L'exposé que l'on va lire est le résultat d'un séjour prolongé que j'ai fait en septembre 1953 à Edimbourg et qui m'a permis de me documenter sur le fonctionnement des bibliothèques de cette ville.
Il existe à Edimbourg une Bibliothèque nationale dont je vous parlerai d'abord, une bibliothèque d'Université que j'ai laissée volontairement de côté, une bibliothèque publique avec de nombreuses filiales, et enfin la Scottish Central Library.
Depuis l'inauguration par le Duc d'Edimbourg des nouveaux locaux de cette dernière, après mon passage, elles se trouvent toutes groupées dans le même vieux quartier historique de la ville, la National Library. la Edimbourg Public Central Library et la Scottish Central Library étant à deux pas les une des autres.
La National Library est ancienne. Fondée en 1680, c'était la bibliothèque des Avocats. Depuis le début du xvIIIe siècle, elle a bénéficié du Dépôt légal et c'est en 1922 qu'elle est devenue la Bibliothèque nationale de l'Ecosse. Elle fait partie du système britannique des bibliothèques jouissant du Dépôt légal qui comprend] le British Muséum, les Bibliothèques universitaires d'Oxford et de Cambridge, les Bibliothèques nationales d'Ecosse, du Pays de Galles et d'Irlande du Nord.
Son importance ne peut se comparer à celle des grandes bibliothèques du monde, et elle n'a pas encore eu à résoudre des problèmes aussi complexes que ceux qui se présentent à ces dernières. Son développement a été entravé par l'exiguité de ses locaux. Elle est maintenant installée dans le nouveau bâtiment contigu qui était en cours de construction lors de mon passage.
La National Library est divisée en deux départements : celui des Imprimés, celui des Manuscrits. Il existe aussi une collection de cartes de géographie qui comprend d'une part un fonds ancien qui ne s'accroît plus, et d'autre part, les principales publications de l'Ordnance Survey.
Il n'existe pas de collection iconographique à la National Library ; mais la Edimbourg Central Library - dont je parlerai plus loin - en possède une fort riche.
La National Library est alimentée d'abord par le Dépôt légal, mais elle n'exerce son droit d'une façon exhaustive que pour les publications purement écossaises qu'elle reçoit directement. Pour les autres ouvrages, elle a adopté un système original qui dénote un esprit éminemment pratique et la volonté d'éviter le plus possible des pertes de temps à un personnel de bibliothécaires très restreint ; un agent commercial de Londres, auquel on fait entièrement confiance, est chargé de recevoir les dépôts des éditeurs, de refuser ce dont la National Library ne veut pas s'encombrer, de réclamer ce qui pourrait échapper et d'envoyer le tout à Edimbourg. Ce fonctionnement du Dépôt légal est entièrement indépendant de celui du Dépôt légal du British Muséum.
La National Library reçoit de nombreux dons, mais elle garde toujours la liberté de se débarrasser des doubles - car elle n'a ni le temps de s'en servir pour des échanges, ni la possibilité de les recevoir dans ses magasins. De très belles collections d'intérêt surtout local lui sont venues par cette voie.
De même que la National Library restreint ses accroissements par Dépôt légal, elle restreint aussi l'éventail de ses acquisitions, par économie et pour ne pas disperser ses efforts. La National Library abandonne en bloc à d'autres bibliothèques un certain nombre de disciplines : scientifiques, ou langues slaves et orientales (la Bibliothèque universitaire de Glasgow par exemple a un fonds slave assez riche). A l'origine c'est une bibliothèque juridique, et elle continue cette tradition ; pour des raisons évidentes elle donne un soin tout spécial à son fonds celtique ; enfin elle s'intéresse à l'histoire et à la littérature britannique et étrangère. Elle n'achète en matière de périodiques que ceux qui traitent de bibliographie et d'histoire du livre. Pour toutes ces acquisitions, elle se tient, par des réunions mensuelles, en liaison très étroite avec la Bibliothèque universitaire voisine. Les commandes d'achats sont faites grâce à un système très simple et rapide de fiches de commandes que remplissent les bibliothécaires responsables respectivement par langues des acquisitions.
