Index des revues

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    Hommage à Jacqueline Viaux

    Une vie érudite, active, passionnée

    Par Nicole Picot, Présidente de la Sous-Section des bibliothèques d'art

    Une vie consacrée à sa passion des livres d'art

    Jacqueline Viaux connaissait tous les aspects de la vie des livres, elle les avait pratiqués tous avec bonheur. Suivant le brillant exemple de son père, l'historien d'art Jean Locquin, qui avait publié La peinture d'histoire en France de 1747à 1785. - Paris : Laurens, 1912, elle fut l'auteur de nombreux ouvrages sur sa spécialité : le mobilier civil français et les bois. Elle publia entre autres Le meuble en France. - Paris, PUF, F, 1966, dans la célèbre collection « Le Lys d'or », et tout récemment Les bois d'ébénisterie dans le mobilier français. - Paris : Léonce Laget, 1997.

    Très sensible au livre de référence, elle est mondialement connue pour sa Bibliographie du meuble : mobilier civil français. - Paris: Société des amis de la Bibliothèque Forney parue en trois tomes de 1966 à 1998, après sa thèse de doctorat de 3ecvcle : Étude critique de la bibliographie du meuble civil français, présentée devant la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris en 1966. Cette somme remarquable place son travail, méthodique et rigoureux, dans la lignée des grands bibliographes. Elle partage la rigueur de ses recherches et son intérêt pour les travaux bibliographiques avec les plus grands : Jean Joseph Marquet de Vasselot (Bibliographie de l'orfèvrerie et de l'émaillerie française.

    • Paris : A. Picard, 1925), Roger Armand Weigert (Bibliographie de la tapisserie, des tapis et de la broderie en France. - Paris : Armand Colin, 1935 - en collaboration avec J.-J. Marquet de Vasselot et René Colas (Bibliographie générale du costume et de la mode. - Paris: René Colas, 1933).

    Sa connaissance de l'ébénisterie et des bois est le fruit de sa collaboration avec les ébénistes du faubourg Saint-Antoine où était modestement installée la Bibliothèque Forney.

    Elle fut également directeur de la très utile collection « Les Précis techniques », édités par Dessain et Tolra, sous l'égide de la Société d'encouragement aux métiers d'art (SEMA), organisme dont elle soutint la création en 1976. Nous nous souvenons tous de ces petits volumes, au format italien, si richement i Il ustrés, et aux explications techniques essentielles.

    Elle mit ses connaissances du domaine des livres au service de ses élèves de l'École des bibliothécaires et documentalistes de l'Institut catholique (rue d'Assas, à Paris) où elle enseigna l'histoire du livre de 1958 à 1985. Nombreux sont les collègues qui se souviennent de son enseignement.

    Elle prit aussi une part importante dans les publications de la Bibliothèque Forney : de nombreux bulletins et catalogues d'exposition mais tout particulièrement les 7 volumes de son « Catalogue matières » qui parut de 1970 à 1980.

    Une vie professionnelle dédiée à la Bibliothèque Forney de 1942 à 1980

    « Fascinée par tout ce que contenaient les livres, je décidai, vers l'âge de 14 ans, de passer ma vie au milieu d'eux, c'est-à-dire de devenir bibliothécaire ». C'est ainsi qu'elle décrivait sa vocation. Elle fut l'élève de Gabriel Henriot, son prédécesseur à Forney, introducteur en France des méthodes de la bibliothéconomie anglo-saxonne, fondateur de la première école française de bibliothécaires, école privée dans le cadre de l'Institut catholique de Paris. Elle fut reçue au Diplôme technique de bibliothécaire en 1950.

    Elle mit toute son énergie au service de la Bibliothèque Forney qu'elle amena au point de perfection que nous connaissons. Elle sut motiver toute l'équipe pour en faire une bibliothèque de référence essentielle pour tous les artistes, les artisans et les historiens des.arts décoratifs, les étudiants comme le large public. Elle la dirigea de 1951 à 1980 après y avoir été nommée, au sortir de ses études de lettres classiques, en 1942. Elle y exerça ses fonctions dans des conditions particulièrement difficiles pendant la guerre, souffrant de faim et de froid, comme ses collègues. Il fallu tout son sens de l'organisation et son efficacité pour aplanir les difficultés du déménagement et de l'emménagement dans l'Hôtel des archevêques de Sens, dans le Marais, en 1961. Cet hôtel du XV siècle n'avait pas été vraiment réaménagé par l'architecte pour abriter des bureaux, une bibliothèque de 60 000 livres, une énorme collection de documents iconographiques et une équipe de cinquante personnes. Forney fut alors la première bibliothèque qui présentait une partie importante de son fonds, en libre accès, en suivant un classement décimal. Elle y installa également le Service « Biblio-Service métiers d'art » qui y fut hébergé de 1976 à 1985 et qui est maintenant à Aix-en-Provence.

