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    Pourquoi se passer de bornes interactives ?

    Par Alexandre Chautemps, Médiathèque Edmond-Rostand, Ville de Paris.

    Qu'il le sache ou qu'il l'ignore, qu'il s'en vante ou s'en défende, qu'il s'en réjouisse ou s'en afflige, qu'il le veuille ou non, chacun aujourd'hui a utilisé une borne interactive. Il suffit d'avoir, à la recherche d'une boutique du Forum des Halles, consulté la machine qui les recense toutes, par nom et par spécialité, et les localise à l'écran sur un plan. Ou bien d'avoir, lassé d'une longue attente au guichet, acquis un billet et réservé une place auprès de l'une des bornes jaunes que la SNCF a installées dans les grandes gares de Paris et d'ailleurs. Ou encore, passant par le sous-sol d'une grande surface provocatrice installée depuis peu avenue des Ternes, de s'être fait narrer, son stéréo et images animées Super-VGA 256 couleurs à l'appui, la vie passionnée et la fin tragique de Giordano Bruno. La borne interactive, pour la définir sommairement, est la version revue et corrigée par l'informatique tout à la fois du distributeur de timbres-poste et de ces plans de métro "intelligents" des années soixante, qui, par l'allumage d'une série de diodes, indiquaient au voyageur ébahi s'il valait mieux changer à La Motte-Piquet ou à Stalingrad. Précisons notre propos : il y a depuis belle lurette des terminaux écran-clavier accessibles au public et débitant toutes sortes de renseignements. Les OPAC de nos bibliothèques en sont un exemple parmi d'autres. Ces appareils ne méritent pourtant pas d'être dits "interactifs" - du moins selon la terminologie en usage chez les concepteurs de bornes - car il leur manque l'attribut essentiel de la convivialité (je peux le dire !) informatique : l'écran tactile. L'usager n'a plus à transcrire en AZERTY ses demandes, ses angoisses, ses espoirs, etc. Il lui suffit de toucher l'écran.

    La médiathèque Edmond-Rostand (1) , conçue et réalisée sous la direction de Jacques Cuzin, a ouvert ses portes en janvier 1992. L'équipe a travaillé selon un axe : la qualité du service à fournir - bien-sûr ! - particulièrement sur le plan de la mise en valeur des collections. Ceci a abouti à la mise au point d'un nouveau plan de classement, baptisé CODA, plus souple que l'habituelle classification Dewey, et qui favorise une orientation plus intuitive du lecteur. Pour mieux mettre en oeuvre CODA, nous avons beaucoup investi dans le matériel de signalétique : poste de découpe de lettres assisté par ordinateur (pour la "grosse" signalisation, en haut des rayonnages), imprimante laser (pour la signalisation de tablette) et scriber (pour les cotes des livres). Ajoutons que l'accent a été mis sur les intitulés des rayons et non sur les cotes, qui n'apparaissent que sur les tablettes. Nos deux bornes interactives interviennent dans le cadre de cet effort de signalisation. Nous avons pris le parti de les employer, pour l'instant, comme des outils d'orientation et d'information, et absolument pas comme des postes de recherche documentaire.

    Leur fonction principale est l'aide à la localisation des rayons. Un écran regroupe les titres des différentes rubriques CODA. Chacun d'eux se présente dans un rectangle de couleur appelé "bouton". Lors-qu'on touche un bouton, par exemple celui de la rubrique ECONOMIE, un nouvel écran apparaît, avec la liste des sousrubriques, en l'occurrence THEORIE & GENERALITES, FINANCE, ENTREPRISE, INDUSTRIE etc. Après le choix d'une de ces sous-rubriques, toujours en appuyant sur un bouton, un plan de la médiathèque s'affiche, avec mention de l'étage et indication de l'emplacement du rayon choisi. Cet écran donne également la cote CODA.

    L'utilisateur a également la possibilité, plutôt que de se limiter à la liste close des intitulés de rayon, d'effectuer une recherche plus fine en accédant à un index de mille mots-clés. Ce type de recherche aboutit également à l'affichage du plan.

