Moncalieri est une ville d'environ 58000 habitants de la petite ceinture de Turin. La réouverture de la bibliothèque municipale en 1995 sur un nouveau site d'environ 2 000 mètres carrés nous a permis de la réorganiser. Le bâtiment lui-même est l'un des facteurs de son succès (le nombre d'inscrits ne cesse d'augmenter). Les locaux sont confortables et accueillants. Nous avons porté une attention toute particulière à la signalétique pour que le nouveau lecteur se déplace tout de suite facilement et de façon autonome dans les salles en accès libre. La bibliothèque n'est pas axée sur un seul média, mais offre aux lecteurs des livres, des périodiques, des documents audiovisuels, un réseau télématique, des oeuvres d'art (en Italie, les médiathèques sont moins nombreuses qu'en France).
Notre objectif était de réaliser un grand projet culturel qui garantissait à tous l'accès à la documentation et à l'information. À tous, cela signifie aussi à tous les exclus.
Une page de notre site Internet est consacrée aux activités et à l'échange d'idées autour des publics « empêchés ». C'est véritablement grâce à cette page, intitulée « Sans barrière », que nous avons pu entrer en contact avec plusieurs bibliothèques intéressées par le sujet (notamment avec la bibliothèque de Cologno Monzese, près de Milan, dont les objectifs sont les mêmes que les nôtres), qui étudient avec nous la mise en place d'une coopération nationale tournée vers les publics exclus et plus particulièrement vers les handicapés.
Rendre la bibliothèque utilisable par tous y compris par les handicapés, cela signifie faire tomber non seulement toutes les barrières liées à l'architecture, comme le prescrit la loi italienne, mais faire tomber aussi celles liées aux moyens d'information.
Le projet initial prévoyait l'accueil des handicapés physiques et/ou mentaux grâce à des aménagements spéciaux et à des moyens informatiques. Le but était de fournir des services à tous les types de handicaps.
Nous avons donc mis en place un poste d'information équipé :
L'attention que la bibliothèque a portée aux problèmes liés à l'utilisation du service par des handicapés a favorisé la naissance d'un groupe de travail composé de membres du personnel, de professionnels du secteur éducatif et de représentants du groupe H de l'Inspection académique de Turin, des associations de handicapés italiens et du Centre de documentation handicaps de Moncalieri.
Nous avons ainsi travaillé avec des éducateurs et un groupe d'adultes handicapés mentaux qui utilisent notre matériel électronique et des programmes spécialement mis au point. La bibliothèque offre, notamment aux handicapés moteurs et sensoriels, des outils qui leur permettent de pallier leurs déficits.
Ce sont des logiciels éducatifs de l'ASPHI de Bologne (Association pour le développement de programmes informatiques pour handicapés) pour enfants handicapés moteurs et/ou mentaux. Ces logiciels didactiques conçus pour faciliter l'apprentissage et souvent présentés sous forme de jeux peuvent être utilisés aussi bien par des adultes handicapés mentaux et que par des enfants normaux.
Par ailleurs, nous pensons aussi toucher le handicapé de façon individuelle au moyen d'un support publicitaire ciblé et distribué à l'hôpital, dans les pharmacies et dans les cabinets médicaux.
Pour ce qui est de la formation, tout le personnel a participé au congrès annuel organisé dans les locaux de la bibliothèque et consacré aux nouvelles technologies liées plus particulièrement aux handicaps, et a suivi des stages de perfectionnement sur les derniers matériels informatiques spécifiques que nous avons acquis.
