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    La formation

    Technique ou état d'esprit

    Par François Larbre, Bibliothèque universitaire Aix-Marseille III

    Il ne faudrait pas que l'importance de plus en plus largement reconnue à la formation continue fît prendre ce moyen pour fin et que le souci de formation affirmé dans nos bibliothèques se résumât à la mise en oeuvre d'un certain nombre d'outils et de techniques pédagogiques. Au-delà et en deçà de ces techniques de formation, il est manifestement plus nécessaire de promouvoir dans nos établissements une véritable culture de la formation sans laquelle notre arsenal méthodologique de plans de formation, de stages en situation ou résidentiels, de grilles d'évaluation qualitative des besoins, de management participatif, par exemple, ne sera jamais que l'alibi de notre incapacité ou de notre refus à partager nos savoirs professionnels.

    Toute notre existence n'est que le long et lent apprentissage de l'adaptation à un environnement et notre vie professionnelle ne déroge en rien à ce mouvement général de la vie. Pendant longtemps les bibliothèques ont pu sembler extérieures à ce mouvement continu auquel s'opposait leur projet de conservation pour l'éternité du patrimoine intellectuel de l'humanité. Se situant hors du temps, les bibliothèques risquaient aussi d'être hors du monde et de la vie et cela peut expliquer qu'elles aient recruté au fil des générations des individus dont les qualités intellectuelles estimables ne compensaient pas nécessairement leurs difficultés à s'insérer dans la vie sociale et à communiquer avec leurs semblables. Cependant, comme les bibliothèques n'étaient pas de parfaites nécropoles de livres et de bibliothécaires, elles ont été sans cesse aiguillonnées et rattrapées par les changements de plus en plus accélérés d'un monde dont elles font partie, même si certaines sont parvenues à se constituer en véritables niches écologiques pour espèces et pratiques en voie de disparition. Hormis pour ces cas extrêmes, l'adaptation au changement passe toujours par un apprentissage des nouvelles conditions de vie et l'adaptation se fait d'autant mieux que ces nouvelles conditions ont été plus clairement anticipées ; dans ce processus d'évolution la formation apparaît effectivement favoriser l'adaptation si toutefois elle prévoit réellement les conditions à venir.

    Sous la double pression de décideurs soucieux d'efficacité dans l'utilisation des deniers publics et d'utilisateurs toujours plus demandeurs de services diversifiés et performants, nos bibliothèques sont actuellement lancées dans une entreprise de modernisation qui touche tous les domaines : celui des médias avec la diversification des supports, celui des outils et des techniques documentaires avec l'électronique, celui de leur administration avec les suites de la décentralisation et de la contractualisation, celui de leur gestion avec la prégnante question des ressources et de la tarification, celui de leur organisation avec la remise en cause des schémas anciens, celui de leurs locaux encore... Et ne détaillons pas tout ce qu'il reste à faire en matière de services au public. Cette remise à niveau des structures et des moyens ne peut se réaliser sans une adhésion effective des personnels à ces projets.

    Choisir ou subir

    Tout changement se vit bien ou mal selon qu'il est choisi ou subi. Il faut donc que, dans nos bibliothèques, tous les personnels se sentent partie prenante des transformations en cours et que personne n'ait le sentiment de devoir pâtir de leur réalisation. Cela va de soi intellectuellement, mais il n'est guère aisé d'y parvenir sans obtenir l'adhésion des agents au projet de modernisation qui les concerne.

    Chacun s'engage toujours plus volontiers dans des opérations à la conception desquelles il a le sentiment d'avoir participé que dans des travaux où il n'a qu'un rôle d'exécution. Cette règle générale n'est pas à éclairer à la lumière d'une nostalgie autogestionnaire mais devrait plutôt nous permettre de comprendre qu'il est vain de chercher à transformer un service si l'on n'a pas préalablement pris la peine de convaincre tous ses agents de l'utilité de la transformation, et plus encore que de convaincre il s'agit de leur faire découvrir par eux-mêmes l'intérêt de la transformation.

