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A propros de la dernière session des cours de l'A.B.F

1956

    A propros de la dernière session des cours de l'A.B.F

    Par Myriem Foncin

    Les bibliothèques d'entreprises comme centres de culture

    La dernière session de cours organisée cet hiver par l'A.B.F. a réuni plus d'une vingtaine d'élèves de formations très différentes mais dont plusieurs avaient déjà la charge d'une bibliothèque (1) . Parmi les travaux pratiques qui leur ont été proposés, nous leur avons demandé de choisir un événement de 1955 et de nous dire ce qu'ils avaient tenté ou auraient pu tenter pour attirer l'attention sur leur bibliothèque et proposer certains livres. Quelques-unes des réponses que nous avons reçues indiquent des réalisations si ingénieuses qu'il nous paraît intéressant de les faire connaître ici, pour témoigner du travail culturel trop souvent ignoré qui se poursuit dans de petites bibliothèques.

    Un mot tout d'abord sur le choix très varié de l'événement destiné à éveiller la curiosité. La plupart du temps, c'est un événement qui présente un intérêt général. Il est tantôt d'une actualité directe (mort de Claudel, Honneger, Lachenal, Utrillo, élection de Cocteau à l'académie, représentation des ballets chinois à l'Opéra, première du film Napoléon de Sacha Guitry, record de vitesse de deux locomotives de la S.N.C.F., voyage du président de la République turque au Pakistan - indiqué par une bibliothécaire turque - départ des morutiers pour la grande pèche), tantôt commémoration d'un anniversaire (cinquième centenaire de la mort de Fra Angelico, deuxième centenaire de la naissance de Marie-Antoinette, cent cinquantième anniversaire de la naissance d'Andersen, cinquantième anniversaire de la mort de Jules Verne, trentième anniversaire de la mort de Flammarion). Mais parfois l'événement choisi n'a qu'un intérêt local (Inauguration du vitrail du vin à la Cathédrale de Reims, deuxième anniversaire de la fondation de l'usine dont dépend la bibliothèque, rallye organisé à l'usine, film qui passe dans le quartier).

    Une plus grande diversité encore se manifeste dans le parti qui est tiré du thème adopté. On pourra en juger par quatre exemples que nous empruntons à des bibliothèques organisées pour le personnel de grandes administrations ou d'entreprises.

    En 1953 la Préfecture de Police a décidé la création d'une bibliothèque pour les 25.000 fonctionnaires de la Préfecture et leurs familles, c'est-à-dire 100.000 personnes, la population d'une ville comme Orléans. Les travaux d'aménagement des magasins sont en cours. 13.000 livres ont été achetés dont 11.000 sont déjà catalogués et on espère que la bibliothèque ouvrira ses portes au début de l'année prochaine.

    Le bibliothécaire est aussi président de l'Association artistique de la Préfecture (A.P.P.P.). Celle-ci, très active, comprend plusieurs sections : un orchestre symphonique de quatre-vingts musiciens, une chorale qui réunit cent exécutants, une section littéraire, un groupe théâtral et une section de peinture. II lui a paru intéressant d'attirer l'attention sur la bibliothèque avant même qu'elle ne soit ouverte et en 1955 il l'a déjà associée, aux diverses manifestations culturelles qui ont lieu à l'occasion du bi-centenaire de la naissance de Marie-Antoinette.

    Dans la future salle de travail une exposition a été organisée avec l'aide du Musée et des Archives de la Préfecture de Police. Un choix très varié de livres se rapportant à Marie-Antoinette a été présenté pour révéler aux lecteurs éventuels les ressources que leur offrira la bibliothèque. Peut-être a-t-on insisté d'une façon particulière sur les « affaires » les plus retentissantes de l'époque. C'est ainsi que Marie-Antoinette et l'énigme du collier de Funck-Brentano, le secret de Mme Royale de A. Castelot voisinaient avec L'évasion de Mme de La Motte, le drame de Varennes de Lenô-tre et les nombreux ouvrages qui traitent de l'énigme de Louis XVII.

    Dans les vitrines, entre autres documents figuraient diverses ordonnances de Police, notamment celles relatives à la translation des corps de Louis XVI et de Marie-Antoinette, le registre d'écrou de la Conciergerie, un état des prisonniers de la Bastille en août 1785 sur lequel sont signalés le Cardinal de Rohan, la Comtesse de La Motte, Cagliostro et sa femme, le décret de la Convention du 3 octobre 1793 ordonnant « le prompt jugement de la veuve Capet », etc..

