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La bibliothèque de l'Institut Français de Londres

1956

    La Bibliothèque de l'Institut Français de Londres

    Par Madeleine Ventre, Bibliothécaire Institut français de Londres

    LA Bibliothèque de l'Institut français de Londres, installée actuellement dans le bâtiment même de l'Institut, dans le quartier des grands parcs, à 10 minutes de métro de Piccadilly, centre de Londres, existe depuis plus de trente ans. Alimentée d'abord par des dons, créée de façon empirique grâce au dévouement et à la culture d'une bibliothécaire improvisée, elle est organisée de façon « scientifique » depuis 1949. Les services qu'elle avait rendus pendant la guerre aux Forces françaises libres et aux Français de Londres coupés de la France n'ont certainement pas été étrangers à l'intérêt qu'au lendemain de la guerre le Service des Relations culturelles aux Affaires Etrangères a pris au développement de cette bibliothèque. Elle fait actuellement partie intégrante des services de l'Institut français et est, à ce titre, directement rattachée au Ministère des Affaires étrangères.

    Le but poursuivi par la bibliothèque, dans le cadre des activités des Relations culturelles, est de tenter de s'imposer de plus en plus comme la bibliothèque française de Londres. Ce but, déjà en partie atteint, donne à la bibliothèque sa physionomie particulière qui est de jouer à la fois le rôle d'une bibliothèque d'étude et celui d'une bibliothèque de lecture publique. Un public extrêmement varié fréquente en effet cette bibliothèque. Les étudiants anglais et français de l'Institut ou des Universités anglaises, les grands élèves du Lycée français, les professeurs de la maison, ceux aussi, spécialistes de français des différents Collèges d'Université de Londres, souhaitent trouver sur nos rayons les œuvres et les ouvrages critiques dont ils ont besoin pour leurs travaux universitaires. Mais nous devons aussi pouvoir répondre aux demandes d'un public qui, s'il est moins érudit n'en est pas moins intéressant; je pense ici aux Anglais qui commencent à se familiariser avec le français ou aux nombreux membres de la colonie française de Londres, aux Anglais déjà acquis au français, aux Polonais, aux Roumains, aux Yougoslaves fidèles à la culture française, et qui, tous cherchent seulement à se distraire en lisant des romans, des biographies, des livres de voyage français.

    La bibliothèque possède actuellement plus de 40.000 volumes tous français, mis à part quelques œuvres originales anglaises (il est difficile à Londres de n'avoir pas un Shakespeare en anglais ! ) La majorité de ces ouvrages nous est adressée par le Service du Livre du Quai d'Orsay qui nous fait mensuellement des envois de publications récentes. Une partie du fonds de la bibliothèque cependant, le plus ancien surtout, est due à des dons, une autre partie encore à des commandes faites par la bibliothèque et destinées à combler des lacunes particulièrement flagrantes existant sur nos rayons.

    Le classement de cette bibliothèque, le reclassement surtout de son vieux fonds ont posé d'assez sérieux problèmes. Sur les conseils de la Direction des Bibliothèques, elle a été entièrement reclassée suivant le système Dewey, plus familier aux Anglais que tout autre système puisque c'est lui qui sert ici au classement de toutes les bibliothèques publiques. Le domaine des bibliothèques en effet semble être le seul où les Anglais, d'enthousiasme, aient consenti à adopter un système décimal.

    La bibliothèque occupe la plus grande partie du premier étage du bâtiment principal de l'Institut. Dès l'entrée un fichier auteur et un fichier analytique permettent au lecteur de chercher le livre dont il a besoin. Le fichier analytique contient, à côté des fiches blanches concernant les livres, des fiches bleues de dépouillement de numéros spéciaux de périodiques. Ces fiches de dépouillement, qui nous fournissent sur des sujets pour lesquels nous n'avons souvent pas d'autre documentation, des renseignements de base, sont d'une incontestable utilité. Un fichier par titre de pièces de théâtre et de roman facilite pour les lecteurs étrangers et quelquefois novices, la recherche d'un ouvrage que le cinéma ou des amis pressés les ont incité à lire.