Au bout d'environ trois ans d'expérience, nous nous sommes rendu compte que, d'une part, il était indispensable pour nous de compléter notre formation pour être de véritables médiateurs entre la bibliothèque et les handicapés et que, d'autre part, il était désormais opportun de cibler un handicap particulier et d'y travailler. En 1999, nous travaillerons pour le public de non-voyants. Tout le personnel sera donc formé à l'utilisation des matériels informatiques de façon à offrir des services plus performants. Nous avons pensé, grâce à l'enseignant aveugle qui assure les cours, à offrir un service de « photocopies pour non-voyants s. Il s'agit de scanner les pages demandées par l'usager et de les transférer sur disquette pour que l'ordinateur en fasse la lecture au moyen de la synthèse vocale. Ainsi, le non-voyant a accès à la même information que celui qui voit. Nous n'acquerrons pas de livres parlés parce que la bibliothèque de Moncalieri est à quelques kilomètres de la Bibliothèque municipale centrale de Turin, qui offre depuis des années un excellent service de quelques milliers de titres qui peuvent être empruntés même par nos lecteurs non-voyants ou malvoyants.
Toutes ces expériences, et le travail des éducateurs et des enseignants, sont disponibles sur support électronique auprès de notre centre de documentation, qui constitue ainsi la mémoire de tout notre travail. « En effet, nous avons pensé qu'il était très important de conserver la documentation de nos expériences, de recueillir et de conserver tout le matériel papier et informatique issu des expériences en cours ou élaborées pour le futur. Pour cela, nous avons équipé une petite salle accessible à tous ceux qui s'intéressent à ces sujets d'un point de vue professionnel. Il est ainsi possible de voir le matériel informatique et les logiciels, de les expérimenter avec les usagers handicapés, de visionner et de décharger les logiciels libres de droits. Sur le PC de cette salle sont aussi conservés les documents (textes, applications, etc.) créés par les usagers et les écoles de la région et par tous ceux qui veulent bien communiquer leurs réalisations (1) ».
Comme je l'ai déjà dit, la réouverture de la bibliothèque ne date que de quelques années. Au début, nous avons surtout porté nos efforts sur le retour des lecteurs qui s'étaient détournés de la bibliothèque. Après quatre ans, nous pouvons affirmer que les résultats sont louables et que la bibliothèque est devenue un véritable pôle culturel. Elle est d'ailleurs connue au niveau national pour son travail en direction des publics exclus.
Cependant, si on analyse les données statistiques, nous constatons que les inscrits de plus de 40 ans sont relativement peu nombreux et que ceux qui ont plus de 60 ans sont très peu nombreux. La plus grande partie des usagers sont des jeunes qui utilisent la bibliothèque pour des besoins d'ordre scolaire. Il est certain qu'encore beaucoup d'habitants ne savent pas que la bibliothèque existe, et que d'autres n'ont pas la possibilité d'y venir pour des raisons de distance, d'horaires, ou par empêchement d'ordre familial ou professionnel.
Nous avons donc décidé de poursuivre notre travail sur deux fronts :
Sur la base des expériences de quelques bibliothèques - par exemple celle de Castel Fiorentino à Florence, qui a créé un service « hors les murs » en installant des postes de prêt à la gare, chez les coiffeurs, à la poste, dans les supermarchés -, il a été décidé de promouvoir la lecture en modifiant les règles de prêt et de réduire au minimum les obstacles tels que la distance, l'incompatibilité d'horaires et toutes les autres raisons qui empêchent une grande partie des gens d'entrer dans la bibliothèque.
Pour commencer, nous avons décidé d'installer des postes de prêt dans des institutions déjà existantes et qui ont bien voulu se prêter à l'idée. En 1999, comme nous souhaitons une collaboration indispensable avec les services sociaux et les associations, nous prévoyons, dans les quartiers éloignés, la création de points-prêt et la réalisation d'actions culturelles.
Les parents peuvent consulter sur place ou emprunter les livres de la bibliothèque municipale qui traitent de sujets spécifiques tels que l'enfance, l'alimentation, la psychologie infantile, etc. Si l'expérience s'avère positive, elle sera progressivement étendue à d'autres crèches de Moncalieri.
