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Etudes et expériences dans le domaine de la conservation des journaux

1956

    Etudes et expériences dans le domaine de la conservation des journaux

    Par H. F. Raux, Conservateur au Département des Périodiques Bibliothèque nationale

    (1) La Bibliothèque nationale conserve actuellement environ 400.000 titres de journaux (2) , en grande majorité français, pour la plupart en collections sinon complètes depuis l'origine, du moins très amples : le Dépôt légal a en effet en France été appliqué très tôt aux journaux, et le principe de la conservation permanente, en un exemplaire au moins, de toute pièce déposée, a permis de réunir une des collections les plus vastes de journaux qui soient au monde. Les problèmes de conservation que connaissent toutes les bibliothèques traitant ce genre de publications revêtent ici une acuité et une ampleur toutes particulières. Pourtant, la Bibliothèque nationale a pu jusqu'ici se contenter d'appliquer les techniques traditionnelles, et ne s'est pas encore engagée dans l'une de ces vastes opérations de reproduction de collections qui tiennent une si large place dans la vie de beaucoup de grandes bibliothèques. Diverses circonstances ont permis de surseoir à des mesures de cette ampleur, et notamment le fait que depuis plus de 20 ans la Bibliothèque nationale ne conserve plus la grande masse de ses journaux à Paris où le manque de place aurait dès longtemps imposé une solution mais dans une vaste annexe construite à partir de 1932 à Versailles, et dont la capacité a été doublée récemment ; ce n'est donc pas tant, comme dans la plupart des bibliothèques, le manque de place qui impose la recherche d'une solution nouvelle, mais, d'une part, les signes d'auto-destruction du papier qui se multiplient, d'autre part le risque inadmissible que comporte la communication de pièces très souvent uniques et d'une extrême fragilité : or, cette communication, naguère assez exceptionnelle, est demandée maintenant de plus en plus souvent. Pour sauver les collections menacées, des palliatifs ne suffisent plus. Depuis plus d'une année, l'étude de ce problème est activement poussée ; elle n'a pas encore abouti à des conclusions définitives, mais il est maintenant possible d'indiquer dans quelle voie elle s'oriente.

    Une première décision paraît inéluctable : la communication des journaux anciens, sous leur forme originale, doit cesser. Toutes les précautions prises et imposées aux lecteurs, quelque sévères qu'elles soient, sont insuffisantes ; pour les journaux, il n'y a pas de conciliation possible entre communication et conservation, car, pour eux, communication est synonyme, à plus ou moins bref délai, de destruction. Il faut donc, pour les journaux récents, disposer de deux exemplaires, l'un précieusement gardé pour l'avenir, l'autre sacrifié aux lecteurs... Ceci ne fait aucune difficulté pour les journaux français, le Dépôt légal procurant à la Bibliiothèque nationale au moins deux exemplaires de chaque publication. Mais, pour cette catégorie même, il ne peut s'agir que d'un sursis, puisque nous savons que, dans une cinquantaine d'années, le papier des journaux actuels, même conservés dans les meilleures conditions, tombera en poussière comme fait aujourd'hui le papier des journaux de la fin du xIxe siècle, à moins qu'on ne découvre d'ici là un moyen de conserver à ces papiers leurs qualités d'origine. Chimistes et physiciens se sont penchés sur ce problème, sans parvenir jusqu'ici à des solutions pratiques satisfaisantes. Dans un ordre d'idées voisin, on a tenté d'isoler le papier des journaux neufs de l'atmosphère extérieure, en pulvérisant sur les feuilles diverses matières plastiques transparentes ; outre le prix de revient élevé de ces procédés, les résultats obtenus semblent assez peu satisfaisants : la couche de plastique est trop épaisse, l'hétérogénéité des couches papier-plastique provoque des tensions internes qui peuvent devenir facteurs de destruction, l'imperméabilité aux agents chimiques de la couche plastique ne paraît pas suffisante pour empêcher le processus de désagrégation.

    Pour les journaux anicens, nous ne disposons que d'un seul exemplaire, souvent en état médiocre ; le seul moyen d'en permettre la lecture sans en assurer la destruction est donc de les reproduire, et nous nous trouvons ainsi devant le problème capital, à la solution duquel on ne saurait apporter trop de soins et de réflexion, car la décision prise vaudra pour des millions de fascicules et engagera pour de longues années l'avenir du Département des Périodiques : Quelle technique adopter ?

