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    Réponse à la commission "Loi"

    Par Gérard Brugière, Direction de l'administration pénitentiaire

    Chers collègues,

    Membre de l'A.B.F., responsable du développement de la lecture et des bibliothèques à la Direction de l'administration pénitentiaire, je me permets d'intervenir à propos du texte élaboré par la commission "loi" et plus précisément sur ce qui est indiqué à l'article 35 (publié dans le numéro 154 du Bulletin) concernant les "publics empêchés" :

    "Les bibliothèques publiques assurent des dépôts, à leur demande, dans toutes les collectivités dont les usagers ne peuvent se déplacer (hôpitaux, foyers de personnes âgées, crèches, établissements pénitentiaires)".

    Cet article est à la fois en contradiction avec les dispositions générales qui introduisent le projet et en retrait par rapport à la Charte établie par le Conseil supérieur des bibliothèques. Les notions de "dépôt" et de "demande" n'ont que de lointains rapports avec le développement de la lecture, elles modifient donc implicitement la mission de service public des bibliothécaires à l'égard de citoyens qui seraient, de fait, en exil à l'hôpital, au foyer, en crèche, en prison et pourraient recevoir un "colis littéraire ou musical" s'ils en faisaient la demande. Il ne semble d'ailleurs pas souhaitable de déterminer dans un tel texte des modalités particulières d'intervention, l'expression de l'exclusion peut quelquefois être elle-même porteuse d'exclusion. Bien sûr, ces modalités existent. Liées aux contraintes de chaque établissement ou des différents publics, elles seront à étudier localement et en partenariat. Le rôle du bibliothécaire sera alors de veiller à ce que la situation particulière de l'usager ne soit pas prétexte à une restriction du service public de lecture. Il serait par contre capital de définir dans ce texte les responsabilités de l'ensemble des acteurs. Ainsi, la Charte des bibliothèques, citée plus haut, indique clairement :

    "Les bibliothèques qui dépendent des collectivités publiques sont ouvertes à tous. Aucun citoyen ne doit en être exclu du fait de sa situation personnelle" (titre 1 article 4).

    "Le service départemental doit, dans le cadre de ses missions de solidarité sociale, veiller à ce que soient assurés la desserte et le développement de la lecture des publics placés dans des conditions particulières dans les établissements situés sur son territoire" (article 25 titre 3).

    En regard des responsabilités inhérentes à chacun des Ministères concernés et de la politique de décentralisation, ce texte paraît cohérent. Il peut du moins servir de base au débat qui nous concerne. Je me permettrai en complément d'indiquer les quelques principes conducteurs de la politique que la Direction de l'Administration pénitentiaire et la Direction du Livre et de la lecture s'efforcent de mettre en place.

    • 1 - La lecture est un droit non limité par la décision de justice ou le règlement intérieur d'un établissement, y compris en cas d'internement psychiatrique, de mise en isolement ou de sanction disciplinaire.
    • 2 - La responsabilité du développement de la lecture relève du Ministère de l'éducation nationale et de la culture et sur le terrain, des collectivités territoriales.
    • 3 - La lecture est un appui essentiel à une politique visant à favoriser la formation et l'insertion sociale et professionnelle des publics momentanément à la charge de l'Administration pénitentiaire.
    • 4 - Toute politique d'insertion répond aux notions de compétence et d'extériorité des intervenants et de qualité des interventions.

    Ainsi, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture constitue la tâche prioritaire confiée à des enseignants mis à disposition par le Ministère de l'éducation nationale. Ainsi le développement des pratiques de lecture et d'écriture doit être confié à des bibliothécaires professionnels dépendants des structures ordinaires que sont les bibliothèques municipales ou départementales de prêt. Pour se faire, l'Administration pénitentiaire doit mettre à leur disposition une bibliothèque en accès direct et un budget annuel de fonctionnement. Les modalités de fonctionnement doivent être négociées sous forme de conventions locales. A titre d'exemple, une convention a pu être établie entre la maison d'arrêt de Poitiers, le conseil général de la Vienne et les villes de Poitiers et Chatellerault. Elle permet le détachement à mi-temps d'un bibliothécaire pour former et encadrer les détenus chargés de la gestion quotidienne de la bibliothèque de la prison et pour développer de véritables actions culturelles liées à la lecture et à l'écriture.

    Conscient de la qualité du texte que vous avez élaboré et de l'importance qu'il peut avoir pour le développement de la lecture, conscient de l'avancée que pourrait constituer une Loi en regard de la Charte existante, même si celle-ci me paraît sur de nombreux points du plus grand intérêt, je vous prie d'agréer, chers collègues, l'expression de mes sincères salutations.