    L'exposition fut annoncée dans Vigilat, l'organe officiel de la Préfecture et par diverses circulaires administratives. Elle dura trois semaines et attira plusieurs milliers de visiteurs dont un grand nombre s'inscrivirent comme lecteurs. Pendant la durée de l'exposition, deux conférences sur Marie-Antoinette furent faites et des visites organisées à la Conciergerie et à Versailles avec « Son et Lumière ». Le film « Si Versailles m'était conté » fut également projeté. A la section peinture une causerie fit mieux connaître les peintres de Marie-Antoinette. Mais le « clou » de ce cycle fut le concert donné par la section lyrique et symphonique, au théâtre de la Cité universitaire. Son progamme était celui du concert exécuté à Paris le 11 juin 1778.

    Gluck-Iphigénie en Aulide (ouverture).

    • » Alceste. (air : Divinité du Styx).

    Daquin - Pièces pour clavecin.

    Grétry - Zémire et Azor (deux airs).

    Rameau - Dardanus (rigodon).

    • » - Castor et Pollux (menuet).

    Le concert se termina par deux œuvres de Mozart : la symphonie en ré majeur, dite « La Parisienne » et « Les petits riens ».

    Ainsi déjà est affirmé le rôle que la bibliothèque entend jouer. En 1956, année « Mozart » elle sera de même associée au cycle culturel consacré au grand musicien.

    Dans une grande usine de constructions aéronautiques, boulevard Kel-lermann à Paris, qui emploie plus de 5.000 personnes, le bibliothécaire s'est rendu compte que la publicité pour le livre ne devait pas être faite à l'intérieur de la bibliothèque mais bien plutôt à l'extérieur. Il a cherché quels points stratégiques il pourrait occuper et, au lieu d'organiser une exposition dans la salle de lecture, il l'a installée dans le hall que tout le personnel traverse deux fois par jour. Pas de vitrine mais un grand panneau qu'encadrent un rayonnage et quelques objets. Le thème de la dernière exposition était «Jules Verne et la science d'anticipation». Au centre du panneau, l'affiche pour la mise en vente des œuvres complètes de Jules Verne en 1909, autour, des reproduction d'illustrations figurante dans quelques uns des ouvrages de Jules Verne et de certains documents (acte de naissance, vue de sa maison, etc.).

    Sur un rayonnage, des traductions en différentes langues, dont une en russe datant de 1943. De l'autre côté quelques souvenirs, des lettres adressées par Jules Verne à Hetzel, communiquées par la petite fille de l'éditeur. Comme décoration deux maquettes de bateaux envoyées par la Compagnie Générale Transatlantique, celle du Guadeloupe qui était le plus grand navire au temps de Jules Verne et celle du Liberté. Ces prêts ont été paraît-il très facilement accordés. Il suffit d'oser demander assure le bibliothécaire qui, pour une exposition antérieure, avait déjà obtenu de Madame Aurore Sand des bijoux et des lettres de sa grand'mère. Un petit catalogue avec un beau portrait de Jules Verne à vingt cinq ans a été imprimé et comme l'exposition était susceptible d'intéresser les jeunes, un tract a été établi à l'intention des parents, soulignant l'importance de l'éducation culturelle des enfants et précisant les ressources qu'offre à ce point de vue la bibliothèque. Catalogue et tract n'ont été ni envoyés à domicile, ni distribués à la main mais placés sur une chaise à côté du panneau. Chacun étant entièrement libre d'en prendre ou non : tous en ont voulu. En une heure et demie, le premier jour, quinze cents exemplaires sont partis.