    Venant tard à ce problème, nous avons l'avantage de disposer des premiers résultats des expériences faites dans de nombreuses bibliothèques, notamment aux Etats-Unis, parfois sur une très grande échelle, de pouvoir instituer une très large étude comparative des différentes techniques suivies, et aussi de pouvoir envisager la mise en œuvre de procédés récemment développés et d'appareils plus perfectionnés.

    L'emploi du microfilm de 35 mm., généralement en bobines de 30 mètres, apparaît comme la solution classique le plus souvent adoptée par les grandes entreprises de reproduction. Elle n'est toutefois pas sans inconvénients : il n'existe, au moins sur le marché français, où pourtant la plupart des grandes marques étrangères sont représentées, aucun appareil de lecture vraiment satisfaisant pour les journaux ; la recherche d'une page, qui reste longue et fastidieuse, serait grandement facilitée par l'emploi des appareils dits électroniques, mais ces appareils n'existent encore qu'en format 16 mm ; le film ne résiste pas longtemps aux déroulements fréquents, et le remplacement des copies s'impose assez souvent ; la mise en place des bobines sur l'appareil reste assez délicate et ne peut être confiée au lecteur ; enfin, personne ne peut apporter de certitude quant à la durée de conservation du support et de I'émulsion : on commence à citer des exemples de films perdus à la suite de décomposition chimique.

    Rien de ceci n'est rédhibitoire (sauf le dernier élément, s'il se confirmait qu'il ne s'agit pas de simples malfaçons accidentelles), mais cela tend à orienter les études vers d'autres solutions, parmi lesquelles celle qui semble actuellement la plus séduisante est la microfiche opaque, de format international standardisé 75x125 mm, sur laquelle peuvent être reproduites vingt pages de journal : dix pages sur chaque face, la partie supérieure étant réservée sur 15 mm pour les indications bibliographiques lisibles à l'œil nu et la grille de sélection électronique. Ces fiches seraient établies, soit par tirage photographique direct, soit, si l'on a l'utilisation d'un nombre plus important d'exemplaires, par micro-offset. Il existe pour ces fiches des appareils de lecture satisfaisants, point trop coûteux, et sur lesquels la mise en place des fiches peut être faite aisément par les lecteurs. Le support est un papier sans fibre de bois, dont les qualités de conservation sont éprouvées depuis des siècles. Enfin ces fiches pourraient trouver place dans les fichiers habituels des bibliothèques, d'où elles seraient extraites, soit par sélection manuelle, soit par sélection électronique.

    Les plus épais journaux français ne dépassent guère vingt pages : chaque numéro pourrait donc être reproduit sur une fiche recto-verso, deux années tenant dans un tiroir de fichier standard ; comme dans la très grande majorité des cas, il s'agit de journaux de quatre à dix pages, le même tiroir standard contiendrait de quatre à dix années. Soit, comme avantages secondaires - l'essentiel étant la protection des originaux - une réduction d'encombrement notable et surtout une facilité de communication très grande et une économie de personnel appréciable dans une bibliothèque où il arrive que l'on communique 200 volumes reliés de journaux en une seule journée...

    En même temps que se poursuivent les études sur le plan technique, un ordre de priorité est établi, selon lequel seront reproduites, pour les fonds de journaux anciens, d'abord les collections uniques et fréquemment demandées par les lecteurs, en commençant par les plus fragiles dont la communication est d'ores et déjà interdite.

    Enfin, il apparaît souhaitable que soient invités à participer à cette entreprise les administrations des grands journaux de Paris et de province, qui connaissent les mêmes difficultés pour conserver leurs collections : la mise sur pied d'un « pool » de reproduction réduirait de façon appréciable le prix de revient de chaque collection et préparerait les voies à une solution française d'ensemble.

    En attendant que soient achevées les études en vue de cette grande entreprise, le Département des Périodiques a mis en œuvre deux procédés nouveaux pour la conservation des collections de journaux. Les journaux conservés non reliés (1.800 titres environ sur 2.000 titres entrant de façon courante) étaient jusqu'à l'automne dernier placés sur des rayons dans des pochettes, qui imposaient le pliage en deux, parfois en quatre. Ce système a été abandonné et remplacé par des boîtes en carton léger armé, spécialement fabriquées en des formats très voisins de ceux des journaux, afin d'éviter tout gauchissement ; ces boîtes, qui doivent toujours être pleines et fermées à serrage (plusieurs épaisseurs sont utilisées), sont placées sur les rayons verticalement, comme des volumes reliés : le journal n'est pas plié, il est a l'abri de la lumière et des chocs et tient le minimum de place sur les rayons prévus pour des collections reliées.