    Une grande salle de lecture, claire et moderne, dont l'accès est entièrement libre, permet à tous ceux que la production imprimée française intéresse de venir se documenter; ouverte 6 jours par semaine de 10 heures à 8 heures; cette salle contient outre des ouvrages de référence, un grand nombre de romans auxquels les lecteurs ont un libre accès. De nombreux périodiques, 200 environ, journaux quotidiens, hebdomadaires, revues occupent tout un angle de cette salle. Deux bureaux pour le personnel et deux étages de magasins, qui commencent déjà à être remplis de façon un peu alarmante, complètent le local de la bibliothèque.

    Ouvrages de référence et périodiques, même ceux des années passées, ne peuvent être empruntés à l'extérieur. Le prêt des autres ouvrages, s'ils peuvent tous être consultés sur place, n'est en principe consenti qu'aux membres de l'Institut français ou aux lecteurs payant une cotisation d'une guinée c'est-à-dire d'environ 1.000 francs. Des facilités d'emprunt sont faites cependant aux étudiants et professeurs des Universités et des Collèges anglais ainsi qu'à la B.B.C. qui utilise une documentation française importante pour ses émissions radiodiffusées et télévisées. Une entente avec la National Central Library et la Scottish Central Library permet par ailleurs à ces deux organismes d'emprunter à la bibliothèque de l'Institut des ouvrages réclamés par des lecteurs anglais et qui n'ont pu être trouvés ailleurs. A l'heure actuelle la Bibliothèque compte environ 1.200 à 1.300 emprunteurs réguliers.

    Outre ces rapports établis avec la National et la Scottish Central Library, un service de prêts postaux étend à l'extérieur de Londres le rayonnement de la bibliothèque.

    La bibliothèque joue de plus le rôle d'un centre de documentation sur nombre de problèmes concernant la France. On nous demande en effet quotidiennement, par téléphone ou par lettre, de trouver des renseignements au sujet de traductions, de publications, d'expositions, de représentations théâtrales ou cinémathographiques susceptibles d'avoir été faites ou d'avoir eu lieu en France. Nos attributions « culturelles » sont souvent très largement comprises ! De la Chambre des Communes qui nous intime, très courtoisement l'ordre de lui trouver dans les 10 minutes l'auteur présumé français d'une citation historique, à la firme cinématographique qui, pour un film en technicolor, a besoin sans délai de connaître la couleur « authentique » des cheveux de l'Impératrice Joséphine, les demandes de renseignements sont très variées.

    Le fonds de la bibliothèque est riche essentiellement en ouvrages de littérature, d'histoire, de Sciences sociales et économiques, d'histoire de l'art, disciplines qui nous sont le plus fréquemment demandées. Ce fonds contient exclusivement des ouvrages d'éditions courantes. Plus qu'une bibliothèque de conservation qu'elle se doit cependant d'être dans une certaine mesure, la bibliothèque de l'Institut se veut une bibliothèque de consommation aussi large que possible. Si nous possédons quelques éditions numérotées et quelques beaux livres d'art, nous n'avons ni éditions anciennes, ni livres vraiment rares, ni, à plus forte raison, d'incunables ou de manuscrits. Les dons que nous avons reçus n'ont, jusqu'ici, jamais été de cette espèce et il ne semble pas entrer dans les vues des Relations culturelles de constituer une Réserve dans une bibliothèque dont la destination est de diffuser le plus largement possible ses ouvrages.

