix de la solution GEAC, qu'elle avait su imposer contre les directives et intérêts, contradictoires à l'époque, du Ministère de l'Industrie, de la Direction du Livre et de la Lecture ou de la DBMIST et contre, il faut bien le reconnaître, les réticences des techniciens. Car, dans cette affaire, elle avait compris, que dans l'intérêt de la BN, il lui fallait privilégier un choix autonome, même s'il comportait des risques sérieux, à toute situation de non-choix ou de choix-imposé.
    • A l'intérieur, Madame Roncato a oeuvré pour mobiliser les départements et les personnels ; vers l'extérieur, elle s'est attachée à démontrer que la Bibliothèque Nationale avait compris que son développement informatique devait bénéficier à la communauté des bibliothèques.

    Proche collaborateur de Madame Roncato, c'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris sa disparition. Autour du projet, nous avions bâti des liens, une complicité même, professionnels et personnels exceptionnels.

    Malgré les différences d'âge, de responsabilité, de formation et de parcours professionnel, elle avait su accueillir, sans réticence, ces mystérieux informaticiens dont la Bibliothèque Nationale avait besoin pour réussir son projet informatique.

    Dans l'épreuve, elle a toujours montré une grande force personnelle qui a imposé l'admiration à ceux qui l'ont approchée. Sur le plan professionnel et humain, Madame Roncato restera pour moi une figure qui marque une vie.