    Pour les collections en constitution et les collections de communication, le Département utilisera dans un avenir très proche des armoires en tôle d'acier, dans lesquelles les journaux sont placés verticalement dans des hamacs suspendus, avec indexation latérale ou oblique (type d'armoires dites « classo-thèques », utilisées habituellement pour le classement des dossiers ou des clichés de radiographie médicale et à la Bibliothèque nationale, depuis 1950. pour la conservation des négatifs photographiques). Outre la protection contre la lumière, et secondairement, si nécessaire, contre l'emprunt illicite (les armoires ferment à clef), ce procédé permet un gain de place très considérable par rapport à la méthode employée auparavant du classement en alvéoles. L'intercalation est extrêmement facile et la communication se trouve accélérée par la grande lisibilité des index qui permet une recherche rapide des titres.

    Il est à noter que cet équipement, ou tout au moins son principe, paraît tout à fait adapté à l'emploi dans les salles de travail de Périodiques, et permettrait de mettre, dans d'excellentes conditions d'ordre et sous un encombrement minimum, de très importantes séries de titres à la disposition des lecteurs.

    Compte tenu de ces équipements, et dans l'hypothèse où les conclusions définitives des études en cours conduiraient à l'adoption d'un plan voisin de celui évoqué ci-dessus, le traitement d'ensemble des journaux à la Bibliothèque nationale se présenterait de la façon suivante :

    1° Journaux déjà entrés dans les collections (38.000 titres environ) :

    • - reproduction selon l'ordre d'urgence établi, opération prévue pour plusieurs années ;
    • - au fur et à mesure de la reproduction, retrait des originaux des magasins actuels et conservation à plat, dans des cartons du type décrit, à l'abri de la lumière et dans une atmosphère surveillée non seulement du point de vue hygrométrique, mais aussi du point de vue acidité (atmosphère non urbaine).
    • - communication exclusive des microfiches.

    2° Journaux nouveaux :

    • a) Exemplaire de communication. En constitution dans des classothèques ; communiqué immédiatement aux lecteurs ; détruit après une année
    • b) Exemplaire de conservation. Photographié dès son entrée, mis en constitution dans les classothèques. Chaque mois, ou trimestre, ou semestre, selon l'épaisseur du journal, placé dans les boîtes décrites et envoyé dans les magasins de conservation « définitive », où les cartons seront rangés à plat sur les rayons, disposition encore préférable pour la bonne tenue des feuillets, et sans inconvénients dans ce cas puisque ces exemplaires ne devraient être communiqués que dans des cas tout à fait exceptionnels.
    • c) Microfiches. Remplacent au bout d'une année l'exemplaire de communication. Deux autres exemplaires constituent une collection « de sécurité » et une collection de réserve.

    La conservation des originaux, dont la loi française fait une obligation à la Bibliothèque nationale, serait possible loin de Paris, et permettrait de réserver l'avenir - pour une cinquantaine d'années.

    Dans tout ce qui précède, il n'est pas question de reliure. Il y a déjà plus de vingt ans que la Bibliothèque nationale a renoncé à relier les journaux, à l'exception d'une centaine de titres très importants et des principaux journaux étrangers. Cette mesure, imposée à l'époque par des impératifs financiers, et souvent déplorée, n'apparaît pas maintenant tellement catastrophique : la reliure ne protège pas le papier de l'auto-destruction, elle s'abîme très vite et exige de ruineuses restaurations, elle double le poids du volume et coûte très cher au personnel de manutention, elle provoque parfois, lorsqu'elle n'est pas parfaitement exécutée, de graves lésions du journal, - enfin elle complique loujours et rend quelquefois impossible la photographie. On pourrait envisager de renoncer à relier les journaux qui le sont encore, et utiliser les crédits ainsi dégagés à l'achat d'un second exemplaire, sacrifié à la communication. Le traitement de tous les journaux serait alors unifié selon le schéma ci-dessus.

    1. Le texte de cet article a été présenté au Congrès international des Bibliothèques, mais il n'a été publié dans les volumes du Congrès qu'en un bref résumé. retour au texte

    2. Le mot « journal » est employé dans ce texte par rapport uniquement à la forme extérieure, et non au contenu ni à la périodicité : il englobe tous les périodiques paraissant dans un format et sous une présentation analogues à ceux des grands quotidiens. retour au texte