Index des revues

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    Après-coup

    Petit essai de discernement entre plis et replis

    Par Jean-Claude ANNEZER, Président de la Section Bibliothèques Universitaires, Coordinateur de la Commission Formation

    Nous sommes au tournant

    Que de perplexités et d'ambivalences autour des enjeux et des perspectives de notre formation professionnelle ! Le congrès de Dijon les a manifestées avec force. Les échanges y furent vifs. Mais rien n'a été résolu. Les interventions des autorités ont plutôt aggravé notre inquiétude. Assistions-nous à une mauvaise mise en scène d'un vrai malaise ?

    Le Journal Officiel du 4 septembre vient de publier le texte des décrets portant statuts des cadres d'emplois de la filière culturelle.

    L'architecture en est restée à la même complexité "baroque" avec quelques modifications pour les intégrations. L'incohérence subsiste entre statut et formation. Comment ne pas être déçus, fût-ce à espérer un passage dans l'impasse ? L'accès au métier par concours suivi d'une formation professionnelle post-recrutement va créer des situations pour le moins épineuses ou faussées dont on peut déjà mesurer le danger : un CAFB en voie d'extinction, une formation démantelée au moment même où on l'espérait ouverte et novatrice... La marge de progrès est des plus étroites. Nous ne voyons guère de rénovation inventive et en profondeur du système de formation avec de véritables moyens. Ce qui devait être une ambition (l'invention du possible ?) provoque en réalité déséquilibre et cloisonnement.

    Il n'est plus l'heure des compromis précaires sur des fragments disjoints.

    Une réflexion mise à rude épreuve

    Même à évoquer "la douce certitude du pire", nous savions avant le congrès à quoi nous voulions parvenir : en partant des pratiques de la formation (exercices d'analyse et de rumination des quatre séminaires de Nevers, Auxerre, Le Creusot et Chalon) nous devions poser les vraies questions pour préparer demain. Lignes de faîte et lignes de fond en interactions. Enjeux, exigences et perspectives en pleine lumière pour tous.

    Or la confusion dans laquelle se sont élaborés les statuts a pesé lourd sur notre réflexion et a renforcé le malaise général : comment comprendre la logique par laquelle notre profession s'est peu à peu constituée et celle par laquelle on veut aujourd'hui qu'elle se constitue ? Sur quelle base définir les repères indispensables à notre identité professionnelle ?

    Nous vivons là nos propres contradictions. Comment les gérer pour qu'elles ne se figent, surtout à un moment où notre actualité n'en finit pas d'être marquée par des attentes déçues ?

    Les dispositifs statutaires sont démotivants alors même que de grands "travaux" sont entrepris ici et là (Bibliothèque de France, contractualisation des universités, pôles européens...). Ils ne tiennent pas compte des réalités fonctionnelles des bibliothèques et méconnaissent les acquis professionnels des agents. Comment traverser et/ou transformer l'amertume et le mécontentement ? "... et dans l'acclamation des choses en croissance, n'y a-t-il pas pour nous le ton d'une modulation nouvelle ?" (Saint-John Perse, Vents)

    Trouver du sens

    Jean Goasguen convenait récemment que notre profession traverse une grave crise d'identité et qu' "il y a de grands risques pour l'avenir, si cette crise n'est pas maîtrisée". Ce sont bien les enjeux humains (formation, qualification, statut social et professionnel) qui conditionnent tous les autres, qu'ils soient politiques, techniques ou économiques. De nouveaux outils ont entraîné de nouvelles pratiques professionnelles ; et s'il y a réel progrès il y a aussi nouvelles contraintes. Quelles sont les logiques sociales qui sont ici à l'oeuvre ? Rejoignent-elles ou contredisent-elles les principes fondamentaux de notre déontologie ? Quant à la reconnaissance de nos qualifications s'il importe qu'elles soient solides et indiscutables, cela présuppose des formations initiales cohérentes ("Tant qu'on n'aura pas des formations initiales en deux ou trois ans, ce ne sera que du bricolage. Cela fait vingt ans qu'on le dit").

    Aujourd'hui la logique est modifiée. Les formations post-recrutement induisent des conséquences sur les programmes, les contenus et les formateurs. Nous sommes en train d'assister à une série de déplacements plus ou moins heurtés qui embrouillent les situations et les éloignent de ce qui aurait pu être leur mûrissement.

    Les discours de nos "autorités", en dépit de leur valeur, deviennent illisibles, inaudibles parce qu'ils dérobent ou s'ingénient à dérober, les réponses solides et sûres aux questions que nous posons. Tout un système de justification est à l'oeuvre, dont nous soupçonnons à peine les tenants et les aboutissants. Il y a sans doute aussi des contraintes inaperçues qui s'exercent avec des tonalités diverses.