    Une vie professionnelle au rayonnement national et international

    Les différents aspects de sa vie s'enrichirent toujours l'un l'autre. Elle partagea son expérience de bibliothécaire d'art avec de nombreux collègues en France et dans le monde entier pour le plus grand bénéfice de nous tous par son engagement dans notre association. Elle fut du premier groupe de collègues qui épaulèrent madame Honoré, alors présidente de l'ABF, dans la création de notre Sous-section le 16 novembre 1967, une des associations de bibliothécaires d'art les plus anciennes. Nous avons relaté cette aventure dans le Bulletin n° 178, à propos de notre 30eanniversaire. De 1973 à 1979, elle succéda à la première présidente : mademoiselle Suzanne Damiron, directrice de la bibliothèque d'Art et d'Archéologie, faisant de cette section, parmi les neuf existantes alors, et avec celle de la médecine, une des plus actives dans le cadre des bibliothèques spécialisées. Elle publia trois éditions de l'annuaire des bibliothécaires d'art en France, en 1975, 1976 puis 1978 et le Répertoire des bibliothèques et centres de documentation d'histoire de l'art de la région parisienne en 1978, avec Huguette Rouit. Elle encouragea un projet coopératif remarquable bien que non publié : un catalogue collectif informatisé des périodiques d'art.

    Son regret fut de ne pas avoir mieux avancé « dans une politique d'entente pour les achats, les démarches auprès des éditeurs pour obtenir de meilleures publications sur l'art, l'établissement d'un thesaurus d'histoire de l'art, [de] catalogues de collections de ventes d'art » (projet cher au professeur Jacques Thuillier). Ce dynamisme initial est notre part d'héritage et toutes ces préoccupations sont toujours les nôtres. Le travail sur le thesaurus est en cours, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, service de la liste autorité Rameau.

    Cette ouverture et cette indomptable énergie l'amenèrent à jouer également un rôle décisif au sein de l'International Federation of Libraries Associations (IFLA). Elle milita avec nos collègues anglais et américains pour la constitution d'un groupe spécifique aux bibliothèques d'art dès 1973. On obtint le statut de Table ronde au congrès de Bruxelles en 1977, puis celui de Comité permanent au congrès de Leipzig en 1981. Elle fut tout naturellement la première présidente de 1977 à 1981. Elle nous avait raconté cette magnifique et difficile expérience lors de notre congrès de Grenoble en 1996. Son texte est paru dans le Bulletin n° 173, 4etrimestre 1996. C'est dans ce cadre qu'elle anima une équipe basée à la bibliothèque de l'École du Louvre, sous la direction attentive d'Huguette Rouit, et réalisa : « IFLA Directory of art libraries. Répertoire de bibliothèques d'art de l'IFLA. Addressbuch der Kunstbibliotheken von IFLA. Directorio de bibliotecas de la IFLA.- New York, London : Garland publ., 1985.- 480 p. Ce répertoire international présente 622 établissements de 46 pays, sauf des États Unis, nos collègues américains ayant déjà le leur. Jacques Lethève, conservateur en chef honoraire à la Bibliothèque nationale et vice-président de l'IFLA, avait vérifié toutes les notices et établi l'index matières, avec l'aide de madame François.

    Notre collègue anglais Trevor Fawcett, fondateur d'ARUS/UKand Ireland (Association des bibliothécaires d'art anglais) écrivit en 1991 « Jacqueline Viaux doit être considérée comme un personnage clé de la bibliothéconomie d'art européenne ». Retracer sa carrière, c'est écrire une page de l'histoire des bibliothécaires d'art.

    Elle avait reçu de nombreuses distinctions : la grande médaille d'or de la Ville de Paris en 1980, lors de son départ à la retraite. L'Association des bibliothécaires d'art nord-américains lui remit l'ARLIS/NA Distinguished Service Award en 1991, à Kansas City. Elle fut la première Européenne à recevoir cette distinction.

    C'est donc avec un immense respect et une grande admiration que nous garderons le souvenir de cette collègue exemplaire. Elle restera dans nos mémoires autant pour toutes ses compétences d'historienne d'art, de bibliothécaire d'art que pour la chaleur de son amitié.

    Je remercie chaleureusement Anne Claude Lelieur, directrice de la Bibliothèque Forney, qui m'a très aimablement communiqué de nombreux éléments de cet hommage et son titre ainsi qu'Huguette Rouit pour la précision de sa mémoire.