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Un don généreux à la Bibliothèque nationale : Les Très belle heures de Notre-Dame de Jean de Berry

1957

    Un don généreux à la Bibliothèque nationale : Les Très belle heures de Notre-Dame de Jean de Berry

    Par Jean Porcher

    PLUS d'un amateur a déploré, lors de la dernière exposition des manuscrits à peintures de la Bibliothèque nationale, que la « librairie » la plus fameuse de tous les temps, celle de Jean de Berry, y ait été représentée de façon honorable certes, mais insuffisante. Il est vrai : si nos amis belges nous avaient prêté les Très belles heures de Bruxelles, si la Nationale pouvait faire admirer les Petites et les Grandes heures, nous n'avions ni les Heures d'Ailly (hélas exilées sans espoir de retour), ni les Très riches heures, qu'un règlement implacable retient à Chantilly, ni enfin les Très belles heures de Notre-Dame, qui avaient disparu depuis quinze ans et dont le sort était inconnu. Or l'exposition était à peine terminée que ces dernières nous sont revenues, contre toute attente, et cette fois, après bien des aventures depuis le début du xve siècle, pour toujours.

    Les Très belles heures de Notre-Dame (c'est ainsi que le volume est désigné dans un inventaire dressé en 1413) n'ont pas été terminées du vivant de Jean DE BERRY et l'exécution de leurs peintures s'est étendue sur un grand nombre d'années. Elles sont absentes d'un inventaire de ses livres rédigé en 1402, le calendrier en a été écrit entre 1404 et 1407, et elles étaient encore inachevées quand le duc en lit cadeau, en 1412, à Robinet d'Etampes, garde de ses joyaux, sans le signet précieux qui leur était destiné et dont le « fermail » d'or garni d'un rubis et de perles avait été acheté en 1405. Robinet d'Etampes n'en garda que la première partie, alors sans doute complète, celle que la Bibliothèque nationale doit aujourd'hui à la générosité du baron Maurice de Rothschild : perdue en 1940, retrouvée récemment et rendue par le Service de protection des oeuvres d'art à son propriétaire, elle a été donnée par celui-ci à la France le 17 décembre dernier.

    Quatre peintres ont collaboré à son illustration, anonymes comme toujours, mais les deux derniers tableaux sont évidemment l'oeuvre de l'un des frères de Limbourg, illustres auteurs des Heures d'Ailly et des Très riches heures : le plus remarquable a travaillé également aux Grandes heures, qui furent terminées en 1409 et, antérieurement aux Petites heures (vers 1390) ainsi peut-être qu'au Parement de Narbonne du Louvre. On ne sait s'il a commencé la décoration des Très belles heures plusieurs années avant 1400, ou s'il l'a entreprise seulement aux environs de 1405, à la fin d'une longue carrière au cours de laquelle son style aurait peu varié. C'est l'un des témoins les meilleurs et les plus intéressants de l'école de Paris, alors que, portée par l'élan unanime de toute l'Europe, va naître la peinture moderne.

    La partie du manuscrit que ne garda pas Robinet d'Etampes (et dont rien par conséquent n'est représenté dans le manuscrit) échut à Guillaume IV, duc de Bavière et comte de Hainaut, neveu par alliance de Jean de Berry (ou plutôt à son frère et successeur Jean), qui la fit compléter par des peintres flamands, dont peut-être les Van Eyck. Un morceau, détaché au XVIIIe siècle, a brûlé à la Bibliothèque royale de Turin en 1904; le reste, autrefois à Milan, chez le prince Trivulzio, est maintenant au Museo Civico de Turin. Quatre feuillets isolés contenant cinq peintures, qui proviennent de cette partie, ont été acquis de Jules Maciet par le Louvre en 1896.