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Les différents emplacements du Cabinet des Estampes 1667-1954

1955

    Les différents emplacements du Cabinet des Estampes 1667-1954

    Par Roger-Armand Weigert

    En 1650, JACQUES DUPUY, garde de la Bibliothèque du Roi, fit, croit-on, étendre aux gravures l'obligation du dépôt, institué en 1537 pour les livres. Quatre ans après, en 1656, le même Dupuy léguait à Louis XIV ses portefeuilles de tailles-douces et d'eaux-fortes. Le Cabinet des Estampes était désormais créé. Il devait inopinément passer de l'enfance à l'adolescence, de la médiocrité à l'opulence en 1667, grâce à l'acquisition par Colbert de la collection de l'abbé de Marolles, qui réunissait près de cent mille pièces. Ses recueils aux plats de maroquin rouge, frappés d'or, trouvèrent un asile dans une des deux maisons de la rue Vivien ou Vivienne, propriété de Colbert, à l'emplacement de l'actuel n° 8, occupé depuis peu par la Bibliothèque du Roi, auparavant rue de la Harpe.

    LE CABINET DES ESTAMPES RUE VIVIENNE. - Un inventaire rédigé en 1684, un journal, composé au cours d'un voyage à Paris, par Martin Lister, médecin et érudit anglais, permettent d'évoquer la décoration ainsi que l'ameublement de la première « chambre ou cabinet » ayant abrité les « livres d'estampes ». Ces derniers étaient disposés sur des tablettes de menuiserie chargées de « sculptures et richement dorées » que protégeaient des rideaux de taffetas vert. Elles se détachaient sur une « tapisserie de cuir doré d'Espagne à fond rouge et grandes fleurs or, blanc et vertes » ; aux fenêtres avaient été accrochés des rideaux « de la porte de Paris, fil et laine », de couleur « verte et blanche à petits carreaux ». Le mobilier comprenait huit fauteuils et six chaises, tendus de velours vert, galonné « d'or et d'argent faux » et des tables de bois de hêtre. Une armoire « appelée le Tombeau de Chilpéric », ordinairement couverte d'un tapis de serge vert d'Aumale, renfermait dans son tiroir et sa layette, le trésor d'orfévrerie découvert à Tournai en 1653 dans la sépulture du père de Clovis ; un cabinet «de cèdre et d'ébène, de pièces de rapport » dissimulait dans ses vingt deux tiroirs de précieuses coquilles. Au mur, se voyaient deux portraits « Claude, femme de François 1 er » et «Elisabeth d'Autriche» peinte par Janet ; sur la cheminée, trois bustes de marbre blanc, une Pallas, une Bacchante et un petit enfant. Çà et là, cent raretés apparaissaient disposées : une Diane d'Ephèse de marbre blanc antique « rompue par les extremitez », une figure d'Egypte de pierre de touche « brisée par le bas», des urnes de terre antiques, deux bassins d'émail, un autre bassin rond d'ivoire ciselé « dans un estuy de cuir rouge », des flacons, des pots, des buires de fayence d'Italie et de porcelaine de Perse, une aiguière et un verre de cristal de Venise, sans oublier un morceau « de mousse pétrifiée » ainsi qu'un morceau « de marcassite de fer ».

    C'est dans ce cadre somptueux et hétéroclite, sévère et attrayant que les amateurs d'estampes, les Démocèdes de la fin du XVII e siècle et du début du XVIII e , vinrent examiner avec recueillement et envie l'unique gravure de Callot, « qu'ils travaillaient » depuis vingt ans à recouvrer. A ce moment, il était déjà question de transférer la Bibliothèque du Roi dans un bâtiment mieux adapté à ses exigences que les deux hôtels de la rue Vivienne. Le projet n'aboutit cependant qu'en 1721, après la faillite de Law.

    Le banquier écossais, afin de grouper tous les organismes et les services indispensables au fameux Système avait reconstitué en effet à son profit, l'ancien palais Mazarin, partagé entre les héritiers du Cardinal.

    On reviendra un peu plus loin sur les origines du palais Mazarin, de cette vaste réunion de constructions, rivale des demeures royales par sa magnificence et ses trésors artistiques. Il suffit de mentionner pour l'instant qu'il avait été divisé en deux lots en 1661. Un des lots était devenu l'hôtel Mazarin, en raison de Charles Armand de la Porte de la Meilleraye, duc de Mazarin, mari de Hortense Mancini, nièce du feu premier ministre ; l'autre lot avait reçu l'appellation d'hôtel de Nevers, à cause du marquis Mazarini-Mancini, duc de Nevers, également neveu du Cardinal.