    La conseillère du travail qui dirige dans un village du Nord le centre social d'une usine de métallurgie nous a communiqué le projet qu'elle compte réaliser à la bibliothèque au cours de l'été. L'annonce du départ des Terre-Neuvas pour la grande pêche lui offrira l'occasion, en élargissant la fraternité de travail, d'étendre le champ de lecture des ouvriers de l'usine. Elle est bretonne et saura évoquer pour eux la vie quotidienne de ces marins pêcheurs qu'elle connaît si bien. Sûrement les « métallos » qui, jour après jour, peinent sous la chaleur des mêmes laminoirs, se passionneront pour la rude aventure des gens de la mer. Il faut d'abord choisir les ouvrages qui en parlent, constituer une petite collection de « classiques de la mer » où, à côté de romans comme ceux de Loti, Le Braz, Peisson, Vercel, Queffelec, Hemingway, figureront des récits de navigation téméraire (Alain Gerbault, le Kon-ti-ki, Bombard, Le Tour-malen, etc.) et quelques documentaires sur l'océan et les bateaux. La bibliothèque étant surchargée, c'est dans une salle attenante que ces livres seront exposés. Sur l'un des murs sera tendue une senne, le grand filet tré-maille des ports bretons à laquelle seront épinglées gravures et photos. Une partie de l'iconographie s'efforcera de reconstituer le décor de la bénédiction de la mer et de faire revivre le port de Saint-Malo, (les corsaires, l'œuvre de Vauban, Lamennais et Chateaubriand, les ravages de la guerre, la reconstruction). Le livre de bord d'un vieux capitaine Cap-hornier dira les périples des voiliers longs courriers, une grammaire et un vocabulaire celtique témoigneront de l'activité du centre culturel breton de Rennes. Des bijoux, des faïences, prêtés par les uns et les autres, mettront de ci de là une note de couleurs.

    Sous la direction de leur monitrice les jeunes filles de l'école ménagère habilleront quelques poupées de costumes régionaux masculins et féminins. Ainsi pourra être figuré un cortège de mariage s'avançant vers l'église de Baden dont la maquette aura été exécutée par les membres du cercle pictural. Dans un coin une documentation touristique sera réunie. A côté de beaux recueils illustrés, de photographies prises aux grands pardons, des guides, des cartes, des renseignements pratiques seront à la disposition de ceux qui voudront préparer l'itinéraire d'un prochain voyage de vacances.

    L'inauguration de l'exposition marquera le début d'une semaine bretonne. Un soir à la lueur d'un projecteur de phare un ingénieur de l'usine, malouin et navigateur à ses heures, fera une conférence sur Saint-Malo et son passé et commentera les documents anciens présentés par la bibliothèque. Le jour suivant, la chorale exécutera des chants bretons dont un en langue celtique. Une autre veillée sera consacrée à une causerie de la bibliothécaire sur la vie des femmes de pêcheurs. Pour clore ce cycle, un des techniciens de l'usine passera un film en couleurs, pris par lui et qui a déjà eu les honneurs du Ciné-Club. A l'issue de cette dernière séance, en souvenir de ces manifestations auxquelles tous les membres du centre auront été appelés à participer, chaque assistant recevra un petit plan ronéotypé du village. De multiples flèches venant de toutes les directions convergeront vers la bibliothèque et au-dessous la légende : « si cette semaine vous a intéressé venez compléter votre documentation à la bibliothèque... et suggérez nous le thème de notre prochaine rencontre. »

    Parmi les réalisations qui nous ont été indiquées, la plus originale peut-être est celle que nous fait connaître l'assistante sociale d'une raffinerie de pétrole de la Seine-Inférieure. L'usine est en pleine campagne, loin de toute habitation, comme le veulent les règlements. Tout le personnel est logé à deux kilomètres dans une cité ouvrière qui, avec ses cinq cents familles, fait figure de petite ville et a d'ailleurs été érigée en commune. La bibliothèque ouverte par la direction de l'usine se trouve de ce fait élevée au rang de bibliothèque municipale. L'année dernière le club sportif de la cité a décidé d'organiser un rallye automobile pour tous les membres du personnel, dont 70 % sont motorisés. La bibliothécaire a compris que ce rallye pouvait lui fournir un moyen d'amener de nouveaux lecteurs à la bibliothèque et elle a aussitôt décidé de participer à sa préparation. Celle-ci s'avérait longue et délicate puisqu'il s'agissait à l'aide de messages-clefs de faire deviner et suivre à une cinquantaine de voitures un itinéraire déterminé, à la fois difficile, amusant et varié. Ayant fait admettre que les épreuves porteraient uniquement sur les richesses littéraires de la Normandie, la bibliothécaire a commencé par rechercher les ouvrages qui pourraient être utilisés : histoires littéraires, œuvres d'écrivains (Alain, Corneille, Octave Feuillet, Flaubert, Gide, Victor Hugo, Paul Guth, La Varende, Mac Orlan, Hector Malot, etc.), guides touristiques. Dans les mois qui ont précédé le rallye, elle s'est efforcée d'amener les organisateurs à choisir des questions sur ce qui a le plus de valeur dans la littérature régionale et a obtenu que les affiches publicitaires du Rallye annoncent que les concurrents trouveraient la documentation nécessaire à la bibliothèque. Elle a essayé d'autre part de faciliter les recherches de ceux-ci en mettant en vue certains livres qui ne sortent jamais, en remplaçant la décoration habituelle de la bibliothèque par des photographies de monuments ou de sites, riches de souvenirs littéraires et qui risquaient de devenir étapes du rallye : maisons de Gide à Cuverville, d'Hector Malot à la Bouille, château de Tourville (Guy de Maupassant) cimetière marin de Varengeville (les Tharaud), la Seine et le mascaret à Villequier (Victor Hugo), Jumièges et le manoir d'Agnès Sorel, etc.

