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    Interview d'Evelyne Pisier, directeur du livre et de la lecture

    Par Evelyne Pisier
    Par Anne-Marie Chaintreau
    Par Antionietta Moellon

    1/ En tant que lectrice, quel jugement portiez-vous sur les bibliothèques ?

    Je vais vous décevoir, en tant que lectrice, je n'allais pas dans les bibliothèques de lecture publique. Comme vous le savez, j'ai une formation d'universitaire, j'allais systématiquement dans les bibliothèques des facultés que je fréquentais et à la Bibliothèque Nationale, à laquelle j'avais recours chaque fois que mes recherches me paraissaient déborder les fonds de la BU, ou bien quand j'avais l'impression que j'y aurais des bibliographies plus complètes.

    Les bibliothèques de lecture publique, je ne les ai découvertes qu'en arrivant à la Direction, mais je crois que c'est le cas de beaucoup d'universitaires.

    2/ Prévoyez-vous des moyens incitatifs pour encourager les bibliothèques à introduire de nouveaux supports : logiciels, CD-Rom (comme cela s'est fait pour les vidéothèques) ?

    Je voudrais justement répondre à votre question en commençant par l'audiovisuel. Nous avons accompagné la globalisation des aides issues de la décentralisation par une pratique incitative spécifique en faveur de l'audiovisuel et nous allons continuer. Les raisons, on les imagine facilement.

    L'introduction de l'audiovisuel marque une étape essentielle : l'ouverture des bibliothèques à tous les nouveaux supports documentaires, la transformation en médiathèques, comme on les appelle maintenant, même si ce terme n'est pas très joli. Il nous a paru important de favoriser cette évolution parce qu'elle permet d'attirer des publics nouveaux et évidemment le public jeune qui nous intéresse particulièrement.

    Compte tenu des droits d'auteurs qui pèsent sur le prêt de ces documents, il nous paraît normal que l'Etat aide les bibliothèques, surtout les plus petites, à se les procurer ; par ailleurs les droits achetés par la DLL concernent des films documentaires, notamment pour la jeunesse, que le marché n'aide pas spontanément, il est donc dans le rôle de l'Etat et de la DLL de favoriser l'introduction et le prêt de tels supports.

    C'est une politique qui a porté ses fruits : sur 200 bibliothèques qui proposent des images, 120 possèdent des fonds grâce aux achats de la DLL (le catalogue comporte maintenant près de 1400 titres). Il n'est pas question de mettre fin à cette action dont on juge le bilan plutôt positif.

    Peut-on, puisque cette action est satisfaisante, l'étendre à d'autres supports ? Telle est votre question. Est-ce la même logique, cela relève-t-il des mêmes problèmes ? Pas tout à fait, les problèmes sont de nature différente. Concernant les logiciels, il nous semble que la situation n'est pas encore mûre pour encourager le prêt dans les bibliothèques publiques. Les relations entre les producteurs et les utilisateurs sont tendues, notamment dans le domaine éducatif et nous n'avons pas forcément intérêt, avant que ne se produise une législation apaisante, à risquer d'augmenter la copie. Il faut faire attention à ne pas favoriser le piratage.

    En revanche, nous estimons que le CD-Rom est un support d'information appelé à se développer très rapidement. C'est vraiment l'avenir. Dans les domaines de l'information de référence ou encyclopédique, il va occuper un créneau irremplaçable. Voilà notre position de principe. Il n'empêche que, jusqu'à maintenant, le CNL a toujours aidé prioritairement l'édition papier et que nous avons à réfléchir, DLL et CNL aux principes, aux critères, aux moyens, à l'extension d'une aide à l'acquisition de CD-Rom. Nous sommes là au seuil d'une réforme et nous devons penser à faire évoluer la doctrine traditionnelle du CNL ; d'ores et déjà le Ministère de la Culture et le Ministère de la Recherche se sont lancés dans une politique d'aide spécifique à l'édition de CR-Rom et il existe un important fonds de soutien aux mémoires optiques. Je crois qu'a priori, il n'y a pas de raisons de ne pas se lancer dans cette voie mais après réflexion.

    Cette réflexion portera non seulement sur les CD-Rom mais aussi sur l'ensemble des supports non imprimés, textes enregistrés ou méthodes de langues, par exemple. Documents pour lesquels les problèmes se posent de façon très urgente dans la mesure où les demandes sont déjà nombreuses.