    A la suite de la banqueroute de Law, un arrêt du Conseil d'Etat, en date du 14 septembre 1721, ordonna que l'hôtel de Nevers, situé le long de la rue de Richelieu, fut remis « aux ordres du Sr. Abbé Bignon, biblio-thécaire du Roy ». Le déménagement du Cabinet des Estampes eut lieu sans tarder. « Le 25 de ce mois, lit-on, dans le journal de Buvat, à 4 heures de l'après-midi, on commença le transfert des estampes de la Bibliothèque du Roy » et le Mercure de France, du mois d'octobre suivant parait indiquer que l'opération était achevée.

    LE CABINET DES ESTAMPES A L'HOTEL DE NEVERS. - De 1721 à 1946, le Cabinet des Estampes ne devait pas occuper moins de six emplacements successifs dans le quadrilatère du palais Mazarin, délimité par les rues de Richelieu, des Petits-Champs, Vivienne et Colbert. Ces changements, ces déplacements sont liés de la façon la plus étroite à son histoire. Ils consti-tuent des témoignages précis, qui contribuent à souligner sa vitalité ainsi que les étapes de son développement et de son importance sans cesse croissante.

    Pour commencer, dès 1721, sans doute, les Estampes se trouvèrent placées dans une salle située à l'extrémité du rez-de-chaussée dépendant d'une galerie dite la Galerie Neuve. Celle-ci subsiste toujours et fait face à la porte d'entrée sur la rue de Richelieu. Entreprise pour le compte de Law, en 1719, par l'architecte Armand-Claude Mollet, la galerie Neuve demeurait inachevée et devait être terminée par Robert de Cotte.

    A ce moment, en 1730, les Estampes prirent place dans «un appartement contigu à celui de M. Bignon ». Le local, comme l'indique F. Courboin, était situé dans le « petit hôtel de la Bibliothèque », maison dépendant alors de l'hôtel de Nevers, édifié en 1643 à l'angle des rues Neuve-des-Petits-Champs et Richelieu, par Pierre Le Muet, à l'instigation du président Tubeuf, que l'on retrouvera bientôt.

    Le Cabinet des Estampes eut là à sa disposition, le premier étage d'un corps de logis parallèle à là rue Neuve-des-Petits-Champs et situé entre les deux cours du petit Hôtel, de même que le premier étage d'une « Petite Gallerie en aisle » bâtie sur la rue de Richelieu. Un danger d'incendie résultant des cuisines faisant partie du logis concédé au personnel de la Bibliothèque entraîna un nouveau déménagement des Estampes, en 1740.

    Elles retournèrent au rez-de-chaussée de la Galerie Neuve, sous l'actuelle salle des Manuscrits, où fuyant le feu elles eurent l'eau pour ennemie. Chas-sées en 1752 par une humidité depuis longtemps disparue actuellement, elles obtinrent un nouvel asile dans l'appartement précédemment habité par l'abbé Bignon. Il relevait d'un corps de bâtiment, dit la Traverse, perpendiculaire à la rue de Richelieu, coupant, peut-être ce qui est maintenant le magasin des Imprimés, un peu en arrière de l'hémicycle «J. Guibert ».

    Dans ce quatrième local, un entresol, le Cabinet des Estampes, allait demeurer un peu plus de cent ans.

    Il était réparti entre plusieurs chambres de plein sud ; la principale de ces pièces « a quatre croisées donnant un assez beau jour », explique une relation reproduite par F. Courboin, « est décorée dans son pourtour de huit beaux corps d'armoires en bibliothèque, d'une menuiserie des plus simples mais correcte, fermés dans leur hauteur par des tringues (sic) ou traverses à bascule en fer doré, dans lesquels sont placés sur des tablettes les volumes, et cartons, remplis d'estampes, dessins, cartes, etc... »

    Ils étaient accompagnés d'une exposition permanente de divers «objets relatifs au dessin, à la peinture et à la gravure,... la plupart distribués dans des cadres sous verre », qui permettaient au public « d'apprécier d'un coup d'oeil les étonnants et rapides progrès qu'a pu faire le bel art de la gravure et ceux que chacun de ses différents genres a faits en particulier » depuis sa découverte.