    Du bon usage des paradoxes

    Comment faire ressortir des significations et des objectifs pour accroître le potentiel de formation et élargir ses bases institutionnelles ? Les stratégies politico-culturelles des collectivités territoriales et de l'Etat ne semblent pas conforter notre base commune de référence, notre culture du métier : la formation professionnelle ne peut être traitée sur le seul mode de la "conformité" ou de la "reproduction sociale". A l'heure où de nouveaux modes d'approche apparaissent, dans une sorte de bouillonnement d'idées et d'espoirs, pour structurer la réflexion sur la formation professionnelle, on ne peut rester dans un pragmatisme à courte vue. Le n°150 du Bulletin avait tenté d'analyser les conditions et les modalités d'efficacité du système actuel de formation et de dégager des lignes d'évolution. Il devait servir de première étape à la réflexion du congrès et permettre de formuler des propositions. Mais a-t-il été lu à temps ?

    Nous n'avons qu'amorcé le débat de fond sur le cadre de référence dans lequel s'inscrit toute la problématique de nos formations. Les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui nous conduisent à défendre la culture de base de notre métier. Mais il est nécessaire que nous sachions de quelles formations nous avons besoin. Les structures, les programmes, les contenus ne sont pas intangibles. Ils doivent s'adapter et intégrer les évolutions en cours tout en assurant une cohésion interne pour que nos compétences professionnelles soient performantes sur le terrain.

    Notre profession a su développer au long de son histoire des exigences, des valeurs et des principes qui ont peu à peu structuré nos comportements et nos savoir-faire. Il ne s'agit pas, bien sûr, de se fixer, de se reposer, de se réfugier derrière ces acquis. Il convient plutôt de les exploiter dans une perspective "tonique". La formation doit s'y inscrire en tenant compte à la fois des conditions administratives, des impératifs de Fenvironnement et des constantes professionnelles (déontologie, professionnalisme...). Une telle affirmation est loin de correspondre à la réalité du moment et à l'évolution que les décrets parus et à paraître, laissent présager. Nos craintes étaient fondées : les nouveaux dispositifs prévus ne sont pas à la hauteur des idées et des usages de notre profession ; ils ne donnent pas à entrevoir un nouvel équilibre, peu s'en faut.

    Rien d'étonnant dès lors que le congrès ait eu beaucoup de mal à construire un consensus (autre que mou) et une stratégie. Si à Dunkerque nous avions un peu le mal de mer, à Dijon la moutarde nous est montée au nez !

    Savoir pourquoi il faut presser le pas

    Entre s'accrocher à des habitudes d'hier et se résigner aux changements en cours il y a assez de place pour agir. Le travail réalisé par les commissions transversales (réseau, loi, francophonie, relations internationales, formation) sera d'autant plus solide s'il devient force d'initiatives et de propositions : les idées partagées c'est bien, il faut les mettre en oeuvre, sans illusions ni états d'âme. Les conditions de réflexion et d'action sont peut-être plus difficiles aujourd'hui, tant les causes de notre malaise s'entremêlent, s'additionnent, se renforcent. Mais notre association n'a-t-elle pas à jouer pleinement son rôle en pareilles circonstances ?

    Tous les partenaires, tous les acteurs de la formation, qui s'y investissent au quotidien, tous les groupes et commissions de réflexion (Conseil Supérieur des Bibliothèques, AENSB, ADBU, CNFPT, FADBEN,

    ADBCP, ADCRF...) devraient unir leurs efforts en une même structure de coordination qui puisse fédérer lucidement projets et propositions. Si une nouvelle politique de la formation professionnelle se met en place, il importe qu'elle soit pensée et validée par cette instance.

    La reformulation des contenus et de l'encadrement pédagogique, le partenariat CRFP/CNFPT/Universités, l'articulation enseignements généraux/enseignements professionnels... pourraient y trouver leur cohérence.

    Petite leçon pour le prochain congrès

    Nous savons tous qu'un congrès c'est d'abord l'occasion de nous rencontrer, d'échanger, de débattre, de partager et aussi de nous reconnaître autour d'objectifs clairs. Il y va de notre identité et de notre unité professionnelles. La vivacité des échanges ne saurait être confondue ni avec les faux débats qui provoquent l'enlisement ni avec les polémiques qui prétendent tenir lieu de discussions. Il convient donc de gérer avec souplesse le temps et les paroles que nous échangeons et partageons durant ces quelques jours.

    La séance d'ouverture est un moment important ; chacun doit se sentir à l'aise et concerné : le thème aura été convenablement situé, les objectifs clairement précisés, les articulations du programme et les intervenants présentés de façon à motiver l'intérêt des participants.

    Il importe ensuite que le "pilotage" du déroulement soit bien assuré : il s'agit autant d'animer, de favoriser et de réguler les échanges que de respecter le temps prévu avec souplesse mais sans dérive ; cela suppose que l'on veille à l'ambiance de l'assemblée, que l'on maintienne sa cohésion, en désamorçant les conflits (même s'il est bon qu'il y ait discussions, divergences, contre-propositions). Assurer le suivi c'est aussi ménager des temps de synthèse et des transitions logiques pour que les participants aient réponse à leurs attentes et à leurs besoins.

    La séance de clôture doit être particulièrement travaillée : les mots des motions pèsent lourd ; la synthèse finale est un exercice périlleux ; elle doit afficher des ambitions, proposer une ligne d'action, rassembler les aspirations des congressistes et apporter des réponses créatives à leurs questions.

    Souhaitons-nous donc un bon congrès 1992.