    C'est au Conseil d'administration du CNL d'en discuter. Des intérêts contradictoires sont en jeu, il y aura donc échange de points de vue. J'ajoute aussi que l'une des dernières réformes, et j'ai à coeur de vous la présenter, consiste précisément à donner plus de force au service bibliothèque du CNL ; l'arrivée d'Eliane Bourguignat se situe dans cette ligne : il s'agissait de faire naître une commission bibliothèque et de la faire fonctionner comme les autres commissions du CNL. Composée de spécialistes et d'experts, elle aura pour rôle non seulement de redistribuer des subventions mais aussi de réfléchir à des questions de fond comme celle évoquée et je pense que la personnalité de Jean-Noël Jeanneney, président de la commission (1) , comme celles des membres se prêteront tout à fait à ce genre de discussion.

    3/ Quels conseils donne-riez-vous aux bibliothécaires pour leur demande de subventions au CNL ?

    Je leur dirais de prendre acte de la création de cette commission et d'en déduire que les bibliothèques prennent de l'importance au sein du CNL ; de profiter de cette réforme des nouveaux systèmes d'attribution, pour mener eux-mêmes une réflexion sur leurs collections, sur les services qu'offre leur bibliothèque, sur les publics qu'elle dessert, sur leurs partenaires ; de choisir les secteurs qu'ils souhaitent renforcer ou créer en fonction du contexte socio-culturel, régional, historique de leur ville. Voilà motif à enthousiasme : le fait que les choses ne soient plus automatiques, mécaniques appelle à la réflexion. C'est le vrai sens de la réforme, nous sommes tous concernés intellectuellement. Malgré quelques critiques et désarrois, je suis très heureusement surprise par les dossiers reçus au CNL (près de 800). Nous avons l'impression d'avoir mobilisé l'intelligence des bibliothécaires, leur imagination, leur invention.

    Les subventions du CNL sont un "plus" qui peut être incitatif par rapport aux collectivités locales.

    4/ Qu'attendez-vous de la coopération entre les bibliothèques au plan régional, au plan national ?

    Je voudrais que, comme nous, les bibliothécaires soient persuadés que le paysage de la coopération, en ce moment, est en profonde évolution. C'est la DLL qui a popularisé le terme au milieu des années 80 et elle avait fait preuve d'une intuition très anticipatrice. Mais aujourd'hui la politique de coopération n'a plus le même sens dans la mesure où la politique de décentralisation, elle, s'est largement développée. Il faut donc penser coopération en fonction de la décentralisation. Il me semble qu'en tenant compte de cette évolution non pas paradoxale mais un peu heurtée du paysage, la DLL aujourd'hui ne peut plus se permettre d'avoir une politique faite de volontarisme, "attrape-tout". La coopération est devenue une réalité spontanée, multiforme, développée par les possibilités technologiques et la base en est la volonté des élus et la motivation des bibliothécaires.

    C'est la raison qui conduit l'Etat et la DLL à tenir depuis deux ans un discours un peu différent qui consiste à mettre l'accent sur l'aide aux actions effectivement menées beaucoup plus que sur l'aide aux structures dont on considère qu'aucune ne doit se prévaloir d'un monopole. Il y a des structures de toutes sortes, des agences régionales, des associations, des bibliothèques-médiathèques pilotes. Nous sommes en train d'effectuer avec l'aide des DRAC un bilan général de la coopération, attendu pour juin, je l'espère, en particulier sous l'angle de l'engagement des collectivités territoriales. Il va nous permettre cette fois de mieux diriger nos aides avec le souci de les orienter vers des actions qui produisent des services durables ou des événements forts. Mais là, il faut ajouter que nous considérons que la vraie politique de coopération, maintenant, doit, surtout et avant tout, partir des bibliothèques, notamment des bibliothèques centrales de prêt qui ont un rôle à jouer par rapport aux villes de moins de 10 000 hab. Notre souci, c'est vraiment que la coopération s'organise à partir des professionnels donc des bibliothécaires.

    Par ailleurs au plan national, les actions spécialisées en direction de secteurs spécifiques '(par ex : la vidéo) continueront à être encouragées par la DLL.