    La borne offre en outre une "visite guidée" de l'établissement, étage par étage, ainsi qu'un récapitulatif des horaires, règles de prêt, tarifs, conditions d'inscription. L'aspect "dialogue" a été privilégié : ce récapitulatif ne se présente pas sous la forme d'une page de texte à lire in extenso mais comme une succession d'écrans proposant des choix ("Emprunterez-vous des livres ? des CD ? des cassettes vidéo ?" ; ou bien "Avez-vous moins de 13 ans ? entre 13 et 18 ans ? plus de 18 ans ?") de façon à pouvoir afficher la réponse qui concerne l'interrogateur et uniquement celle-là.

    Lorsque personne n'utilise la borne, elle affiche un journal cyclique de dix écrans, comprenant du texte et des images. Ces écrans sont produits par nos soins, à l'aide d'un logiciel de dessin. Nous pouvons ainsi attirer l'attention des lecteurs sur un nouveau service, une animation, une exposition prochaine, ou encore les informer d'une fermeture pour cause de fête carillonnée. L'une des bornes est connectée à un écran visible de la rue, ce qui permet d'attirer l'attention des passants (et fonctionnerait mieux si la rue était passante !). Quand le journal cyclique défile, il suffit de toucher l'écran pour utiliser les fonctions habituelles de la borne.

    Après bientôt un an d'ouverture, nous pouvons nous risquer à un bilan. Les bornes, donc, sont volontiers utilisées par le public et n'ont jamais posé le moindre problème de maintenance. Il n'y a pas réellement concurrence entre les bibliothécaires et la borne pour l'orientation du lecteur. Les bornes sont souvent consultées par des personnes qui s'adressent rarement aux bibliothécaires (soit qu'elles n'osent pas, soit qu'elles mettent leur point d'honneur à s'orienter elles-mêmes). Parfois les bornes font connaître aux lecteurs des rayons qu'ils n'auraient pas remarqués par simple déambulation. Bien sûr, les bornes contribuent en outre à donner une image moderne à la bibliothèque. Enfin, il ne faut pas négliger leurs qualités ludiques, qui leur confèrent un agrément d'utilisation que n'aura jamais une liste des rayons sur papier. Les bornes sont d'ailleurs mises à contribution par deux publics "parasites" : les enfants et les informaticiens, qui ont tendance à explorer les unes après les autres toutes ses fonctions pour savoir comment c'est fait, comment ça marche, voire pour essayer de "planter" le système. A ce jour, toutefois, nul d'entre eux n'y est parvenu.

    Forts de ce début satisfaisant, nous pouvons envisager d'autres utilisations aux bornes. Nous pensons à rajouter une fonction de consultation de liste de nouveautés à l'écran, comprenant éventuellement un résumé de chaque ouvrage. Par simple contact du doigt avec un titre affiché, on obtiendrait le résumé. Nous pensons également à utiliser cette technique pour le calendrier des séances de consultation de cassettes vidéo.

    Des formules plus ambitieuses sont également envisageables. Par exemple, dans le cadre d'une exposition sur Mozart, Christophe Colomb, la Révolution ou que sais-je encore, les bornes feraient d'excellents postes de consultations de documents sonores ou graphiques. Mais surtout, la borne interactive serait un OPAC très confortable et intuitif. Sachons que les bornes fonctionnent avec un ordinateur tout à fait traditionnel (dans notre cas, un compatible IBM-PC) et que, par conséquent, il n'y a aucune impossibilité technique à les faire communiquer avec un système déjà existant (GEAC, CLSI ou autre). En outre, une borne interactive pilotant un lecteur de codes-barres et un désensibiliseur antivol peut tout à fait être utilisée pour faire le prêt.

    Si les bornes interactives apparaissent aujourd'hui à beaucoup de bibliothécaires comme un gadget de luxe, on s'aperçoit, considérant ces quelques pistes, qu'elles sont à même, dans un avenir très proche et surtout sans qu'une révolution technologique soit nécessaire, de nous faire faire un véritable pas en avant sur le plan du service fourni au public.

    1. 11, rue Nicolas-Chuquet, 75017 PARIS. Tél. 48 88 07 17. retour au texte