Deux fois par semaine, du personnel qualifié de la bibliothèque passera dans les chambres avec un chariot de livres de loisirs, des romans et des nouveautés. Les malades pourront les emprunter et les rendre selon des modalités souples. Au moment de la rédaction de cet article, une centaine de titres sont déjà mis à disposition, mais des problèmes internes à l'hôpital n'ont pas encore permis au service de commencer. Cependant, le projet a retenu l'attention du personnel hospitalier dans la mesure où cela leur semble être une amélioration de la qualité de vie des patients.
En accord avec le personnel hospitalier, il est question de proposer aux enfants hospitalisés les ateliers de lecture et de créativité que nous avons déjà expérimentés. Il s'agit, soit de les distraire et de leur faire oublier un moment leurs souffrances, soit de fournir aux mamans des idées pour aider leurs enfants à passer le temps plus agréablement. De plus, nous sommes en train d'étudier les moyens qui permettraient de réaliser un dialogue télématique avec les plus jeunes malades. Une caméra nous filme pendant une animation en bibliothèque, en temps réel. Un modem permet de connecter nos ordinateurs avec une caméra digitale portable à l'hôpital et, selon le principe de la téléconférence, nous pouvons ainsi faire participer les enfants hospitalisés. Les enfants pourront dessiner sur des pages électroniques tout comme ceux de la bibliothèque dessineront sur les feuilles de papier et, grâce à la télécaméra, les uns et les autres prendront connaissance de leurs travaux respectifs.
La bibliothèque municipale est peu fréquentée par les étrangers, sauf quelques Américains et Européens. Les minorités ethniques et linguistiques ont sûrement des difficultés à utiliser la bibliothèque. Nous avons donc pensé créer un service de prêt de livres et de revues en langues étrangères et de livres en italien dans des lieux fréquentés soit régulièrement, soit par nécessité par les étrangers. Nous avons déjà pris contact avec les enseignants intéressés et nous comptons ouvrir le service à l'automne. Dans ce domaine, l'aide des bibliothèques de Turin nous est précieuse puisqu'elles travaillent depuis des années sur l'accès des étrangers.
Tous les bibliothécaires souhaitent bien sûr que le fait d'aller à la bibliothèque devienne une habitude, tout comme le fait d'acheter le journal ou de manger. Nous savons cependant que la bibliothèque doit être distante au plus de 1,5 kilomètre (standard IFLA) du domicile, sinon n'y viennent que ceux qui sont déjà motivés. Moncalieri est composé de plusieurs bourgades éloignées les unes des autres et souvent mal desservies. Il est donc question d'ouvrir des services de prêt dans ces bourgs ou bien d'y faire circuler un bibliobus.
Afin que personne ne soit exclu de la nouvelle révolution technologique, nous pensons aussi déconcentrer les initiatives culturelles. On peut organiser dans les bourgades alentour des activités semblables à celles déjà expérimentées à la centrale. En accord avec les associations d'habitants, nous pourrons pour cela utiliser les points d'information jeunesse ou les locaux communaux.
C'est un service qu'il faut étudier de près pour ne pas risquer de faire de l'assistanat. À ce sujet, j'ai eu l'occasion en mars dernier de participer à une journée d'étude sur la lecture et les personnes âgées intitulée « Parce que vieillir, c'est lire le temps organisée à Grenoble par Médiat et le Centre pluridisciplinaire de gérontologie. Nous avons débattu d'idées très intéressantes qui donnent sujet à réflexion pour toutes les bibliothèques travaillant sur l'exclusion.
Notre but est de fournir un bon service de prêt aux personnes âgées de la commune qui sont dans l'impossibilité physique de venir à la bibliothèque. Il s'agit, dans le même temps, de fournir aussi à celles qui ne sont pas intéressées par la lecture personnelle, ou qui ont des difficultés pour lire, un service d'animation culturelle (lecture à haute voix par des professionnels, des acteurs, etc.). Une action est plus facilement réalisable auprès des institutions qu'auprès des particuliers, ces derniers étant difficilement joignables pour des raisons à la fois de méfiance et de crainte de ce qui leur est étranger.