    L'évolution des technologies, le souci des rationalisations devraient permettre à un grand nombre de bibliothèques de profiter des outils nationaux qui vont se développer rapidement autour des établissements nationaux : la BPI, la BN et bien sûr la BDF. Là aussi c'est un bouleversement important qui commence. Tout ceci nous amène à revoir la politique de coopération en la basant, avec le plus de pragmatisme possible, sur l'évaluation des services. Ces services ne doivent pas être entendus seulement comme des services de coopération informatique, il s'agit aussi des services rendus en faveur du patrimoine et de sa mise en valeur et des services rendus en matière de développement de la lecture.

    5/ Pensez-vous que les statuts de la Fonction publique territoriale puissent encore être améliorés ?

    C'est une question non pas difficile mais qui a des aspects multiples. Si vous faites allusion à une amélioration de la rédaction des textes par le Ministère de l'Intérieur, je vous dirais non. Les seules modifications que l'on peut attendre viendront du Conseil d'Etat mais elles ne remettront en cause ni les arbitrages, ni l'architecture générale des textes.

    Ce que l'on peut souhaiter voir amender, c'est la reconnaissance plus forte du CAFB, version 1989. Nous avons d'ailleurs l'intention d'aller dans ce sens là, de manière à ce qu'il n'y ait pas d'injustice pour ceux qui n'ont pas reçu les mêmes formations et de manière à ce que la nouvelle formation, valorisante, soit parfaitement reconnue.

    Par ailleurs, il y a l'amélioration du cadre législatif d'ensemble dans lequel s'inscrivent les textes concernant les statuts des bibliothécaires. Là, oui, il y a des choses à améliorer. Tout le monde le souhaite, le gouvernement, les élus, les bibliothécaires. Ces améliorations concernent à mon sens plusieurs points.

    Le premier point, c'est la question des formations initiales d'application et leur mise en oeuvre par le CNFPT. Tout le monde est d'accord sur les principes mais pas encore sur les méthodes. On peut penser, je l'espère en tous cas, qu'on ne reviendra pas sur le principe d'une formation initiale du personnel territorial. Sur les méthodes, le problème concerne les ressources du CNFPT.

    Le deuxième point, c'est la question des seuils démographiques, je suis assez optimiste. Je pense que cette notion, très atténuée dans les textes, semble devoir être remplacée par une notion plus souple, multicritère, préférable, je crois.

    Le troisième plan sur lequel on peut espérer des améliorations, c'est celui de l'application des textes. Les collectivités, avec ces nouveaux statuts vont posséder une sorte d'outil de gestion de leur personnel. Mais ce sont elles et elles seules qui vont pouvoir décider de ce qu'elles vont faire. Pour la première dans l'histoire on va avoir une fonction publique territoriale vraiment paritaire quant au recrutement, à la formation et aux rémunérations, critères qui sont vraiment les critères forts du statut.

    Je crois qu'il faut se dire que cet acquis est fondamental. Bien sûr je sais qu'il y a des inquiétudes, ne serait-ce que parce que le poids du passé est lourd et que beaucoup de bibliothécaires ont le réflexe inquiet plutôt que le réflexe optimiste et se disent qu'il va y avoir des effets négatifs ou pervers. Mais je crois que des possibilités sont ouvertes, de manière positive. Même si on est réaliste et qu'on perçoit des dangers, on n'est pas obligé d'avoir le réflexe "crispé".

    Les avancées, c'est d'abord la parité, c'est important qu'elle soit acquise juridiquement, elle a fait l'objet d'une discussion très longue et ce n'était pas joué d'avance.

    Une autre évolution positive, c'est que la lecture n'a jamais été si fortement reconnue, importance à la fois culturelle et sociale.

    Au sein de la culture, par rapport aux années 70, il y a un véritable bouleversement intellectuel, culturel : la lecture, c'est la condition d'accès à l'égalité des chances dans la société et c'est la condition d'accès aux autres pratiques culturelles. Il y a un recentrement de la notion de culture en cette fin du XXème siècle qui est fondamental.

    Les gens sont réalistes. A partir du moment où ils prennent en compte cette donnée, ils savent que l'instrument de la lecture, c'est la bibliothèque. Je ne veux pas dire qu'elle remplacera l'école mais la bibliothèque est vraiment en train de devenir très importante, dans une ville, une région. Or, qui dit bibliothèque, dit bibliothécaire. Les élus locaux qui participent à ce mouvement de reconnaissance n'ont aucune raison de prendre prétexte de ces nouveaux statuts pour devenir pervers, méchants, indifférents ou ignorants !

