Index des revues

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    La bibliothèque de l'Opéra

    Par Louis-Marie Michon

    De l'allocution qu'il prononça en recevant les membres de l'A.B.F., le 8 décembre dernier, M. L.-M. Michon, conservateur en chef du département de la Musique à la Bibliothèque nationale, a bien voulu nous confier le passage suivant, qui constitue une brève monographie de cette bibliothèque, peu connue du grand public.

    La Bibliothèque de l'Opéra emprunte au palais qui l'abrite une somptuosité à laquelle on ne peut pas rester insensible. Dès la cour d'honneur les souvenirs de Napoléon III accueillent les visiteurs : colonnes de granit sommées de l'aigle impériale, candélabres de bronze aux chiffres alternés de Napoléon et d'Eugénie, aigles de nouveau au tympan des grandes portes. Dans cette partie de l'Opéra, conçue à l'origine pour servir de salons de réception à l'Empereur, il n'est peut-être pas déplacé de rappeler une anecdote bien connue : l'Impératrice, un jour, plus sen-sible, dit-on, aux reconstitutions médiévales du grand Viollet-le-Duc qu'à la richesse du décor de Garnier, contemplait les plans et les élévations du palais qui devait être comme le symbole du nouveau règne. « De quel style est donc votre théâtre, Monsieur Garnier ? demanda-t-elle à l'architecte. » La réponse vint, immédiate : « Du Napoléon III, Madame. Vous en plaindriez-vous ? » Et sans doute le décor du palais Garnier ne recule pas devant l'or qui se relève en bosse. Mais nous n'avons pas ici à porter un jugement ni à faire de hasardeuses comparaisons. La chute de l'Empire intervint du reste avant que fût entièrement achevé ce côté du palais : ceci nous permet d'apprécier à son juste prix la beauté architecturale du grand escalier droit qui donne aujourd'hui accès à la rotonde de la bibliothèque, sous ses austères voûtes à la Piranèse, avec ses grands blocs seulement épanelés. Les collec-tions qui sont ici conservées sont dignes de la richesse des salles qui les contiennent. Elles ont le double caractère de bibliothèque et de musée. La bibliothèque, c'est d'abord, j'allais dire c'est surtout, l'extraordinaire série du «Répertoire» qui groupe, dans le vestibule d'entrée, les partitions d'orchestre de la quasi totalité des opéras montés au théâtre depuis le XVIII e siècle : Lully, Rameau, Gluck et leurs émules sont là, quelquefois avec de prestigieux manuscrits autographes : la Naissance d'Osiris de Rameau, l'Armide de Gluck. De Spontini nous conservons les manuscrits de la Vestale et de Ferdinand Cortez ; les Huguenots de Meyerbeer, le Guillaume Tell de Rossini. Des legs et des dons magnifiques continuent incessamment d'accroître nos collections : la plupart des manuscrits de Massenet, des oeuvres importantes de Reyer, de Saint-Saëns, de Lecocq, de Vincent d'Indy ; la Pénélope de G. Fauré, le Saint Sébastien de Debussy. Mais, à côté de ses trésors de musique lyrique, la bibliothèque est fière aussi de ses fonds d'histoire du théâtre, du décor, du costume. Ses collec-tions d'estampes et de dessins originaux (maquettes et costumes), constituées de dons, de legs, d'achats et de dépôts forment une série riche de plus de 60.000 pièces où brillent les noms de Bérain, de Boucher, de Watteau, de Bocquet comme ceux, tous récents de Dignimont, de Touchagues, de Cassandre, de Brayer, de Roland Oudot, de Chapelain-Midy ou de Brianchon. Cette partie de nos trésors forme déjà un riche musée ; le Musée proprement dit contient surtout des souvenirs personnels des plus grands artistes du chant et de la danse ; il présente au public le piano de Spontini et celui de Massenet comme les chaussons de Fanny Elssler ou de Taglioni ; mais à côté de ces documents souvent émouvants, il groupe bien des oeuvres de premier plan : tableaux d'Hubert Robert, dessins de Delacroix, bustes de Carpeaux (Mademoiselle Fiocre) et le célèbre portrait de Wagner par Renoir. Souhaitons que des crédits soient bientôt accordés pour qu'il puisse être installé de telle façon qu'on jouisse de ses richesses aujourd'hui assez médiocrement présentées.