L'administration communale, en particulier le maire et l'adjoint à la culture, a montré le plus grand intérêt pour la bibliothèque aussi bien en tant que service de lecture publique qu'en tant que centre de promotion culturelle pour toute la ville. On peut affirmer que la ligne suivie par la bibliothèque et ses activités en faveur des publics exclus ont été élaborées et menées dans une étroite collaboration entre fonctionnaires et politiques. L'inauguration de la nouvelle bibliothèque a été le prétexte d'une série d'études sur l'art et la culture du pays (Moncalieri est d'origine médiévale, mais dans certains endroits on a mis au jour des vestiges d'époque pré-romaine. De plus, l'histoire de la cité est liée à celle de la famille de Savoie du XIIIeau XXesiècle). Cette inauguration a aussi été à l'origine d'une collaboration avec les principales institutions culturelles de Turin (Musée égyptien, galerie d'Art moderne et contemporain) et avec d'importants artistes contemporains. La volonté politique de relancer l'image culturelle de la cité grâce aux initiatives de la bibliothèque a eu pour résultat une augmentation du nombre des usagers, et de l'intérêt non seulement des non-résidents mais aussi des organes de presse. L'attention que nous voulions porter aux publics exclus a été confirmée par le soutien politique. Ainsi, c'est précisément grâce à l'intérêt de l'adjoint à la culture que nous avons eu dès le début des moyens pour aider les handicapés. L'administration communale, du côté de la majorité aussi bien que de l'opposition, a toujours été favorable aux activités en direction des publics exclus, et on attend beaucoup des « bibliothèques hors les murs ». qui devraient représenter un important enjeu dans la politique de déconcentration des services voulue par l'administration.
Cependant, si dans les intentions tout le monde est d'accord, il n'en est pas de même pour les attributions des ressources. La réouverture du bâtiment a coûté quelques centaines de millions de lires, pour la restructuration (la bibliothèque est une ancienne usine d'allumettes) comme pour les aménagements intérieurs et l'informatisation. Notre budget d'acquisition de livres est actuellement réduit. Toutes les dépenses de fonctionnement de la bibliothèque sont à la charge de la commune, remboursées en partie par la région sur le crédit alloué à la commune pour l'acquisition du matériel et sur les subventions d'aménagement. Le personnel est entièrement à la charge de la commune. Aujourd'hui, douze personnes travaillent à la bibliothèque, dont cinq seulement ont une formation spécifique, ce qui est en complète inadéquation avec les exigences croissantes du service.
La bibliothèque municipale de Moncalieri est en passe de devenir « célèbre », notamment pour ses équipements informatiques destinés aux handicapés, grâce à la bonne volonté de son personnel et à quelques enseignants. Des bibliothèques beaucoup plus grandes nous demandent des informations et des éléments de comparaison. Paradoxalement cependant, les habitants de Moncalieri et peut-être même ceux qui la fréquentent ignorent presque sûrement les possibilités qu'elle peut offrir. Quand nous présentons le programme « Sans barrière » tous s'en réjouissent et en sont fiers, mais, quand des groupes de handicapés accompagnés d'un éducateur utilisent les ordinateurs ou écoutent de la musique et font du bruit, certains usagers les regardent un peu de travers. On peut affirmer cependant que la bibliothèque a un impact incroyable sur les publics et les organismes d'information, et que ceci contribue à la croissance de son succès auprès des usagers ordinaires.
Pour toute information ou si vous voulez me faire part de vos réflexions :
Biblioteca civica di Moncalieri
Tél. : 0039 011 640 1602
Fax: 0039 011 644423
Notre site Web :
www.comune.moncalieri.to.it/biblio/biblio.htm +