    « Les rapides progrès » du « bel art de la gravure », l'afflux des oeuvres et l'accroissement considérable du fonds qu'ils entraînèrent firent que le Cabinet des Estampes, vers le milieu du XIXe siècle, était fort à l'étroit dans les entresols de la Traverse. Aussi lui attribua-t-on le rez-de-chaussée de la Galerie Mazarine, maintenant baptisée Galerie Mansart, et ses dépendances, où il s'établit en octobre 1854, après d'indispensables restaurations dirigées par Henri Labrouste, architecte de la Bibliothèque impériale.

    LA GALERIE MANSART. - La Galerie Mansart, à laquelle nous aimerions voir restituer le nom de Galerie basse, qu'elle porta durant près de deux siècles, constituait, avec la Galerie haute ou Galerie Mazarine, qui la sur-plombe, une des principales beautés du palais Mazarin.

    Les origines de ce palais et son histoire sont assez complexes. On ne peut en résumer ici que l'essentiel.

    Le 1er octobre 1643, le cardinal Mazarin, premier ministre depuis peu de mois, prit possession à titre de locataire de l'hôtel Tubeuf, ci-devant hôtel de Chevry, bâti à partir de 1635, à l'angle des rues Neuve-des-Petits-Champs et Vivienne.

    Sa nouvelle habitation où il ne devait guère résider, allait surtout être pour Mazarin, une retraite « où il estoit parfois bien aise de se reposer. relate Madame de Motteville, au milieu des merveilles qu'il y accumulait ». De ces merveilles, le cardinal tirait vanité. C'est pourquoi afin d'installer ses collections déjà importantes, il pensa faire augmenter l'hôtel Chevry-Tubeuf. Le 6 juin 1644, un contrat, encore inédit, fut passé par le président Tubeuf, propriétaire du bâtiment, et en l'occurrence prête-nom du cardinal, pour la construction d'un pavillon et galerie « à la continuation du grand logis», c'est-à-dire de l'hôtel Tubeuf, «ladite galerie en retour sur le jardin».

    Une seule galerie, d'ailleurs, ne parut pas suffisante au goût fastueux de Mazarin. Il y en eut donc deux : l'une au premier étage, que Romanelli allait décorer en 1646 de fresques mythologiques, dévolue aux tableaux et aux meubles précieux, l'autre, au rez-de-chaussée, destinée aux nombreux marbres possédés par le Cardinal.

    Selon la tradition, le grand architecte François Mansart passait pour avoir bâti les deux galeries. L'acte inédit du 6 juin 1644, donne en effet bien son nom, mais ce nom est deux fois rayé et le fait peut donner à réfléchir.

    Commencées dès juin 1644, les galeries, un pavillon à leurs extrémités et le pavillon qui les reliait à l'hôtel Chevry-Tubeuf, furent achevés vers la fin de l'année.

    Longue, de même que la Galerie haute d'environ quarante-cinq mètres sur sept mètres cinquante de large, autrefois pavée d'un dallage de pierres de Caen « mêlé de blanc et de noir, moitié l'un et moitié l'autre », la Galerie basse a conservé sa voûte décorée d'élégants motifs de stuc, dorés à l'origine ; ils avoisinaient des peintures exécutées par l'italien Grimaldi et ses aides venus en France à l'appel de Mazarin. On en voit encore le motif central, une colonnade à l'italienne et quatre médaillons en grisaille évoquant des scènes antiques. Des niches carrées, accostées de pilastres cannelés surmontés de chapiteaux soutenant un entablement, qui occupaient le milieu de chaque trumeau sur toute l'étendue des murs, il ne subsiste que deux spécimens. Entre les niches figuraient des fresques, paysages et fabriques, qui ont disparu. Un sort identique était réservé, à une exception près, aux ornements et aux figures brossés dans les embrasures des fenêtres.

    En même temps que les antiques de Mazarin, statues et bustes, la galerie basse montrait des cabinets et des coffres de la Chine, des meubles recouverts d'étoffes de gros de Tours, brodées « fasson dudit La Chine », ainsi que des pots de faïence d'Extrême-Orient, semblablement énumérés par un inventaire inédit.

    Divisée au XVIIIe siècle entre la Compagnie des Indes et la Bourse, absor-bée à la fin du siècle par le Trésor public, la Galerie basse fut en partie mutilée au bénéfice de ces différents organismes. En surélevant son sol de soixante centimètres, lors de l'aménagement du Cabinet des Estampes en 1854 Labrouste dénatura complètement les proportions de la Galerie. D'autre part la confection des rayonnages pour les recueils ne fit qu'accentuer ses dépré-dations passées.