Autre simplification pratique : il n'existe à la National Library ni registre d'entrée ni registre d'inventaire. Un exemplaire des fiches de commandes classées chronologiquement tient lieu de registre d'entrée pour les acquisitions, tandis que les listes des envois de l'agent de Londres, ou des éditeurs écossais. jouent le même rôle pour le Dépôt légal, ainsi que les listes jointes par les donateurs pour les dons. Il est plus délicat de se passer de registre d'inventaire, et par conséquent de récolement - mais sur les 800.000 livres que possède la National Library, il ne semble pas s'en perdre pour autant.
Seuls les manuscrits et les ouvrages de la Réserve sont inscrits à la fois sur un registre d'entrée et un inventaire.
La National Library range ses livres dans les magasins suivant une classification dont les bibliothécaires admettent qu'elle n'a qu'une justification, c'est qu'elle existe, qu'on l'a héritée de la Bibliothèque des Avocats, et qu'elle n'a entravé jusqu'à présent ni la communication, ni la remise en place des ouvrages. La cote est formée ainsi : à chaque discipline correspond une lettre, laquelle correspond à un magasin ; le rayonnage porte ensuite un numéro, et le rayon un autre numéro ; sur le rayon chaque ouvrage est placé à la suite de l'ouvrage entré précédemment. Ce système présente tous les inconvénients d'un classement méthodique sans en avoir les avantages. On voit immédiatement les difficultés qui surgissent dès qu'un rayon est plein, ou lors d'un déménagement, comme celui que la National Library entreprend actuellement.
A propos de la conservation des livres, nos livres français vendus brochés et non coupés présentent souvent de ce fait à l'étranger un problème. L'idéal serait de les faire relier, mais la National Library doit ménager ses crédits. Aussi les traite-t-elle comme nous faisons pour nos « pièces » : après les avoir passés au massicot, on les groupe par six ou huit dans des boîtes qui sont placées sur les rayons parmi les livres ; ce procédé original entraîne évidemment une manipulation plus longue.
Le travail qu'exécutent à l'heure actuelle les quelques bibliothécaires chargés du catalogue m'a semblé remarquable. Il existe plusieurs catalogues sur fiches : pour les ouvrages, la musique, les cartes de géographie. On suit les principes du British Muséum ; en particulier on révise à une cadence rapide l'ancien catalogue, et on met sur pied celui des collectivités publiques et privées. Il n'y avait pas de catalogue matières. Avec un réalisme réfléchi, on a voulu combler rapidement cette lacune : on a donc conçu un Subject Index qui se borne à renvoyer au catalogue auteurs, et qui ne concerne que les acquisitions étrangères. Pour la production nationale, on estime que le chercheur peut se servir du Subject Index du British Muséum qui, par son exhaustivité, joue en effet le rôle de catalogue matières collectif des ouvrages britanniques pour toutes les bibliothèques de Dépôt légal de Grande-Bretagne. La National Library possède deux catalogues imprimés : un pour les manuscrits, un pour les incunables.
Tels sont, schématisés, les principaux traits du fonctionnement de la National Library. J'ai été particulièrement frappée par l'énergie, la capacité et l'efficience dont semble faire preuve la petite équipe des bibliothécaires. Ceux-ci se recrutent parmi les diplômés des Universités, sans formation professionnelle à l'origine : ils apprennent le métier en l'exerçant sous la direction de leurs collègues plus âgés.
Les Edinburgh Public Librairies, bibliothèques municipales, se sont développées peu à peu depuis 1890, date de la fondation de la première d'entre elles, la Central Library. Elles forment actuellement un réseau dense et actif qui groupe : la Central Library, 15 Branch Libraries, 2 bibliobus urbains, des dépôts spéciaux, et 6 Bibliothèques d'hôpitaux. Deux Musées de la ville sont rattachés aux bibliothèques. Elles sont administrées par un Comité formé de 10 membres du Conseil municipal et de 10 représentants des bibliothèques. Elles sont entretenues par la ville et reçoivent aussi des donations importantes.
En 1950, il y a eu pour toute la ville 4 millions de prêts.