    D'ailleurs dans les villes où les élus sont un peu responsabilisés, vous constatez que le directeur de la bibliothèque municipale et l'ensemble de son équipe ont acquis une véritable reconnaissance, une véritable légitimité. Ils ont un rôle reconnu non seulement au sein de leur bibliothèque mais au sein de la ville. C'est cette carte qu'il faut jouer. Bien sûr, il y a de la part des bibliothécaires d'Etat des motifs de déprime or quand il y a déprime, il y a crispation sur des actions revendicatives. Je ne dis pas que ce soit mauvais, mais ce serait dommage qu'il n'y ait que ça. Car la légitimité, la reconnaissance de ce métier, à mon avis, va avoir lieu mais ne passe pas seulement par l'action revendicative, elle passe, de la part du bibliothécaire, par une prise de conscience du rôle positif qu'il a à jouer culturellement.

    Il y a transformation des mentalités et j'ai envie de dire aux bibliothécaires : "Vous êtes des gens formidables, vous avez un beau métier, faites-vous reconnaître, faites-le reconnaître et pas seulement dans votre bibliothèque."

    6/ Qu'en est-il de la Fonction publique d'Etat ? du statut des BA d'Etat ?

    La question est plus technique. Les projets de décrets relatifs aux corps de conservateurs, des bibliothécaires, des bibliothécaires adjoints spécialisés sont quasiment achevés mais il reste encore des questions qui relèvent de certains arbitrages. En fait on peut dire que le statut des conservateurs d'Etat va sortir, à peu près, au même moment que ceux de l'ENSSIB ; que la formation des conservateurs d'Etat est portée à 18 mois minimum (2) . La carrière est vraiment alignée sur celle des conservateurs du patrimoine, ce qui est fondamental ; les missions d'inspection générale seront confiées non aux corps d'inspection comme c'était le cas jusqu'à présent, mais aux conservateurs en chef et aux conservateurs généraux.

    Pour les bibliothécaires, c'est-à-dire le corps A', ils seront recrutés avec la licence et ils recevront une formation d'un an . Le principe en est cette fois acquis. Ce qui reste en discussion, c'est le contenu et le lieu de cette formation. Les bibliothécaires adjoints spécialisés forment donc maintenant un corps de catégorie B qui sera classé en CIL Le bibliothécaire adjoint actuel doit savoir que de toutes façons les mesures sont des mesures de revalorisation, elles sont prévues par la constitution initiale des corps. Il reste toute une série de problèmes à examiner pour les concours internes réservés, par exemple. On attend le dernier arbitrage interministériel. Nous allons d'arbitrage en arbitrage et ceci a, hélas, rendu considérablement difficile la communication et l'information. Cela m'a personnellement fait souffrir, parce que je suis plutôt quelqu'un, qui, par tempérament est communicatif. J'aime bien pouvoir dire tout, franchement quitte ensuite à ce qu'on discute. Or sur ces questions un directeur d'administration centrale, je le comprends très bien, est quelqu'un qui doit se soumettre à l'idée que quand il y a des arbitrages interministériels, il se tait. Ce n'est pas facile.

    Ce n'est pas encore acquis, mais nous considérons que c'est pratiquement acquis. Ensuite il faudra que les projets soient examinés par le Conseil supérieur de la fonction publique et par le Conseil d'Etat.

    7/ Quelle incidence sur la formation : évolution du CAFB et formation post-recrutement ? Quel est le poids de la DLL dans le domaine de la formation ? Les moyens qu'elle peut mettre en oeuvre ?

    Je ne sais pas si je vais pouvoir répondre à tous les éléments de cette question, mais je dirais que, dans le domaine de la formation initiale, la DLL -et c'est comme ça, on peut s'en plaindre ou s'en réjouir- la DLL est une instance d'orientation, qu'elle peut agir par des crédits d'intervention pour favoriser le développement de tel ou tel aspect de la formation ou de telle ou telle structure. C'est un rôle important et intéressant. Par ailleurs la DLL peut accorder des subventions à l'ENSSIB pour le développement de la formation des cadres de la lecture publique, pour le développement de la recherche, pour les échanges internationaux (qui se développent parce qu'il y a une demande et un vrai besoin). Cela dit, une partie importante de ces crédits est déconcentrée, avec les avantages et les inconvénients de ce type de déconcentration. Mais je crois que c'est quand même à l'échelon régional ou inter-régional, qu'une action en faveur de la formation peut vraiment être menée efficacement.