    Restaurée avec une rare entente cette fois, par M. Roux-Spitz, après ie départ des Estampes, à partir de 1937, la Galerie basse devenue l'entrée du nouveau département des Estampes a retrouvé une seconde jeunesse et cons-tue un cadre digne des expositions qui y sont présentées.

    LE CABINET DES ESTAMPES ET L'ANCIEN HOTEL DE CHEVRY-TUBEUF. - Transféré en 1937 dans l'hôtel de la fondation Rothschild, 11, rue Berryer, afin de permettre la construction des locaux due aux actives initiatives de M. Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque Nationale, le Cabinet des Estampes revint rue de Richelieu au printemps 1946. Il occupe désormais l'aile gauche de l'Hôtel Chevry-Tubeuf, loué en 1643 et acheté en 1649 par Mazarin, dont la façade a été scrupuleusement conservée.

    L'Hôtel de Chevry-Tubeuf et ses ailes, qui enserrent une cour fermée par une grilla le long de la rue des Petits-Champs constituent l'édifice primitif autour duquel s'agença et se développa le palais Mazarin. Sa sobre élégance le fait désigner comme un des plus remarquables legs de l'architec-ture du règne de Louis XIII à Paris. Longtemps attribué à Pierre Le Muel, il eut, d'après un devis récemment découvert, pour architecte Jean Thiriot, collaborateur de Jacques Lemercier, surtout connu, jusqu'à présent comme maître-maçon du Cardinal de Richelieu.

    Bâti de 1635 à 1642, environ, l'Hôtel de Chevry-Tubeuf a connu, de son côté, diverses infortunes, qui, au cours des siècles, ont très sensiblement modifié son aspect extérieur. On ne saurait les énumérer en détail dans ce simple exposé, mais cependant observer que l'entresol, qui surprend la vue par l'aspect disgracieux conféré à l'élévation est le résultat d'une transformation, d'une adjonction, qui date du XVIIIe siècle, vrai.emblablement.

    LA CHAMBRE, DITE DE MAZARIN (1) . - Avec l'aile gauche de l'Hôtel de Chevry-Tubeuf, le Cabinet des Estampes a reçu en 1946, la disposition d'une pièce dite la « Chambre de Mazarin ». La désignation de cette pièce, qui possède une décoration ancienne paraît davantage correspondre à une tradition qu'à la réalité.

    En fait, Mazarin eut deux chambres dans son palais. L'une, la chambre de l'appartement d'hiver au premier étage, et l'autre, la « Chambre de Son Eminence », appartement bas, sans doute pour l'été.

    Cette pièce, comme son nom l'indique, était au rez-de-chaussée, à la suite de la salle d'audience, c'est-à-dire de la partie gauche du bâtiment actuel. La chambre du premier étage, dite la « Chambre de Mazarin » serait alors la chambre d'hiver. Il apparaît cependant que cette chambre d'hiver, par-quetée, dorée et peinte, dépendait également du principal corps de logis. Elle peut, par conséquent, avoir été cette pièce, aux boiseries et aux dessus de portes exécutés au XVIIIe siècle. Seul, le plafond appartient au XVIIe . Coupé par une solive et agrémenté de motifs de menuiserie, il offre deux peintures, des tapisseries feintes, représentant peut-être le Commerce, et une Renommée. Aux angles, quatre médaillons ovales en camaïeu gris relevé d'or montrent Psyché et la Vieille, Amphitrite, Eole, Jupiter. D'autres panneaux, comprennent des trophées et des médaillons à l'antique. Aucune de ces scènes n'est signalée par l'inventaire du palais Mazarin, en 1653, pourtant très complet, ni par l'inventaire de 1661, rédigé après le décès du cardinal. Ces lacunes doivent avoir une raison que l'on ignore encore.

    Tels furent, durant une existence bientôt tricentenaire, les différents emplacements du département des Estampes. Par leur intermédiaire, les recueils de l'abbé de Marolles, auxquels sont venus se joindre beaucoup d'autres trésors, après la « chambre des livres des estampes » de la rue Vivien ont pris place dans le plus spacieux d'entre tous les Cabinets des Estampes. Et, c'est avec une légitime fierté qu'il veille les dernières « richesses du palais Mazarin ».

    1. Un marché inédit pour le nettoyage des vitres du palais Mazarin, document qui nous a été signalé avec une grande obligeance par notre collègue et ami M. Jean Cnrdey et susceptible dapporter de précieuses indications sur la distribution du palais Mazarin, au temps du cardinal. retour au texte