    Parmi les réalisations qui nous ont été indiquées, la plus originale peut-être est celle que nous fait connaître l'assistante sociale d'une raffinerie de pétrole de la Seine-Inférieure. L'usine est en pleine campagne, loin de toute habitation, comme le veulent les règlements. Tout le personnel est logé à deux kilomètres dans une cité ouvrière qui, avec ses cinq cents familles, fait figure de petite ville et a d'ailleurs été érigée en commune. La bibliothèque ouverte par la direction de l'usine se trouve de ce fait élevée au rang de bibliothèque municipale. L'année dernière le club sportif de la cité a décidé d'organiser un rallye automobile pour tous les membres du personnel, dont 70 % sont motorisés. La bibliothécaire a compris que ce rallye pouvait lui fournir un moyen d'amener de nouveaux lecteurs à la bibliothèque et elle a aussitôt décidé de participer à sa préparation. Celle-ci s'avérait longue et délicate puisqu'il s'agissait à l'aide de messages-clefs de faire deviner et suivre à une cinquantaine de voitures un itinéraire déterminé, à la fois difficile, amusant et varié. Ayant fait admettre que les épreuves porteraient uniquement sur les richesses littéraires de la Normandie, la bibliothécaire a commencé par rechercher les ouvrages qui pourraient être utilisés : histoires littéraires, œuvres d'écrivains (Alain, Corneille, Octave Feuillet, Flaubert, Gide, Victor Hugo, Paul Guth, La Varende, Mac Orlan, Hector Malot, etc.), guides touristiques. Dans les mois qui ont précédé le rallye, elle s'est efforcée d'amener les organisateurs à choisir des questions sur ce qui a le plus de valeur dans la littérature régionale et a obtenu que les affiches publicitaires du Rallye annoncent que les concurrents trouveraient la documentation nécessaire à la bibliothèque. Elle a essayé d'autre part de faciliter les recherches de ceux-ci en mettant en vue certains livres qui ne sortent jamais, en remplaçant la décoration habituelle de la bibliothèque par des photographies de monuments ou de sites, riches de souvenirs littéraires et qui risquaient de devenir étapes du rallye : maisons de Gide à Cuverville, d'Hector Malot à la Bouille, château de Tourville (Guy de Maupassant) cimetière marin de Varengeville (les Tharaud), la Seine et le mascaret à Villequier (Victor Hugo), Jumièges et le manoir d'Agnès Sorel, etc.

    Le jour du rallye, il va sans dire que la bibliothèque connut une animation exceptionnelle. Le nombre des participants fut d'environ deux cents. Toutes les catégories du personnel étaient représentées, cadres, ingénieurs, employés, ouvriers, possesseurs ou non de véhicules. Le règlement fixait d'ailleurs les modalités de constitutions des équipes de façon à établir dans chaque voiture un « équilibre intellectuel » aussi judicieux que possible, la culture littéraire de tel ingénieur devant être complétée par l'habileté technique et la connaissance du pays de tel ouvrier. Les organisateurs n'eurent presque jamais à intervenir les équipes se constituant d'elles-mêmes au gré des affinités et des compétences.

    Après le Rallye, c'est à la bibliothèque que fut affiché le texte des messages et des réponses qui devaient être faites avec les références des ouvrages utilisés. Des cinéastes amateurs ayant suivi les épreuves un film a été donné et, à la demande de la bibliothécaire, accompagné de commentaires littéraires.

    Il est difficile de faire le bilan d'une telle entreprise. La bibliothécaire a pu compter les nouveaux lecteurs, pointer des sorties de livres, discerner l'éveil de curiosités inattendues. Mais a-t-elle évalué l'enrichissement qu'apportent dans une petite communauté ces recherches en commun et les échanges de ces libres rencontres ?

    1. Cf. Bulletin d'informations de l'A.B.F., n° 19, mars 1956, p. 29. retour au texte