    La DLL continuera à accorder des subventions aux organismes spécialisés que je viens de citer parce qu'elle considère que c'est un réseau solide par lequel la formation peut gagner en qualité. Ça veut dire se faire reconnaître par les employeurs ; j'ai vraiment insisté sur ce point, sur cette légitimité. C'est très important : la formation est le moyen d'éviter toute démagogie dans ce domaine et d'accélérer cette reconnaissance du métier. Il faut être toujours très attentif sur les exigences de formation.

    Par ailleurs, il est évident qu'il appartiendra au CNFPT (là aussi rien n'est encore joué d'avance) de décider de passer des conventions avec soit un organisme spécialisé, notamment ceux qui ont fait leurs preuves, soit d'organiser lui-même la formation, sauf bien sûr en ce qui concerne les conservateurs.

    C'est en effet, une hypothèse qui n'est pas à exclure. Là je pense pouvoir dire que c'est une hypothèse qui, a priori, ne me plaît pas et je pense que pour une formation qui doit être de qualité, pointue, qui mène à reconnaître un véritable métier et pas seulement une fonction, ce ne serait pas très réaliste qu'on en arrive là. Voilà mon opinion sur ce point mais elle est pour le moment plus personnelle qu'officielle, le débat n'ayant pas encore eu lieu.

    8/ La loi du 28/11/1990 ne conduit-elle pas beaucoup de conservateurs des BMC ou des BCP à demander leur retour sur un poste d'Etat ?

    Et bien, oui, il y a un risque, mais ce n'est pas non plus forcément négatif. Cette loi met fin à un monopole qui n'avait plus de raison d'être et qui a été artificiellement maintenu en attendant que se constitue une fonction publique territoriale pouvant atteindre un niveau scientifique. Voilà le principe, on a tendance à l'oublier.

    Les conservateurs d'Etat qui souhaitent rester fonctionnaires d'Etat peuvent rester (ce n'est pas un "retour") sur des postes d'Etat dans les BMC et dans les BCP.

    Dans les BCP, ce sont eux qui, par leur choix personnel vont déterminer la nature des postes. Il y a tellement de choses qui vont se jouer qu'on ne peut pas, de manière dogmatique, dire d'avance ce qui va se passer. Ils vont pouvoir choisir, s'ils le désirent, le détachement auprès de la collectivité territoriale et donc reporter leur décision finale à l'expiration de la période de détachement c'est-à-dire 5 ans. Ce scénario n'est pas forcément tragique.

    Les conservateurs en poste dans les BMC et ceux qui travaillent en BCP ne sont pas dans le même cas. Dans les BCP, on est dans une logique de décentralisation et on espère que celle-ci ne sera pas faussée. Dans les BMC, on est dans une logique de mise à disposition, qui devient possible.

    Il est évident que les postes d'Etat se trouveront plutôt, dans l'avenir, dans les BU et dans les bibliothèques publiques nationales. A mon sens, je l'espère, le choix de leur statut par les conservateurs va se faire en fonction des établissements où ils souhaitent travailler. Ce choix reste relativement libre dans la mesure où la parité a été obtenue et où elle rend possible des changements en cours de carrière. Ce scénario me paraît, lui aussi, "respirable".

    Certains conservateurs vivent assez mal cette situation. Je comprends les inquiétudes qui naissent du changement mais c'est à ceux de se déterminer en fonction de critères, finalement assez enthousiasmants, c'est-à-dire en fonction de leurs projets de carrière, de leurs relations avec la collectivité, des priorités et objectifs de l'Etat. Il faut que la mise à disposition, le détachement apportent une satisfaction à l'agent comme à la collectivité. Dans tous les cas, les conservateurs jouissent des garanties statutaires des fonctionnaires ; s'ils choisissent l'intégration dans la fonction publique territoriale, ils ne perdront rien du point de vue statutaire. Il dépend d'eux d'assumer leur rôle de médiateur et de convaincre les élus de l'importance de leur rôle. Ce n'est pas seulement une question de relation au mauvais sens du terme, ce n'est pas du clientélisme, il s'agit pour les conservateurs de faire reconnaître leur mission qui est une mission essentielle.

