Index des revues

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    Discours de J.A. Koutchoumow

    Par J.A. Koutchoumow, Secrétaire général de l'Union Internationale des Editeurs

    Je tiens à vous exprimer la reconnaissance de notre organisation, l'Union Internationale des éditeurs, pour l'aimable invitation qui lui a été faite de participer à vos travaux et aussi de lui permettre de s'adresser à votre assemblée en cette session d'ouverture solennelle. Je suis depuis vingt ans le secrétaire général de cette organisation qui a son siège en Suisse, à Genève. Nos deux organisations ont progressivement développé leurs relations au cours de ces années ; il importe désormais de renforcer ces relations et de les multiplier.

    Bibliothécaires et éditeurs se trouvent sur la même chaîne du livre, sur la même chaîne de la communication en général, chaîne qui va de l'auteur (ou concepteur) à l'usager final. Ce que le concepteur initial envisage et crée, l'éditeur va lui donner forme physique, matérielle, et contribuera aussi à la création immatérielle. Parmi tout ce que les auteurs et éditeurs proposent au public, à savoir des centaines de milliers d'ouvrages, revues et articles, les bibliothécaires font un tri, une sélection rigoureuse et rassemblent les ouvrages retenus dans un ensemble original pour répondre aux besoins de leur clientèle spécifique. Chaque bibliothèque vise à créer son parcours original, à organiser ses priorités spécifiques. A l'inverse des librairies qui stockent surtout des ouvrages récents, les bibliothèques proposent au public tous les ouvrages d'un auteur, tous les titres d'une collection, tous les numéros d'une revue, y compris les plus récentes parutions. Où que nous soyons, nous, les professionnels du livre sur la chaîne du livre, nous devons ou devrions tous nous trouver sur la même longueur d'onde quand il s'agit du service du public. Le service du public est, je crois, l'expression-clé qui nous réunit tous et nous réunira toujours davantage, de l'éditeur au bibliothécaire en passant par le libraire.

    Au cours de ces cinq dernières années nous avons assisté à de profonds changements politiques et économiques qui affectent tous les pays ; je veux parler de la chute des blocs idéologiques. Les idéologies d'agression sont tombées. Il ne doit plus rester qu'une idéologie de convivialité, celle que j'appelle le service public. Cela peut sembler étrange de s'exprimer ainsi quand l'on voit de plus en plus de services publics être privatisés, tels que les administrations postales, les services de santé etc. Je pense que le changement qui importe pour l'avenir, c'est que le secteur privé intègre la notion de service du public. D'ailleurs, les entreprises privées y sont amenées par leurs bureaux de publicité et de relations publiques qui vantent leurs produits pour une meilleure qualité de vie. Ce ne sont pas tant les services publics, tels que les bibliothèques, qui doivent être privatisés, mais le secteur privé qui doit faire sienne la notion de service public. Parallèlement il importe que l'actuel service public intègre les notions de rentabilité, de meilleure utilisation de l'argent du contribuable, et que les services publics soient à l'écoute du public, en adaptant leurs services aux besoins réels et à l'évolution du public.

    Dans la société globale vers laquelle nous nous dirigeons et dans laquelle se tissent des milliers de solidarités, chaque profession devra rendre compte de ses activités auprès du grand public. A l'avenir, " l'incommunication " entre professions, surtout entre professions voisines, sera mise au discrédit de ces professions. Chaque profession sera jugée sur sa capacité de synergie et de symbiose. Les splendides isolements ne seront plus tolérés. Face aux besoins énormes du public les quant-à-soi corporatistes sont dérisoires.

    On peut penser que chaque profession sera aussi jugée d'après son niveau minimum de nuisance ou d'obstacle qu'elle oppose à l'accès à ses services et à ses produits. Aucune activité, aucune profession n'est au delà de la Res Publica Orbis Terrarum, du World's Welfare. Chacune de nos professions est intégrée à la Res publica mondiale et devra pallier ses carences pour mieux servir la communauté mondiale.

    Voilà le défi auquel nous, éditeurs, nous nous sentons confrontés pour l'avenir. La seule politique professionnelle admissible à l'avenir sera celle de service du public, le mieux du public. Le reste n'est que discussions stériles. La synergie bibliothèques/éditions devra être améliorée coûte que coûte ou sinon elle nous sera imposée. Les bibliothécaires et éditeurs l'ont bien compris et se sont réunis pour la première fois en Conférence Européenne ayant pour thème : " Bibliothécaires et éditeurs coopèrent : le savoir pour l'Europe ".