    L'adhésion aux projets

    Pour arriver à emporter cette adhésion des personnels aux projets de changements, il faut que les cadres eux-mêmes possèdent une claire idée des objectifs de ces changements. Ces objectifs ne doivent pas être des enjeux qualitatifs vagues et généraux tels que « mieux accueillir le public » ou assurer un meilleur service ». Ils doivent, au contraire, être traduits en un découpage en sous-objectifs très détaillés dans la description des étapes à parcourir, de façon à ce que chacun puisse percevoir où intervient son travail dans la réalisation de ce projet ; le plus grave étant toujours que des agents ne se sentent pas le moins du monde concernés par de vastes rêveries émanant de la seule direction du service.

    Il faut donc que la direction, dont une des missions essentielles est de concevoir et d'impulser des projets, traduise ceux-ci en objectifs suffisamment clairs pour que chacun en saisisse les enjeux. Ces objectifs doivent toujours être quantifiés et leur degré de réussite mesurable ; cela suppose, comme dans toute démarche de projet, d'avoir précisément décrit l'état d'où l'on part et les différentes étapes intermédiaires à parcourir en vue de l'achèvement de l'opération ; cela suppose aussi, bien entendu, que le projet comporte un calendrier réaliste, qu'il soit possible de respecter, mais imposant des échéances à chacune des étapes ; cela exige, enfin, que les moyens nécessaires aient été correctement évalués au départ et soient réellement disponibles dans le déroulement du projet.

    Les besoins en qualification

    Parmi les moyens nécessaires à la modernisation se trouvent naturellement les ressources humaines. Le plus souvent, celles-ci font plutôt défaut sur le plan de la qualité que sur celui de la quantité. Il ne sert à rien d'engager de grands projets si ceux qui vont les mettre en oeuvre ne disposent pas de la qualification nécessaire pour les réaliser. C'est pourquoi, avant d'entreprendre une opération quelle qu'elle soit, il est indispensable de dresser un bilan des compétences disponibles, de le comparer à l'état des compétences nécessaires et de déterminer dans quelle mesure des formations individuelles et collectives adaptées pourront réduire l'écart entre le disponible et le nécessaire. Cette démarche est celle du plan de formation qui ne sera jamais efficace s'il n'est que la réponse à une obligation administrative de la collectivité au lieu d'émaner directement du service qui, dans une auto-évaluation, a su expliciter ses besoins en qualification. Mais le plan de formation n'est qu'un outil, nullement magique, qui doit être élaboré dans la perspective des projets à mener.

    L'esprit de formation

    L'essentiel dans une opération de modernisation reste bien l'adhésion de tous aux projets de la direction ; encore faut-il que ces projets soient connus de tous dans leurs attendus et conséquences. Toutes les formations dispensées à des personnels de bibliothèque resteront inutiles si ceux-ci ne voient pas en quoi elles les aideront à mieux s'intégrer dans le devenir de leur établissement. Nous touchons là à la distinction capitale qu'il convient d'opérer entre les techniques de la formation et l'esprit de formation.

    Ce n'est pas à nous, bibliothécaires, que l'on apprendra qu'il n'y a pas de formation sans échanges d'information et que, commutativement, tout échange d'information est déjà une démarche de formation. Avant de lancer un plan de formation il n'est pas inutile de s'assurer de la qualité de la circulation de l'information professionnelle dans le service. Chacun a pu constater qu'un stage suivi par un agent est moins utile au service par les connaissances qu'il y a acquises que par le partage qu'il en fait au retour avec ses collègues de travail quotidien : ce qu'il restitue est profitable à tous, ce qu'il garde pour lui comme un savoir qu'il est seul à détenir signifie qu'il entend utiliser ce savoir pour se singulariser, voire affirmer une supériorité.

    Utiliser la rétention d'information comme un outil de pouvoir est un comportement bien humain qui ne se rencontre pas dans les seules bibliothèques, mais il témoigne d'une confusion qui ne devrait pas exister dans notre profession entre le stockage de l'information et l'exploitation de l'information. Un individu n'est jamais supérieur aux autres parce qu'il détient plus d'informations, il ne démontre sa supériorité qu'en utilisant mieux que d'autres l'information dont tous disposent. Le plus grand obstacle au développement de nos bibliothèques réside dans cette pratique de rétention d'information qui donne à certains, cadres ou exécutants, l'illusion d'être plus compétents que leurs collègues alors qu'ils bénéficient simplement de l'exclusivité d'informations auxquelles leur place dans la hiérarchie leur donne accès sans qu'ils songent à les redistribuer.