    Cette nécessité d'assurer une diffusion aussi large et aussi efficace que possible, nous a posé, en ce qui concerne les ouvrages de Sciences pures et appliquées, un problème assez délicat à résoudre. En effet s'il était souhaitable indéniablement que la production scientifique française soit représentée en Angleterre, la bibliothèque de l'Institut français était-elle le lieu où cette production pouvait avoir le plus utile rayonnement ? A ce problème, une solution qui paraît satisfaisante a fini par être trouvée cette année. Depuis le mois de février en effet, nous faisons don des ouvrages scientifiques et des ouvrages de médecine que nous recevons de France, respectivement au Science Museum Library et à la bibliothèque publique de Marylebone (quartier des médecins) qui s'est spécialisée dans les ouvrages de médecine. Ces deux bibliothèques permettent aux ouvrages français d'atteindre un public de spécialistes infiniment plus large qu'ils ne pouvaient le faire sur nos rayons. Dans nos fichiers, des fiches spéciales indiquent aux lecteurs intéressés qu'ils peuvent consulter ou emprunter l'ouvrage qu'ils cherchent dans l'une ou l'autre de ces bibliothèques. Cette organisation les autorise, par réciprocité, à consulter et à emprunter dans les deux bibliothèques, non seulement les ouvrages français qui y ont été déposés par nos soins, mais tous les autres ouvrages de ces bibliothèques. Cette solution, même si la diffusion des livres ne se fait plus directement par l'entremise de notre bibliothèque, assure une utilisation plus large et plus rationnelle des ouvrages scientifiques et répond bien aussi au but que se proposent la bibliothèque de l'Institut et les Relations culturelles.

    Intensifier le prêt des ouvrages que nous possédons, étant donné le peu de résistance des éditions brochées françaises, posait un autre problème : celui de l'usure rapide des livres et de leur reliure. Problème d'autant plus important en Angleterre qu'on y est habitué aux reliures d'éditeur qui conservent assez longtemps aux livres, même ordinaires, un aspect décent. Un atelier de reliure a été adjoint à la bibliothèque depuis 1950. Pendant plusieurs années la plus grande partie du travail du relieur a été consacré à remettre en état le vieux fonds particulièrement abîmé. Depuis le début de cette année, grâce à un procédé de reliure sans couture, procédé «plana», employé déjà fructueusement dans les pays Scandinaves, et essayé semble-t-il avec succès depuis quelques années à la Chambre de Commerce de Paris (1) et avec lequel notre relieur est allé se familiariser dans l'atelier de reliure de la Bibliothèque Nationale, le rythme de notre reliure s'est sensiblement accéléré. Les ouvrages de quelque valeur continuent naturellement à être cousus, les deux procédés étant parfaitement compatibles. Cette expérience de reliure plus rapide, très précieuse pour une bibliothèque dont le rôle est de prêter le plus souvent possible ses ouvrages, est encore trop récente pour qu'on puisse en tirer des conclusions définitives mais la durée moyenne d'un ouvrage de prêt courant, relié sur ruban comme nous le faisions autrefois étant, dans notre bibliothèque, d'environ 5 ans, on peut espérer en se basant sur les expériences Scandinaves et sur le traitement que les lecteurs de la bibliothèque de la Chambre de Commerce font subir depuis plusieurs années à ses usuels, que le même ouvrage, relié à la colle, vivra aussi longtemps et qu'en continuant à appliquer ce système, nous pourrons arriver un jour à relier les ouvrages les plus populaires dès leur arrivée sur nos rayons; ce serait un progrès très sensible.

    Si depuis quelques années on peut se réjouir de voir se développer la bibliothèque, le nombre de ses lecteurs augmenter, son fonds s'enrichir, il reste cependant encore beaucoup à faire si l'on veut voir toujours plus largement s'intensifier son rayonnement. Outre les problèmes de place, communs à toutes les bibliothèques en expansion, qu'il faudra résoudre dans un avenir relativement proche, un effort continu doit être fait pour prendre contact avec un nombre de plus en plus grand de lecteurs anglais. L'Angleterre est un pays où on lit beaucoup. C'est peut-être un des seuls effets heureux d'un climat assez maussade, c'est en tout cas notre chance. Mais il ne faut pas se cacher qu'un contact établi ne le demeure qu'à force de vigilance, que rien n'est jamais acquis dans un tel domaine et que, le rôle de lien avec la culture anglaise que joue la bibliothèque de l'Institut français, s'il donne à cette bibliothèque son caractère le plus original lui crée aussi des responsabilités particulières.

    1. Voir l'article de M. Henriot Martv « La Reliure sans couture. Un procédé nouveau sur une formule ancienne » dans le Bulletin d'informations de l'A.B.P.. de mars 1955. retour au texte