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    Marguerite-Marie Untersteller

    Par André Hincker, directeur bibliothèque départementale du Bas-Rhin
    Par Simone Lévy, conservateur général honoraire.

    Marguerite-Marie Untersteller nous a quittés le 30 novembre dernier à l'âge de 66 ans. Initiée à la lecture publique par René Fillet, directeur de la BCP d'Indre-et-Loire, elle avait été nommée en décembre 1962 à la direction de la BCP du Bas-Rhin. Elle y est restée pendant 34 ans, « la durée d'une carrière ».

    Marguerite-Marie Untersteller portait un intérêt profond et constant à la lecture publique en milieu rural, dont elle s'efforçait de connaître tous les aspects. Mais ce qu'il convient de retenir avant tout, c'est la capacité qu'elle avait d'anticiper les mouvements, les évolutions de la société et notamment ceux du monde rural.

    Elle a sans doute compris parmi les premiers l'importance du prêt direct, qu'elle a mis en pratique dans le Bas-Rhin dès 1967. Elle a également été un des premiers professionnels à vouloir repenser les mécanismes du développement culturel dans les campagnes ; c'est ainsi que, dès 1986, elle a décidé de faire évoluer le territoire départemental vers le développement d'un réseau de petites bibliothèques dans les communes.

    Les mérites de Marguerite-Marie Untersteller ont été reconnus par sa nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur. Ses qualités de combativité, de dynamisme, de persévérance au service d'une cause à laquelle elle croyait profondément étaient cachées sous un abord accueillant, attentif à chacun. Tout son esprit se retrouvait dans son sourire vivace et lumineux qu'il nous est impossible d'oublier.

    Nous n'oublierons pas non plus les rapports amicaux qu'elle entretenait avec les maires et les nombreux bénévoles du réseau, grâce à la chaleur qui l'animait et qu'elle savait transmettre.

    Sur la banquette élimée du centre d'examens de la rue de Richelieu, nous étions assises et nous pleurions (enfin, pas vraiment, c'est seulement pour la beauté de la citation)... C'était dans la seconde moitié du xxe siècle, avant la naissance de l'ENSB, et nous attendions toutes deux les résultats de l'oral du concours des bibliothécaires (qui n'étaient pas encore conservateurs à cette époque), dans le local vieillot et sombre où seuls la gentillesse et le sourire du cher Roux-Fouillet mettaient quelque lumière et quelque chaleur.

    Toutes deux avec inquiétude, mais pas pour les mêmes raisons : moi, j'avais simplement peur de m'être fait coller, Marguerite-Marie, qui avait appris que je venais d'Alsace, mais pas que les directions des deux BCP étaient vacantes, craignait, elle, que je ne lui souffle le poste du Bas-Rhin qu'elle convoitait. Je compris quelques mois plus tard qu'elle ne pouvait douter d'être reçue, en entendant ce que disait d'elle l'inspecteur général Brun : qu'il s'agissait d'une universitaire brillante, qui pouvait prétendre aux postes les plus prestigieux, mais qui avait choisi de servir en BCP parce qu'elle avait le sens du social... Va pour le social, monsieur l'Inspecteur général. Elle allait faire la preuve qu'on pouvait être une grande bibliothécaire en BCP sans déroger en tant qu'universitaire, et qu'une BCP était une bibliothèque à part entière.

    C'est ainsi que nous fîmes connaissance et que nous devînmes amies, même si nos obligations respectives nous empêchèrent à la longue de nous rencontrer autrement que professionnellement, et puis même plus du tout à la fin.

    Marguerite-Marie (pas d'apocope ou d'aphérèse sur son prénom, sinon gare au rappel à l'ordre), c'était le feu de la passion pour son métier, pour les livres, pour la culture, pour faire partager cette culture, pour les arts et surtout ceux qu'elle pratiquait, pour l'amitié. Mais c'était aussi la glace pour sa rigueur et sa conscience professionnelle, pour ses talents d'organisation et de gestion que je ne lui enviais même pas tellement ils me semblaient inaccessibles. Honte à ceux qui, avec quelle injustice, ont obscurci, empoisonné, délégitimé ses dernières années d'activité, alors que je me souviens comment, immobilisée sur un lit d'hôpital par un grave accident survenu pendant le service, et qui allait la laisser handicapée pour le restant de ses jours, elle se faisait apporter jour après jour les dossiers à traiter.

    Je me souviens des rencontres inter-BCP, d'abord entre nos deux départements, puis dans tout l'Est, rencontres conviviales mais aussi de travail avec la création de la revue À livre ouvert, à laquelle elle consacra tant d'enthousiasme. Je me souviens qu'elle fut l'initiatrice et le grand maître ès prêts directs en bibliobus. Je me souviens qu'elle fut aussi l'initiatrice radicale de l'abandon de ce même prêt direct, puis bientôt du bibliobus lui-même.

    Je me souviens de ce que, si ses opinions furent à l'opposé des miennes dans ce domaine, elle savait, elle, les étayer d'un discours théorique d'une logique impitoyable. Je me souviens de ce qu'elle a su, une fois sa décision prise et le changement voté par le conseil général, engager une réorganisation gigantesque avec un savoir-faire et un courage extraordinaires. Je me souviens de la voix magnifique que j'entendis un jour traverser la porte de sa chambre d'hôtel, lors d'un congrès de l'ABF. Je savais qu'elle chantait dans une chorale, mais l'ampleur et la beauté de sa voix me laissèrent... sans voix. Je me souviens de la fois où, étant allées ensemble dans sa voiture au Congrès de l'ABF à Versailles, nous tombâmes en panne sèche sur le périph' à 6 heures du soir, et où, l'une au volant et l'autre poussant la voiture, nous dûmes à l'intense activité de nos anges gardiens de rester en vie...

    Je me souviens des fous rires que nous avons partagés à cette occasion, et à d'autres. Je me souviens de l'auréole magique qui la nimbait à mes yeux de lectrice passionnée quand elle évoquait la résidence secondaire de sa famille : Cinq-Mars. Je me souviens des délicieuses poires qui poussaient là-bas et qu'elle m'apportait à ses retours de vacances. Je me souviens de son admiration pour son père, peintre célèbre, et des dons exceptionnels qu'elle avait hérités de lui. Je me souviens avec quelle modestie et quel respect elle parlait de ses « maîtres» et de ses supérieurs hiérarchiques : les Fillet, Caillet, Poindron, Garrigoux... Je me souviens de l'amitié et de l'admiration (voire plus, me semble-t-il maintenant) qu'elle inspirait à son tour à Benigno Cacérès, et des nombreux clubs de lecture qu'elle organisait à son instar.

    Je ne voudrais pas me rappeler que je ne l'ai pas assez vue, que je n'ai pas assez profité de sa présence, que je ne lui ai pas dit tout le bien que je pensais d'elle, et que je n'ai même pas su qu'elle allait nous quitter, trop vite, trop tôt, inscrivant son nom, après d'autres, dans le grand livre des rendez-vous manqués.