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Robert Caillet : Carpentras, 9 juin 1882-16 mars 1957

1957

    Robert Caillet : Carpentras, 9 juin 1882-16 mars 1957

    Par Claude Sibertin-Blanc

    Avec Robert Caillet, l'A.B.F. vient de perdre l'un de ses plus anciens et fidèles membres. Que son fils, notre collègue Maurice Caillet, veuille bien accepter l'expression de notre profonde sympathie.

    Bien qu'entré relativement tard dans la carrière, à 41 ans, Robert Caillet, docteur en droit depuis 1907, manifesta, dès qu'il eut pris possession de la Bibliothèque de sa ville natale, - où il succédait en 1923 au regretté Hyacinthe Chobaut -, des qualités hors pair qui firent de lui rapidement un des conservateurs de province modèles.

    Nous n'avons pas à retracer ici le détail de sa carrière qui sera évoquée dans le Bulletin des Bibliothèques de France, ni à énumérer ses écrits formant une bibliographie imposante de 108 numéros, à paraître dans Provence Historique. Mais nous ne pouvons faire moins que de rappeler à quel point il réalisa l'idéal du parfait bibliothécaire durant les 23 ans qu'il eut à présider aux destinées de l'Inguimbertine, dont, plus qu'aucun autre peut-être de ses prédécesseurs, il contribua à a servir et étendre la renommée.

    S'identifiant pour ainsi dire à sa Bibliothèque qu'il chérissait comme une personne, il ne négligea aucun des multiples devoirs de sa charge, les remplissant tous avec une conscience et une ardeur exemplaires. Ceux qui ont eu le privilège de s'adresser à lui gardent le souvenir de la parfaite aménité de son accueil, de sa serviabilité inlassable, de la souriante modestie qui cachait une grande érudition et des dons peu communs d'expression.

    R. Caillet eut encore l'heur de connaître l'âge « artisanal » - pas si lointain - où des « clients » d'élite mais clairsemés, des horaires réduits laissaient au conservateur le loisir de se consacrer aux côtés supérieurs et passionnants de sa tâche véritable : se familiariser longuement avec les richesses de son dépôt, les inventorier avec amour, en butiner puis extraire le suc en vue de faire participer autrui à ses propres découvertes... Et que dire, - pour un Carpentrassien surtout -, lorsque ce dépôt s'appelait l'Inguimbertine, offrant un magnifique terrain d'exploration, mine infinie de trouvailles ? R. Caillet sut à merveille l'exploiter, en juriste, en historien et en artiste qu'il était à la fois, - ce qui ne l'empêchait pas simultanément, en vrai « maître Jacques », de procéder lui-même, avec une persévérance rare, à la mise en ordre matérielle de ses collections, de les cataloguer minutieusement, de passer jusqu'à ces dimanches et ses vacances à les collationner, à les réparer, voire à les épous-seter !

    Robert Caillet devait pourtant assister aussi au déclin de cet âge d'or des Bibliothèques et contribuer pour sa part avec un entrain insouciant à l'avènement de ce qu'on pourrait appeler leur « âge industriel ». Nul moins que lui n'était partisan de laisser la lumière sous le boisseau.

    Malgré les faibles moyens mis à sa disposition, il voulait tailler, pour la Bibliothèque et le Musée qu'il dirigeait en même temps, une place de choix dans l'estime de sa petite ville et même dans l'opinion du grand public cultivé. Sa louable ambition fut assez heureuse pour rejoindre le puissant courant qui, vers 1925, semblait pousser au rajeunissement des arts et des lettres dans la France entière, coïncidant avec l'accession aux leviers de commande de deux éminents concitoyens décidés à favoriser ses entreprises : M. Henri Dreyfus (neveu du Capitaine) à la Mairie, le Président Daladier au Ministère de l'Instruction publique. En même temps, il se trouva à même de bénéficier des encouragements des admirables inspecteurs que furent Pol Neveux, Alexandre Vidier, puis Charles Schmidt et Emile Dacier, enfin Henri Vendel.

    Aussi dès le premier appel qui fut fait à la collaboration de la province, pour l'Exposition du Paysage français, au Petit-Palais (mai-juin 1925), M. Caillet répondit « présent », et, vingt fois par la suite, il prêta libéralement, en France et à l'étranger, le concours de ses collections. Mais c'est à Carpentras même qu'utilisant la vogue nouvelle des expositions, il chercha par des prodiges d'ingéniosité à faire connaître tour à tour les aspects multiples des trésors dont il avait la garde, aidant aussi les artistes et musiciens locaux à se faire connaître, sans égard pour le terrible engrenage où lui-même s'engageait.

    La progression des ressources sur lesquelles il pouvait compter étaient loin de suivre, en effet, le rythme de son activité et de ses rêves. Si le « classement » de la Bibliothèque de Carpentras en 1933 vint justement le récompenser de son zèle, celui-ci fut de plus en plus absorbé par les besognes matérielles qui croissaient avec ses initiatives.

    Par la création d'une section populaire de prêts gratuit avec accès au rayon et l'ouverture de la salle de lecture jusqu'à sept heures du soir du 1" janvier 1934, R. Caillet inaugurait une nouvelle période dans l'histoire près de deux fois séculaire de vieille Inguimbertine. Mais il se condamnait allègrement, faute d'aide suffisante, à renoncer en partie à ses chers vagabondages le long des rayons du fonds ancien et aux travaux de longue haleine dont il avait pu entrevoir la nécessité. En 1946, parvenu à la fin de sa carrière, il avait du moins la fierté d'avoir quintupler le nombre des emprunteurs et d'avoir mis au service du public un nouveau catalogue-dictionnaire fort pratique en 305 portefeuilles, sans compter le catalogue de l'important fonds musical, objet de sa prédilection.

    Laissant à ses successeurs le soin de réaliser ses projets lointains, il put se réfugier dès lors entièrement dans ses travaux d'histoire carpen-trassienne et mettre la dernière main, entre autres, à la biographie de celui dont il avait patiemment recherché les traces jusqu'en Italie, et de qui il avait si bien su administrer l'héritage intellectuel. Cette belle monographie (Un prélat bibliophile et philantrophe, Monseigneur d'Inguimbert, archevêque-évêque de Carpentras 1683-1757), publiée en décembre 1952, à Lyon, chez Audin, avec le concours de la Recherche Scientifique et la souscription de la Direction des Bibliothèques, valut à son auteur le Prix Marcelin Guérin de l'Académie Française, et rien ne pouvait aller plus droit au coeur de celui qui avait été avec un si total dévouement le 18" conservateur de l'Inguimbertine, et qui, par une coïncidence symbolique, devait disparaître deux siècles exactement après son illustre modèle.