La Central Library joue deux rôles : un rôle de bibliothèque publique plus développé que celui de ses filiales à cause de la richesse de ses collections et parce qu'elle est la seule à avoir des sections spécialisées ; un rôle de bibliothèque centrale puisqu'elle fournit livres et fiches aux Branch Libraries.
Le fonctionnement général est le suivant : C'est à la Central Library qu'il se trouve groupé dans le service appelé « Accession Room » : c'est là en somme que toutes les opérations sont faites en une seule fois pour plus de dix-huit bibliothèques, ce qui représente une grande simplification. La Central Library décide les acquisitions. Les ouvrages sont commandés en plusieurs exemplaires dont le nombre varie suivant l'intérêt du livre pour les différentes bibliothèques. Les fiches de commande manuscrites sont envoyées au libraire ou à l'éditeur qui les renvoie avec le paquet de livres et la facture. Les factures sont conservées et reliées forment ainsi le registre d'acquisitions. Les livres sont inscrits et numérotés sur le registre d'entrée par ordre d'arrivée. Ensuite, les bibliothécaires rédigent les fiches, sur lesquelles on inscrit après la cote et le numéro d'entrée les initiales des différentes filiales ou sections auxquelles les exemplaires seront envoyés. Par conséquent, tout livre a même cote et même numéro d'entrée quel que soit son port d'attache. L'Accession Room se constitue ainsi un catalogue collectif des Bibliothèques publiques d'Edimbourg. Avec ces fiches chaque département ou filiale confectionne ses propres catalogues.
Lorsqu'en 1922, les Edinburgh Public Libraries ont organisé le libre accès au rayon, elles ont en même temps adopté comme système de classification celui de la Library of Congress - sauf pour les sections de Jeunes qui utilisent la classification de Dewey. Les divisions méthodiques de la Library of Congress sont naturellement simplifiées pour s'adapter à l'usage d'une bibliothèque publique. Les bibliothécaires trouvent cette classification beaucoup plus large et plus souple que la classification décimale, et donc plus satisfaisante pour l'esprit - du moins en ce qui concerne une bibliothèque riche et différenciée comme la Central Library. Les ouvrages traitant d'un même sujet sont groupés sous une même cote et se trouvent rapprochés sur les rayons ; ils ne se distinguent que par leur titre, leur nom d'auteur, leur numéro d'entrée. Ceci est vrai pour tous les documents : livres, gravures, planches, coupures de journaux, photographies, clichés - sauf pour les cartes de géographie et les journaux.
La conséquence de l'emploi de la classification de la Library of Congress simplifiée est que l'état-civil de chaque document repose uniquement sur le numéro d'entrée. C'est donc ce numéro qui sert pour le prêt. Le système britannique des pochettes-cartes de prêt permet au lecteur d'emprunter simultanément des ouvrages dans une Branch Library et à la Central Library. On a constitué à la Central Library un fichier collectif des lecteurs.
La Central Library se compose de huit sections ouvertes au public :Home Reading Room, Référence Room, Junior Library, Edinburgh Room, Fine Arts Room, Music Room, Economics and Commerce Library, Newspapers Room.
Je vais évoquer ici celles qui m'ont semblé les plus intéressantes. La Home Reading Library est la section de prêt non spécialisé, qui contient presque dix mille ouvrages. Là, comme dans toutes les autres sections, les livres les moins consultés sont peu à peu transférés dans un magasin contigu appelé « Annex », où l'on va les chercher sur la demande des lecteurs. On me fit remarquer sur un rayon spécial des pièces de théâtre classées suivant le nombre de personnages, afin de permettre aux comédiens amateurs un choix en rapport avec l'importance de leur troupe. Les lecteurs peuvent demander qu'on leur réserve un livre sorti à son retour à la bibliothèque : ils reçoivent alors un mot leur annonçant que l'ouvrage est à leur disposition pendant les trois jours qui suivent.
La Référence Room est remarquable par ses collections sur l'histoire, la littérature et les sciences. On y trouve les catalogues des grandes bibliothèques, un grand nombre de bibliographies, des périodiques. Ses catalogues sur fiches sont très complets. Beaucoup d'étudiants, trop nombreux dans leurs propres bibliothèques, viennent y travailler.