    9/ Comment pensez-vous pouvoir éviter que ne se multiplient des situations analogues à celle du Maine-et-Loire ?

    J'ai du mal à comprendre votre question parce que vous ne pouvez pas me demander un jugement sur le fondé de cette situation du Maine-et-Loire (3) .

    Personnellement, je n'ai pas envie, personne n'a envie que se multiplient des situations conflictuelles qui aboutissent à des résultats comme celui-là. Par ailleurs, on ne vit pas au paradis, or dans tout métier, dans toute situation, toute fonction, il arrive qu'on soit obligé d'être répressif.

    La décentralisation a ses règles, c'est la raison pour laquelle à partir de 1986, des textes veulent que des personnels de BCP soient mis à disposition des Conseils généraux. Ils sont sous statut d'Etat, mais leur manière de servir, ce qui ne me paraît pas illogique, est appréciée par ceux qui sont les plus proches d'eux, notamment par les Présidents des conseils généraux. Dans quelques cas, d'ailleurs assez limités, les conseils généraux ont souhaité le départ de certains directeurs ; dans la plupart des cas, ces départs se sont passés à l'amiable et les conservateurs ont demandé eux-mêmes leur mutation. Je ne dis pas que cela soit agréable à vivre mais premièrement ce sont des cas limités et deuxièmement il semble que cela ait pu être résolu dans un relatif consensus.

    Dans le cas du Maine-et-Loire et encore une fois je ne veux pas me substituer à ceux qui jugeaient cet agent que je ne connais pas. Bien souvent d'ailleurs je trouve regrettable qu'on puisse exercer des fonctions de répression sur des gens qui sont si loin. Donc, dans le cas du Maine-et-Loire, je ne veux pas me prononcer sur le fond de l'attitude de la personne en question. Tout ce que je peux dire c'est qu'elle n'a pas été prise de court, que c'est un agent qui a reçu des informations de diverses sources, qui a été prévenu et que finalement cela a débouché sur une situation de crise.

    Quand on n'arrive pas à résoudre la crise, ce qui est prioritaire c'est quand même le service rendu. On sait que, parfois, malheureusement, des crises entre des personnes qui travaillent ensemble peuvent nuire au travail. Ainsi donc pour résoudre une situation de crise, il peut être préférable de demander la mutation. Je ne dis pas que ça me plaise ; ça ne me plaît ni intellectuellement ni par tempérament. Je fais partie des gens qui préfèrent parler, expliquer et croire avec optimiste qu'on peut se tomber dans les bras, alors qu'on s'est beaucoup disputé, parce que tout d'un coup on a eu une bonne explication. En même temps je sais bien que ce n'est pas toujours vrai, que parfois on n'y arrive pas. Dans ce cas, c'est l'intérêt du service public qui prime.

    10/ Pensez-vous assister au prochain congrès ?

    Je vais vous répondre très simplement : j'irai, bien entendu, au Congrès de l'ABF si je peux y aller. Il y a dans la vie d'un directeur une hiérarchie des urgences, et aussi des événements imprévisibles. Il est évident qu'a priori, le congrès fait partie des manifestations auxquelles je considère que je dois aller et par ailleurs, ça va peut-être vous surprendre, auxquelles j'ai envie d'aller.

    Parce que cela m'intéresse. Parce que c'est mon métier.

    Interview réalisée mardi 14 mai 1991 par Anne-Marie Chaintreau et Antonietta Moellon.

    1. Jean-Noël Jeanneney vient d'être nommé secrétaire d'Etat. Il sera remplacé dans les jours qui viennent. retour au texte

    2. Le niveau de recrutement de l'ENSSIB sera celui de la licence, comme tous les concours de catégorie A, mais tous les élèves auront la possibilité, quels que soient leurs diplômes de départ de terminer la formation en étant possesseurs d'un diplôme de niveau Bac +5, c'est-à-dire d'un DEA ou d'un DESS, ce qui représente un avantage pour les équivalences européennes. retour au texte

    3. Rappelons que le conservateur de la Bibliothèque centrale de prêt du Maine-et-Loire a vu mettre fin à ses fonctions par son Président de Conseil général, brutalement, sans préavis. Le Ministère de la Culture, sans effectuer le moindre courrier officiel à l'adresse de son agent, a laissé un de ses personnels scientifiques être interdit à son poste, en l'absence de toute procédure disciplinaire. retour au texte