    La communication interne

    Avant donc de s'attacher à la formation, il faut se préoccuper de la communication interne dont les dysfonctionnements constituent des obstacles plus redoutables pour toute réalisation de projet que les difficultés dues à l'environnement extérieur. Pour assurer cette communication interne, tous les moyens sont bons, à condition qu'ils s'enracinent dans une volonté de transparence sans faille de la part de la direction. Rien dans le fonctionnement et les projets d'une bibliothèque n'est d'ordre confidentiel puisqu'elle relève presque toujours du domaine public, seuls les éléments d'information concernant la vie privée des agents méritent une certaine discrétion et, paradoxalement, celle-ci est souvent la moins respectée !

    Toutes les données d'activité d'une bibliothèque mises en forme à destination des administrations de tutelle ou dans le cadre d'enquêtes professionnelles sont susceptibles d'intéresser l'ensemble du personnel du service qui apprécie de situer l'établissement où il travaille par rapport à d'autres de même nature. Les informations budgétaires sont celles qui révèlent la traduction en actes des discours des politiques et des déclarations d'intention de l'encadrement ; s'il n'est pas nécessaire que les répartitions budgétaires soient discutées par tous, il est indispensable, toujours dans un souci de transparence, que chacun ait connaissance des priorités déterminées dans l'utilisation de ces budgets. Prenons un exemple encore, celui des promotions au choix qui, pratiquées dans l'opacité, ne contribuent guère au développement d'un esprit d'équipe et attisent les rivalités et les rancunes. Au contraire, une large diffusion interne de l'information administrative et professionnelle ne peut que contribuer à transformer les rivalités d'amour-propre en compétitions dynamiques dont un service ne peut que profiter.

    Prêcher par l'exemple

    Ce souci de la communication interne se promeut par le haut et par l'exemple. Les cadres sont censés posséder des connaissances professionnelles plus vastes que les agents d'exécution, c'est à eux de manifester leur volonté constante de transmettre ces connaissances au lieu de s'affliger du faible niveau de ceux-là. Regardons encore comment chacun, dans son bureau, conserve une documentation professionnelle dont il est l'utilisateur exclusif et très occasionnel : ne vaudrait-il pas mieux que cette documentation fût intégrée à un fonds professionnel commun et accessible à tous ? Ne reproduisons-nous pas, chacun pour nous, dans nos bureaux, ce que les bibliothécaires des Bu reprochent aux universitaires qui préfèrent garder leurs micro-bibliothèques à leur seule disposition plutôt que de les intégrer dans un service commun de la documentation ?

    Compter sur la formation pour faire évoluer les pratiques bibliothéconomiques relève d'une pétition de principe si l'encadrement n'est pas persuadé que la formation se fait à chaque instant à travers tous les échanges d'informations qui doivent animer la vie d'une bibliothèque. Il nous est plus facile de changer nos discours que nos pratiques et nos pratiques que nos convictions ; si nous ne sommes pas convaincus de cette nécessité de la transparence de la circulation de l'information interne, nous ne parviendrons jamais à créer cet «esprit d'entreprise sans lequel il n'est pas possible d'engager un service dans un projet de modernisation globale qui requiert la participation de tous ses agents.

    Les techniques de la formation apportent peu de résultats quand elles ne sont pas mises en oeuvre avec un véritable esprit de formation, c'est-à-dire d'échange et de partage, et la modernisation des bibliothèques passe plus par une remise en question fondamentale des relations hiérarchiques et de l'organisation du travail que par l'installation d'une quincaillerie électronique, aussi sophistiquée soit-elle.

    N. B. La rédaction du Bulletin m'avait demandé un texte sur la -formation au changement Ne souhaitant pas faire un récit d'expérience j'ai préféré apporter cette réflexion générale. Les lecteurs qui désireraient en savoir plus sur la façon dont ces principes ont pu être appliqués consulteront le mémoire de DSB et DESS réalisé à l'ENSB en 1991 par Evelyne Dupessey: Projets de construction et développement en réseau pour les bibliothèques publiques de Saint-Étienne et Montréal : la recherche d'un nouvel équilibre, p. 6, 17118, 35/38.