Les bibliothécaires sont très fiers de l'Edinburgh Room, qui contient en effet toute la documentation historique et topographique sur la ville : livres, estampes, plans, photographies, plaques pour projections... Les deux bibliothécaires qui en ont la charge réunissent aussi des articles qu'elles découpent dans les journaux et dont elles forment des dossiers. D'autre part, les plus belles éditions des écrivains nés à Edimbourg y sont conservées. Toutes les estampes sont montées. Les plus petites sont conservées dans des tiroirs formant classeurs verticaux. Aucun document n'est prêté.
La Fine Arts Room, au contraire, en plus des ouvrages d'art, possède une série de reproductions pour le prêt. Celles-ci sont collées sur des feuilles de carton, et on les confie au lecteur dans un portefeuille qui est, lui, équipé avec une carte de prêt.
L'Economics and Commerce Room est consacrée à la publicité, à la banque, aux problèmes du travail, des salaires, de la population, de la production, de l'industrie, des douanes, des transports. On y conserve des publications officielles, des dictionnaires commerciaux, des revues bancaires, une petite collection de cartes de géographie, etc... Le bibliothécaire tient à jour un fichier des sociétés et établissements commerciaux.
Depuis 1949, la Central Library a organisé un service de deux bibliobus urbains. Celui que j'ai vu est une camionnette de cinq tonnes avec rayonnages intérieurs pour 2.000 volumes. Ils sont chauffés au gaz, éclairés à l'électricité soit par bonbonnes et accus, soit en branchant leurs appareils sur des prises existant dans les rues. Le personnel peut ainsi faire chauffer la tasse de thé rituelle.
Certaines Branch Libraries sont annexées à des salles de réunion et de récréation pour les ouvriers et les vieillards fondées au début du siècle par un legs de l'éditeur Nelson. Ainsi la bibliothèque de Dundee Street - que je prends pour exemple de Branch Library - est-elle installée au-dessus de son « Nelson Hall » où le bibliothécaire expose d'ailleurs les journaux locaux. Au 1er étage se trouve la salle de lecture qui ne diffère pas, dans son organisation, de la Home Reading Room. On me montra de nombreux rayonnages sur roues que le bibliothécaire oriente ou déplace à volonté, pour tenir en éveil la curiosité des lecteurs, et aussi des meubles spéciaux pour exposer livres et revues.
Les Edinburgh Libraries utilisent les trois Nelson Halls de la ville pour des manifestations culturelles diverses. On y donne des concerts - particulièrement à l'époque du Festival. C'est ainsi qu'invitée par la Central Library, j'ai pu assister à une très belle séance de danses et de chants folkloriques.
Le personnel des Edinburgh Libraries comprend une cinquantaine de bibliothécaires. Ils sont recrutés parmi des jeunes gens qui ont une formation secondaire et qui sont passés par une école de bibliothécaires.
Il existe aussi en Ecosse une Scottish Central Library - qui est le pendant de la National Central Library de Londres. Elle fut fondée en 1921 grâce à la Donation Carnegie. Depuis 1953, elle est installée à Edimbourg même, dans une pittoresque maison du XVIe siècle, qui se trouve dans le voisinage immédiat des autres bibliothèques. Elle fonctionne sous la surveillance de l'Université et du Carnegie Trust. Son but est de procurer des ouvrages - excepté les romans - aux étudiants et aux autres lecteurs. Elle possède un lot de livres de fond, mais elle agit surtout comme organe de liaison : son catalogue collectif permet de retrouver les ouvrages disséminés dans les autres bibliothèques.
Je ne puis terminer ce bref aperçu sur les bibliothèques d'Edimbourg sans signaler toute ma gratitude pour l'accueil si aimable que j'ai reçu, en souvenir de la « Aud Alliance », de la part de l'Administrateur de la National Library et du Directeur de la Public Library, et de la part de mes collègues écossais qui, au cours de mes nombreuses visites, ont sacrifié bien des heures pour satisfaire ma curiosité.