    Il importe dès lors que nos deux professions considèrent les domaines qui les réunissent et les domaines qui encore maintenant les éloignent l'une de l'autre. Parmi les domaines qui les réunissent il y a : l'encouragement à la lecture, la lutte contre les taxes sur les produits culturels et éducatifs et sur le livre en général, la lutte contre la réduction des budgets des bibliothèques, la lutte contre les tarifs postaux prohibitifs, l'utilisation du papier permanent, la normalisation des données pour le transfert de l'information bibliographique par le moyen de système tels que EDI (Electronic Data Interchange - Echange de données électroniques), la création d'outils bibliographiques communs - éditeurs et bibliothécaires - performants qui soient utilisables et maniables par le grand public ; Friendly user, si possible accessible dans les lieux de travail mais aussi et surtout dans les foyers et domiciles particuliers. Ainsi nombreux et vitaux sont les points de convergence entre nos deux professions, et il y en aurait bien d'autres encore.

    Sur un certain nombre de ces questions, bibliothécaires et éditeurs se sont déjà concertés, notamment aux Etats-Unis d'Amérique et en Europe, et notre organisation encourage chacun de ses membres à resserrer les liens avec l'association nationale des bibliothécaires. Quelques questions font problèmes entre nos professions ; elles doivent être étudiées ensemble. Ce sont les questions relatives au droit de reproduction reprographique, la question des abonnements aux revues scientifiques et spécialisées, la question des réseaux de CD-ROM (CD-ROM Networking). La question du droit d'auteur est discutée, " ad nauseam ", depuis plus de dix ans entre nous, et les points de vue se sont considérablement rapprochés. Les autres questions pendantes doivent être abordées dans un même esprit de compréhension mutuelle.

    Il ne servira à rien aux éditeurs de dire qu'ils ne peuvent s'entendre avec les bibliothécaires parce que ces derniers ne sont pas régis par les notions de rentabilité, de risques économiques... Et inversement, il ne servira à rien aux bibliothécaires de dire que les éditeurs ne pensent qu'au profit. Nous devons éviter de nous isoler dans notre parcelle de vérité alors que le public, lui, attend de nous un service efficace et performant, c'est à dire un service global, non partisan.

    Par exemple, pourquoi telles régions du monde se voient-elles privées des avantages impartis à d'autres régions en matière d'accès aux oeuvres, accès au matériel éducatif ? Quelles sont les lenteurs et les archaïsmes qui empêchent l'accès de tous aux oeuvres de l'esprit ? Les lenteurs administratives et les archaïsmes devront être combattus tant dans les pays d'origine de l'oeuvre que dans les pays de réception de l'oeuvre. D'autre part, il n'est plus question de demander aux auteurs et éditeurs de financer l'éducation de certains pays par un usage déloyal de leurs oeuvres, voilà un type d'archaïsme à bannir définitivement.

    J'ai fait une allusion aux titulaires de droit d'auteur. Je pense que parallèlement à la mise en exergue de la notion de service du public, devra aussi être mis en exergue à l'avenir la notion de créativité. Il est si rare de trouver des oeuvres novatrices, nous sommes si menacés par le conformisme en art, en science et en littérature que si l'on ne valorise pas de façon substantielle la créativité des auteurs, des artistes et chercheurs, nous mourrons d'ennui, d'uniformisme et de monotonie. Nos maisons d'édition et nos bibliothèques seront mortellement ennuyeuses. Il nous arrivera ce qui arrive à certaines chaînes de télévision qui se sont discréditées par la médiocrité de leurs programmes. Seule la valorisation des talents novateurs et créateurs nous évitera ce sort. Ainsi la créativité et le service du public me paraissent devoir être les deux points d'appui sur lesquels pourront se développer nos activités de bibliothécaires et d'éditeurs à l'avenir, activités que je vois en tout point complémentaires.

    Le thème de votre 59ème Congrès est précisément : La Bibliothèque universelle : les bibliothèques comme centres d'accès global aux oeuvres. Je pense que les quelques idées que je viens de développer convergent vers cette bibliothèque universelle qui sera partout à la fois et accessible de tous points du globe. La Bibliothèque universelle sera la porte d'accès obligée au savoir en gestation et non plus un centre d'archivage. La bibliothèque universelle répandra les réalisations de l'imaginaire humain. Tout cela grâce à une mise en commun des ressources des professions du livre. Nous, les éditeurs sommes à l'écoute de votre expérience et de vos exigences et appelons de nos voeux une coopération accrue entre nos professions, en vue de créer cette bibliothèque universelle.