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    Politique de la ville et lecture publique

    Les dispositifs et les enjeux

    Par Gilles Lacroix, Conseiller technique pour le Livre DRAC Rhône-Alpes

    Protohistoire

    L'action dans la ville et les milieux défavorisés, pour le développement culturel en général et spécialement pour celui de la lecture publique, a précédé la création du concept de politique de la ville et se poursuit aussi depuis. Que l'on pense à la mise en place de réseaux de lecture publique dans les villes, à la construction de bibliothèques dans les quartiers, politique typiquement structurante, jouant sur l'accroissement de l'offre de lecture de proximité, qui est initiée de façon très dynamique depuis une vingtaine d'année (plus encore depuis dix ans) par les communes urbaines, avec le concours de l'État.

    La réforme de 1992-93 du concours particulier de la DGD pour les bibliothèques municipales a rompu avec un ordre imposé qui obligeait les villes à construire une bibliothèque centrale avant d'équiper leurs quartiers et permet aujourd'hui opportunément de subventionner des constructions d'annexes indépendamment de l'existence de centrales. Et qu'est-ce qu'une centrale, du reste, dans les villes sans centre ville, faites de quartiers éclatés que séparent des voie rapides ou des bretelles d'autoroutes ?

    Que l'on songe aussi à la politique d'animation culturelle menée au profit des publics défavorisés des villes. Deux exemples pris à Grenoble l'illustrent : les ateliers d'écriture d'été pour de jeunes Maghrébins organisés par l'association « Parfum de la terre » ; la manifestation « Multi-regard et son Géant-Livre qui investit chaque année le quartier de la Vil-leneuve.

    Très nombreuses sont ces actions menées par des partenaires locaux et souvent soutenues, pour les plus marquantes d'entre elles, par les DRAC.

    Qu'est-ce que la politique de la ville ?

    À la fin des années quatre-vingt va émerger le concept de « politique de la ville », qui signifie d'abord, de la part de l'État, la volonté d'une action coordonnée, cohérente, lisible au bénéfice des quartiers défavorisés. Deux premiers dispositifs sont créés : le développement social des quartiers (DSQ), le développement social urbain (DSU).

    En 1990, un pas symbolique est franchi avec la création de la DIV, Délégation interministérielle à la ville, préfigurant le ministère de la Ville, créé lui-même en 1991, et dont l'essentiel des compétences est aujourd'hui exercé par le ministère de l'Intégration et de la lutte contre l'exclusion (décret d'attribution du premier juin 1995).

    Les caractéristiques principales de cette politique de la ville sont les suivantes :

    • il s'agit d'une politique interministérielle,
    • il s'agit d'une politique menée en partenariat contractuel avec les collectivités territoriales,
    • il s'agit d'une politique basée sur une géographie prioritaire définie dans le cadre du Contrat de plan.

    Une politique interministérielle

    La Délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain est placée aujourd'hui sous l'autorité du ministre chargé de l'intégration et de la lutte contre l'exclusion, mais son origine et sa vocation sont clairement interministérielles.

    Il en va de même pour le Fonds interministériel d'intervention pour la politique de la ville (FIV), cadre budgétaire nouveau créé en 1995. La globalisation des crédits a été obtenue en prélevant sur le budget des différents ministères, afin d'abonder une enveloppe commune.

    Les maîtres d'oeuvre sur le terrain de cette politique sont les Préfets de région, pour ce qui est de la répartition entre départements des enveloppes régionales, et les Préfets de département pour l'affectation des crédits aux différentes opérations.

    Le budget global de la politique de la ville comprend, pour simplifier une matière complexe, deux parts :

    • une part « contractualisée » (qui représente, en Rhône-Alpes, 60 % de l'ensemble, soit 55 millions de francs), destinée exclusivement aux dispositifs contractuels avec les collectivités locales (essentiellement, les villes) ;
    • une part hors contrats, correspondant à la politique propre de l'État (40 % de l'ensemble, en Rhône-Alpes, soit 35 millions de francs), constituée de prélèvements directs sur les crédits des divers ministères (ainsi pour la culture en Rhône-Alpes, un premier transfert opéré en 1991 a prélevé 4 millions de francs sur les crédits d'action culturelle de la DRAC en provenance de la DDF, et à nouveau 2 millions de francs en 1995).

    Une politique contractuelle

    L'essentiel des moyens de la politique de l'État font donc l'objet d'une contractualisation. Celle-ci prend la forme de contrats de ville (214 ont été conclus, au plan national, pour tout la durée du XIe Plan, soit de 1994 à 1998), de grands projets urbains (12 au plan national dont les GPU de Vénissieux et Vaulx-en-Velin en Rhône-Alpes), de contrats d'agglomération (ainsi pour 54 communes de la région lyonnaise et 8 de la région grenobloise) ou encore de « PACT urbains englobant un territoire comprenant plusieurs agglomérations.

    Ce qu'il faut savoir, c'est que dans ces procédures, les propositions d'action proviennent des collectivités locales, pour être ensuite soumises à l'agrément de l'État.

    La place de la culture

    Bien évidemment, la culture n'est qu'un volet (minoritaire) de la politique de la ville. Le ministère de la Culture apporte 8,5 % de la masse des crédits concernés.

    La politique de la ville comporte bien d'autres aspects, quantitativement plus importants :

    • le développement économique et l'insertion par l'économie,
    • la politique de prévention de la délinquance et de la toxicomanie,
    • l'aménagement de l'espace et de l'habitat,
    • l'action pour l'insertion des jeunes par le développement de la pratique sportive.

    La politique autonome du ministère de la Culture

    À l'inverse, la quote-part du ministère de la Culture dans la politique interministérielle en faveur de la culture ne représente pas tous ses efforts dans ce domaine. De même que les autres ministères, celui de la culture a également une politique autonome en faveur des quartiers défavorisés.

    Ainsi en 1994 la DRAC Rhône-Alpes a-telle consacré 200 000 francs aux actions dites de développement de la lecture, dont la majeure partie ressortirait à la politique de la ville. Un seul exemple pour l'illustrer : le maintien de l'insertion dans l'équipe de la bibliothèque de Vaulx-en-Velin (Rhône) d'un « médiateur du livre dans les quartiers », en partenariat avec la ville et une association de tsiganes parce que, comme le dit si bien ce médiateur : « les bibliothèques, c'est encore souvent réservé à une élite et que « le savoir, il faut l'amener dans la rue, jusqu'à ce qu'elle se l'approprie elle-même ».

    Mode d'emploi

    D'une manière générale, la politique de la ville a deux axes majeurs d'intervention :

    • le développement de l'offre culturelle sur les sites de la géographie prioritaire (qui comporte la mise en oeuvre de lieux ou d'actions culturels et artistiques de proximité, comme les annexes de bibliothèques ou les cafés-musique).
    • l'amélioration de l'accès à l'offre culturelle et artistique pour les publics qui s'en trouvent le plus éloignés de par leur situation géographique, socio-économique, leur origine étrangère ou leur âge (action de médiation culturelle et de sensibilisation des publics).

    Cette politique prend appui sur les ressources existantes, les équipes et les équipements culturels et artistiques de valeur existants, et en particulier les bibliothèques.

    Aux bibliothécaires donc d'être présents dans ce mouvement. La part de la culture, a fortiori celle du livre et de la lecture, n'est pas réservée (même si l'on peut en évaluer le montant théorique par la « mise du ministère au pot commun). Elle n'est pas non plus limitée. À vous, à nous, de jouer, en somme, d'oser aussi. Les bibliothèques sont déjà plus présentes dans les divers dispositifs qu'elles ne l'étaient dans un passé récent, mais on peut encore mieux faire.

    Dans ma région, entre autres exemples, j'ai surtout noté la remarquable implication des bibliothèques dans le dispositif de PACT urbain de la vallée du Gier (Rive-de-Gier, Givors, Saint-Chamond). À partir de leur participation à un groupe de travail modestement intitulé « événements festifs et sportifs elles ont su ensuite assurer la présence du livre dans la plupart des événements organisés par les collectivités partenaires, bien que certains ne semblaient pas y être prédestinés.

    Les collectivités locales ayant assez largement l'initiative des propositions, comme on l'a dit, les responsables culturels - bibliothécaires en tête - doivent donc se rapprocher des chefs de projet de quartier et des membres des équipes de pilotage des contrats de ville (ou assimilés) qui dépendent des municipalités (ou des organismes de regroupement de communes) afin de leur faire des propositions qui puissent ensuite faire partie des actions présentées aux services de l'État.

    Ces responsables peuvent aussi prendre contact directement avec les représentants de l'État (pour la partie hors contrat de la politique de la ville), c'est-à-dire avec les correspondants départementaux de la politique de la ville dans les préfectures et avec les conseillers pour le livre et la lecture (ou encore avec les conseillers chargés de la politique de la ville, dans quelques cas) des Directions régionales des affaires culturelles.

    On l'a compris, même si la concurrence est grande et les processus de décision complexes, la part du livre dans la politique de la ville sera aussi ce que les professionnels en feront.